Thomas Drouet : « J’ai dû voir un psychologue parce que j’étais en dépression à cause de tout ce qui se passe sur le circuit »

Thomas Drouet a passé ces treize dernières années à coacher sur le circuit, surtout WTA. Aujourd’hui, il estime que le système doit changer.

Thomas Drouet Thomas Drouet

Le coach français Thomas Drouet a accepté de se confier sur le malaise grandissant de certains coaches du circuit, surtout féminin, face à des conditions de travail qui se dégradent. 

QUAND LES RESULTATS NE SUFFISENT PLUS

Thomas Drouet est coach sur le circuit professionnel depuis treize ans après avoir été joueur et sparring partner. Le public français se souvient surtout de lui pour avoir été aux côtés de Marion Bartoli lors de son triomphe à Wimbledon en 2013 mais il a par la suite encadré bon nombre de joueuses étrangères de premier plan comme entre autres Wang Qiang ou Timea Babos lors de leurs meilleures années. Il a aussi croisé la route de Kristina Mladenovic et Ingrid Jacquemot (quand elle se qualifie pour l’US Open en 2023). On l’a aussi vu aux côtés d’Anastasia Pavlyuchenkova, des Roumaines Jaqueline Cristian et Ana Bogdan, de la Croate Petra Marcinko (qui s’est retrouvé aux portes du Top 100) mais aussi sur l’ATP avec l’Américain Michael Zheng (premier titre professionnel sur un 25K cet été). 

« Si j’ai regardé trois tutos sur YouTube ou j’ai parlé à trois banquiers, ça ne veut pas dire que je suis banquier. Coach, c’est un job »

La liste est longue mais le constat s’impose à lui ces derniers temps : les résultats ne suffisent plus pour trouver ou garder du travail sur le circuit. Aléas du métier : Drouet s’est par exemple retrouvé le bec dans l’eau après l’US Open quand Zheng a changé d’avis et accepté une offre universitaire, alors que Drouet venait lui de décliner l’offre d’une joueuse du circuit WTA. La malchance, des entourages qui s’en mêlent, des contrats qui n’en sont pas, des salaires non payés, des frais non remboursés, des négociations qui tendent toujours vers le bas et il en passe : Drouet a l’impression que plus rien ne fait sens dans son métier sur le circuit. Il admet aussi qu’il y a des choses qu’il n’aurait jamais dû accepter. L’affaire Stefano Vukov – Elena Rybakina ne vient évidemment pas aider la situation.

UNE NOTION DE RESPECT QUI SE PERD EN ROUTE

C’est de l’amateurisme, quelque part non ?

C’est clair. Et puis il y a aussi la notion de respect du coach. Unbox (une agence créée l’an passé pour la représentation des coaches) va bien aider là-dessus je pense, mais ce sport devrait aussi éduquer ses joueurs en leur rappelant que du moment qu’ils choisissent un coach ils prennent une responsabilité. Ils ne peuvent pas prendre les gens et les jeter du jour au lendemain. J’ai accepté des conditions… Vous ne pouvez même pas imaginer… Même un sparring partner gagnait mieux que moi, et en plus on me manquait de respect au quotidien.

Mais à un moment donné, c’est de ma faute aussi. J’ai mon expérience personnelle, qui fait que j’accepte parfois des conditions qui ne sont pas acceptables si on me dit qu’on n’a pas d’argent pour me payer parce que ça me rappelle ma situation quand j’étais joueur. Et puis après j’arrive chez les gens et je vois les Cartier, les Rolex, les voitures à 100 000 euros et je réalise qu’on ne veut juste pas me payer mais m’utiliser. Ou quand dans le contrat tu as mentionné une hausse de salaire en cas d’entrée dans le Top 100, que ça arrive en trois mois mais que la parole n’est pas honorée. Et pourtant, ce qu’elle a gagné avec mois en trois mois, c’est ce qu’elle avait mis plus d’un an à gagner avant. Tu me paies deux fois moins que ce que je demande donc je perds de l’argent alors que je fais du bon travail, alors que toi tu multiplies par trois tes gains. Il n’y a pas un problème là ? Tu dois toujours te battre et c’est usant. Quand tu respectes les gens, il y a des façons de les traiter.

Jo-Wilfried Tsonga (dont il a été le sparring partner), il m’avait scotché. Il m’avait dit, ‘Tu sais, Thomas, il n’y a personne qui me force à prendre mon équipe. C’est moi qui choisis les gars de mon équipe et les gars qui font partie de mon équipe, je vais m’occuper d’eux du mieux que je peux parce que je veux qu’ils se donnent à 200 % pour moi. Je vais les respecter et bien les payer parce que je sais qu’ils sont bons et je ne veux pas qu’ils partent ailleurs.’ Moi, je suis là pour faire mon boulot et être payé ce que je dois être payé. On ne demande quand même pas la lune : des contrats et être payés à notre juste valeur.

LE LONG TERME EST DEVENU MISSION IMPOSSIBLE

En vous basant sur votre expérience, ne pensez-vous pas également que les entourages sont en cause, que certaines joueuses sont mal conseillées ?

Je pense qu’elles sont mal conseillées sur le fait que du coaching dans le sport de haut niveau, c’est un travail à long terme. On ne peut pas avoir une vision à très court terme, mais quand tu veux gagner beaucoup d’argent rapidement, avoir beaucoup de résultats rapidement, ça crée des frustrations. Il y a des attentes. Il n’y en a pas une qui ne m’a pas dit qu’elle voulait gagner un tournoi du Grand Chelem et être Top 10. OK, mais qu’est-ce que tu mets en place pour y arriver? 

Est-ce que tu manges bien? Est-ce que tu dors bien? Est-ce que tu fais ta récup? Tout ça, c’est à prendre en compte. Et c’est là où on se rejoint sur l’amateurisme : je me suis aperçu que parfois il avait suffit de donner un peu plus de cadre et de discipline et ça suffisait à voir de grands progrès. 

© Thomas Drouet

PRIZE MONEY A LA HAUSSE, MAIS SALAIRES A LA BAISSE

On a l’impression, de manière assez étrange, que la courbe des salaires des coaches suit une progression inversée par rapport à celle du prize money…

C’est ça, exactement ! Elle gagnent de plus en plus d’argent, mais elles veulent payer de moins en moins. Elles te demandent, en tant que coach, d’investir sur elles et d’accepter des conditions pourries, mais par contre elles te veulent à temps plein et elles veulent progresser. 

Parfois, j’ai accepté. Mais j’allais tellement mal que j’ai vu un psychologue pour moi en tant que coach et on a fixé des règles et il m’a dit ‘Mais regarde ton CV, ça, ça a une valeur. Dans n’importe quelle entreprise, au bout de 13 ans de carrière, quand tu as eu ces résultats, il y a des entreprises qui se battraient pour t’avoir et à des super conditions. Dans ton monde, c’est pareil. Si tu veux te faire respecter, tu ne peux plus accepter ces conditions’. Unbox m’a dit pareil, que je ne pouvais pas accepter ces conditions parce que ça nuisait à mon image de coach, qu’il faut être à sa juste valeure et que la mienne avec ce que j’ai fait, elle est chère.

ils te parlent de projet mais ne font rien pour que ce dernier fonctionne

Tu ne peux pas accepter des jobs où déjà tu es payé à la semaine et où à la fin une fois les taxes enlevées ça ne représente plus grand-chose, tout ça pour travailler avec des gens qui sont dans les 100 meilleurs mondiaux et voyager partout dans le monde. Mais quand tu donnes ton tarif, ça coince. (Un coach d’expérience sur le circuit WTA peut demander un investissement de 80 à 100k par saison, avant impôts.)

Pourtant, un premier tour en Grand Chelem de nos jours c’est autour de 100 000 euros de prize money. On se dit que ça finance assez sereinement une équipe…

C’est ça ! (Il en rit) C’est exactement ce que je leur dis. Mon salaire, il va juste être pris en charge si, dans le pire du pire, tu perds au premier tour d’un tournoi du Grand Chelem. Tout ce que tu vas gagner en plus, après, c’est pour ta pomme. Je ne sais pas… C’est comme s’ils n’étaient pas capables de voir sur le long terme, comme s’ils n’avaient pas cette notion d’entrepreneuriat. Leur carrière pourtant c’est une entreprise, avec un budget et une trésorerie. Il n’y a pas de logique : ils te parlent de projet mais ne font rien pour que ce dernier fonctionne. On n’est pas leurs objets qu’ils prennent, qu’ils jettent, qu’ils paient au lance-pierre. Et d’ailleurs on te paie 1 en ayant des attentes de 10 en termes de résultats. Et il ne faut pas non plus oublier que nous travaillons en exclusivité, qu’ils sont notre seuls sources de revenus. 

Vous avez signé avec Unbox Sports, une nouvelle agence de représentation des coaches. Est-ce la solution à vos problèmes ?

Ce qui est très bien avec eux déjà, c’est que je ne me sens pas seul. La plupart des gens ne connaissent pas notre vie. Oui, pour les joueurs, c’est dur mentalement et ils font parfois face à des dépressions, mais il y a nous aussi, on fait partie du même train. Alors là, le fait d’avoir Unbox Sports, ce n’est pas que pour le business, c’est aussi le fait d’avoir des gens qui s’occupent de nous, et ça fait du bien. Pour la partie contractuelle, ça, c’est sûr que de ne pas avoir à négocier avec l’agent ou la joueuse, à parler d’argent, c’est un avantage. Ils essaient aussi de valoriser notre image, de faire en sorte qu’on parle de nous, tout simplement. Si les joueurs ou les joueuses ne nous respectent pas, c’est aussi parce que les instances ne nous mettent pas trop en valeur non plus. C’est le système qui nous éteint parce qu’en gros, ce n’est pas grâce à nous si la joueuse gagne. En revanche, si ça perd c’est notre faute. Or c’est un travail d’équipe. Il y a une époque pas si lointaine où on devait se changer dans les toilettes parce qu’on n’avait pas de vestiaires.

les instances ne nous mettent pas trop en valeur non plus

Qu’en est-il de cette idée de syndicat des coaches qui avait germé pendant l’arrêt dû à l’épidémie de Covid-19?

J’avais essayé et beaucoup de coaches m’ont dit que ça faisait dix ans qu’ils essayaient. On est tellement éparpillé, avec des points de vue différents, que c’est dur de mettre quelque chose en place.

UNE PENURIE DE COACHES QUI A DES CONSEQUENCES SUR LE JEU

Conséquence de cette situation : on voit de moins en moins, sur le circuit WTA surtout, de coaches qui ne soit pas un parent, un partenaire, un sparring, etc. Cela peut-il aussi avoir des conséquences sur le jeu ? 

Quand on est entouré d’amateurs, on crée des amateurs. On peut par exemple comparer avec tous ceux qui ont bossé et bossent encore avec Riccardo Piatti : il n’y a pas de secrets. Elles ne se rendent pas compte, même en voyant les meilleures joueuses qui elles ont des coaches. C’est incroyable. Il y a de plus en plus de copains et de pères qui s’auto-proclament coaches alors qu’ils ne savent pas ce que c’est. Et ça, ça fait du mal. Les parents sont nécessaires dans un projet, mais il y a un moment donné, coach c’est un job. 

Si j’ai regardé trois tutos sur YouTube ou j’ai parlé à trois banquiers, ça ne veut pas dire que je suis banquier. Coach, c’est un job. J’ai entraîné des enfants, j’ai entraîné des adultes de tout âge, de tout niveau. Ça fait 13 ans que je suis sur le circuit, j’ai entraîné différentes nationalités, différents styles de jeu, différentes personnalités, donc, j’ai dû m’adapter. J’ai développé des compétences qui me permettent d’être où j’en suis maintenant. Alors que dans l’entourage ils ont tous le même profil : ils ont leurs propres idées et la plupart du temps, c’est des idées à eux ou qu’ils n’ont jamais testées sur qui que ce soit et ils sont persuadés que ça va marcher. 

On sait aussi que du coup, pour ne pas perdre son travail, un coach en ce moment a moins tendance à dire vraiment ce qu’il pense…

Tu peux te faire virer du jour au lendemain et si vous saviez le nombre de coaches qui ne se font pas payer. J’ai toujours dit ce que je pensais, mais tout ça freine certains coaches aussi à être honnête, à dire vraiment ce qu’ils pensent. Et je passe les messages de menace quand tu réclames les impayés… Et comme je peux aussi faire la préparation physique, on va me demander de le faire mais sans payer plus. Pourquoi je ferai l’entraînement physique gratuitement ? C’est que des trucs comme ça.

UNE SANTE MENTALE MISE A DURE EPREUVE

Quand on entend tout ça, on se demande où vous trouvez l’envie de continuer.

Tout ce système fait que même moi, je n’avais pas conscience de ma valeur. Pour être honnête, j’ai dû voir un psychologue parce que j’étais en dépression à cause de tout ça, de tout ce qui se passe sur le circuit. Et malgré mes résultats, malgré ma valeur, je n’ai presque plus envie de sacrifier ma vie de famille, de ne pas voir mon fils pour être dans ce milieu-là. Si demain, on me dit tiens, je te propose un job dans une académie où tu es respecté et tout, je le dis aujourd’hui, je dis oui, et j’arrête le circuit, parce que tout ça, ça m’a usé. En ce moment, les joueuses imposent des conditions qu’elles-mêmes ne tiendraient pas.

Ce sont des entreprises qui emploient des personnes, pas de l’esclavagisme moderne. On respecte les gens, on respecte les contrats. J’avais proposé à la WTA qu’ils créent un diplôme spécifique pour être coach sur la WTA. Et si tu n’avais pas ce diplôme, tu ne pouvais pas avoir le badge coach. C’est le seul moyen que la WTA a de contrôler ça mais ils ne veulent pas le faire. Elles ne peuvent pas imposer les coachs, mais ils ne veulent pas le faire.

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