Elle a déjà fait oublier Barty : Swiatek est la nouvelle Big Boss du tennis féminin
Le tennis féminin aura décidément tout vécu lors de la tournée américaine, du départ subit d’Ashleigh Barty à l’avènement d’une superbe championne pour lui succéder : Iga Swiatek, impressionnante pour s’offrir le doublé Indian Wells-Miami.
On a été suffisamment critique à l’encontre du tennis féminin par le passé pour ne pas reconnaître qu’il a bien fait les choses ce mois-ci pour nous servir notre dose de décharges émotionnelles. A peine encaissée la déflagration de la retraite soudaine d’Ashleigh Barty, partie en pleine gloire à la recherche de sa quiétude perdue, une réplique sismique d’un autre genre est venue à nouveau secouer la WTA : l’avènement d’Iga Swiatek, sacrée dimanche à Miami après l’avoir été deux semaines plus tôt à Indian Wells, et devenue ainsi à 20 ans la 28ème n°1 mondiale de l’histoire.
A vrai dire, la Polonaise n’avait besoin que d’une petite victoire en Floride pour prendre la succession de l’Australienne (qui serait restée au sommet si elle n’avait pas demandé à être rayée de la liste) : elle a vite ficelé le dossier en expédiant son entrée en lice face à la Suissesse Golubic. En revanche, elle avait probablement un besoin impérieux du titre pour asseoir véritablement sa légitimité sportive à ce poste, et ne pas s’entendre rabâcher pendant de longues semaines qu’elle est devenue n°1 par défaut. En ce sens, oui, une défaite précoce à Miami aurait fait quelque peu mauvais genre.
Mais Iga n’a pas flanché. Elle a non seulement gagné mais elle l’a fait avec la manière. Plus exactement à sa manière : celle d’une véritable tornade qui déferle de plus en plus fréquemment sur le circuit et ne laisse que des miettes à ses adversaires une fois qu’elle arrive en finale : 6-4, 6-0 face à Naomi Osaka ce dimanche à Miami, un score qui fait écho au 6-4, 6-1 face à Maria Sakkari à Indian Wells ou au 6-4, 6-1 également infligé à Sofia Kenin en finale de Roland-Garros 2020, son premier titre du Grand Chelem et sa véritable acte de naissance au plus haut niveau. Swiatek, c’est simple, n’a perdu aucun set et concédé seulement quatre jeux de moyenne lors des six dernières finales qu’elle a disputées.
“En finale, je me sentais concentrée et calme, j’ai pris ce match comme n’importe quel autre, a-t-elle expliqué en conférence de presse. Je voulais rentrer dans ma zone en prenant les points les uns après les autres sans me soucier du score car je sais que c’est comme ça que je joue le mieux. A l’arrivée, je me sens soulagée et aussi un peu surprise de la manière dont j’ai géré tous ces matches à Miami. C’est même assez fou parce que j’ai traversé beaucoup de moments de doute durant ce tournoi.”
Je crois davantage en moi et me mets moins de pression sur le classement
Iga Swiatek
Clairement, ça ne s’est pas vu. Son parcours floridien a lui aussi été phénoménal : pas le moindre set concédé et seulement 26 petits jeux concédés, un record. Phénoménal, oui, tout comme l’est la série de 17 victoires sur laquelle elle est lancée depuis une défaite en février à Dubaï face à Jelena Ostapenko, seul véritable petit accroc d’une saison qu’elle avait débutée par des demi-finales à Adelaïde (face à Barty, justement) et à l’Open d’Australie (face à Danielle Collins).
Depuis, elle a donc enchaîné en enfilant comme des perles les tournois de Doha, d’Indian Wells et de Miami, ce qui fait d’elle la troisième joueuse à remporter consécutivement trois WTA 1 000 (ou équivalents) dans une même saison après Caroline Wozniacki en 2010 et Serena Williams en 2013. Et la quatrième, donc, à réussir le Sunshine Doublé après Steffi Graf (1994, 1996), Kim Clijsters (2005) et Victoria Azarenka (2016). La plus jeune d’entre toutes…
Toujours au rayon chiffres, voilà donc Swiatek lancée sur une série de 17 victoires consécutives, un record depuis les 23 à la suite de Naomi Osaka entre Cincinnati 2020 et Miami 2021 (en précisant que la Japonaise avait perdu trois matches par forfait entre temps). On devrait plutôt écrire qu’elle est lancée comme un TGV : car sur ces 17 matches victorieux, les neuf derniers l’ont été sans perdre un set, une série jamais vue là encore (en WTA 1000) depuis les neuf de Victoria Azarenka entre Indian Wells et Madrid 2016. Pour Iga, la série est en cours. Et ce juste avant la terre battue, qui est rappelons-le sa meilleure surface…
“Cette série de victoires m’a donné beaucoup de confiance et permis d’apprendre beaucoup sur moi-même, a-t-elle par ailleurs déclaré. Je sais que je n’ai plus besoin nécessairement de me sentir à 100% pour gagner des matches contre des bonnes joueuses. Je crois davantage en moi et je me mets désormais moins de pression avec le classement. Avant, je le ressentais un peu comme un poids, une pression. J’ai travaillé là-dessus et ça va beaucoup mieux.”
Ses chiffres, en tout cas, sont vertigineux et ne se comparent, on le voit, qu’à ceux établis par les toutes meilleures. Alors oui, c’est vrai, Iga Swiatek ne compte pour l’instant qu’un titre majeur à son palmarès. Oui, c’est vrai aussi, elle était très loin d’Ashleigh Barty au classement et n’aura pas eu l’occasion d’opérer une véritable passation de pouvoir en bonne et due forme avec une joueuse contre laquelle elle s’est inclinée deux fois sur deux. Mais que pouvait-elle faire de plus, dans ces circonstances qu’elle n’a pas choisies, pour réussir son intronisation au sommet ? Prendre le pouvoir de cette manière n’était pas un cadeau, ou alors empoisonné. Elle l’a assumé de la plus belle des manières.
Swiatek-Osaka, enfin un parfum de rivalité ?
Elle l’a d’ailleurs tant et si bien assumé que moins de dix jours après la retraite de Barty, et avec tout le respect dû à la formidable joueuse qu’elle était, on a presque envie d’écrire qu’on a déjà quelque peu commencé à l’oublier. Peut-être parce que l’Australienne était pratiquement seule au monde, à l’image de son dernier tournoi, l’Open d’Australie, qu’elle avait survolé du début à la fin dans une longue promenade assez monotone.
C’est terrible à dire, mais à la question de savoir si Barty manquera au tennis féminin, ce n’est plus si sûr que ça l’était encore il y a une semaine. Son jeu manquera, c’est une certitude. Son règne, sans doute moins. Ash’ n’y est pour rien, bien entendu. C’est juste qu’elle aura peut-être souffert, elle aussi, comme l’ensemble du tennis féminin depuis tant d’années, d’un manque de rivalité au plus haut niveau. A l’inverse, on a pu à nouveau humer un parfum – ou du moins des relents – de rivalité à l’occasion de cette finale à Miami entre Iga Swiatek et Naomi Osaka.
Le soufflet est assez vite retombé, c’est vrai. Mais l’affiche, décevante sur le fond, n’en a pas moins soulevé son cortège de promesses. Car le titre d’Iga Swiatek à Miami est difficilement dissociable du retour de Naomi Osaka à un niveau plus décent, eu égard à son talent et à son statut. Nul n’omet qu’avant Swiatek, avant même Barty, celle qui était véritablement considérée comme la nouvelle patronne du tennis féminin, c’était elle. Avant, surtout, qu’elle ne connaisse les épisodes dépressifs venus stopper sa marche en avant et, on l’a craint un temps, ne menacent de la faire carrément disparaître de la circulation.
Mais la Japonaise, devenue la finaliste la plus mal classée de l’histoire du tournoi de Miami (77è mondiale), a pris les choses à bras-le-corps en s’épanchant publiquement sur ses problèmes – une rareté et une libération – puis en s’adjoignant récemment les services d’une psychothérapeute, qui lui a semble-t-il fait du bien. Certes, elle est passée à côté de sa finale, signe que l’édifice reste fragile et que la route du retour vers le sommet s’annonce longue.
Mais si Osaka reste dans les mêmes prédispositions que celles affichées ces derniers jours, si elle démontre par ailleurs dans les prochaines semaines une volonté de progresser sur terre battue, alors elle pourrait bien s’imposer comme l’une des sinon la principale opposante d’Iga Swiatek au pouvoir. Cela tombe bien : des rivales, crédibles et durables, c’est précisément ce dont a désormais le plus besoin la n°1 mondiale. Et le tennis féminin dans son ensemble.