Simona Halep : « Je veux juste être jugée : encore combien de temps à attendre ? »
Suspendue à titre conservatoire depuis octobre 2022 en raison d’un contrôle positif au roxadustat, Simona Halep a accordé une interview à Tennis Majors pour clamer son innocence. La championne roumaine de 31 ans affirme posséder les preuves d’une contamination dont elle a été victime, mais regrette de ne pas avoir pu être entendue par un jury indépendant comme le prévoit la procédure. Son espoir désormais : être entendue fin mai et pouvoir rejouer.
Nous ne pensions pas pouvoir nous entretenir avec Simona Halep avant la fin de la procédure qui s’est ouverte en octobre 2022 quand elle a fait l’objet d’un contrôle positif au roxadustat. Mais la joueuse roumaine trouve le temps long et elle a préféré rompre le silence pour rendre publiques les raisons d’une si longue attente avant la résolution de son cas et son retour sur le circuit. Simona Halep a accepté le principe d’un entretien dans lequel elle donne le détail des épisode qui l’ont empêchée de revenir, et surtout, regrette-t-elle, de défendre son dossier face à des juges. Les faits qu’elle relate dans cet article ont été fact-checkées par Tennis Majors et ses avocats nous ont confirmé qu’ils correspondaient au fond du dossier et à la réalité des procédures en cours. L’ITF (Fédération Internationale de Tennis) a indiqué ne pas pouvoir répondre à toutes les questions de Tennis Majors, invoquant le périmètre de l’ITIA, qui pilote son programme antidopage et qui n’était pas joignable non plus.
Simona, la première question qu’on a envie de vous poser est : comment ça va ?
Simona Halep : Je ne sais même pas comment je vais, puisque les derniers mois ont quand même été difficiles et lourds sur le plan émotionnel. Le niveau de stress reste énorme car je n’aurais jamais pensé pouvoir me retrouver mêlée à une histoire de ce type. Je suis profondément opposée au dopage et je défends les valeurs d’un sport propre. J’ai donc vraiment eu du mal à gérer ça au début.
Avec le temps, j’ai essayé de rester calme et le réalité, c’est que je me sens bien au fond de moi car je sais que je suis propre et que je n’ai jamais consommé, en conscience, de produit interdit. Ça m’aide à aller mieux mais la période reste difficile à vivre.
Pourquoi acceptez-vous de parler aujourd’hui ? Vous n’avez pas pris la parole depuis votre post sur les réseaux sociaux consécutif à l’annonce du résultat de votre contrôle. D’où vient cette envie de parler ?
Simona Halep : J’avais effectivement fait vœu de silence jusque’à la résolution de l’affaire. Je ne me voyais pas l’ouvrir dans des circonstances si difficiles. Et je me répète, mais c’était dur à gérer sur le plan émotionnel. Mais aujourd’hui je sens que mes fans, et peut-être le public en général, ont besoin de comprendre pourquoi tout ça prend autant de temps. La résolution du cas prend beaucoup, beaucoup de temps, et c’est pour expliquer ce qui se passe que je parle aujourd’hui.
Reprenons donc ce cas à la racine. Avez-vous pris du roxadustat en août 2022 ?
Simona Halep : Je n’ai jamais consommé, en conscience, le moindre produit interdit. Le dopage ne fait pas partie de mon monde, mes valeurs sont celles d’un sport sain.
J’ai toujours pris un soin absolu à vérifier que tout ce qui faisait partie des suppléments alimentaires que je consomme était autorisé
Simona Halep à Tennis Majors
Alors comment avez-vous réagi quand le contrôle a révélé que vous étiez positive à ce produit ?
Simona Halep : Ça a été un choc, une sidération, je ne savais pas quoi faire. Je ne savais même pas ce que c’était, le roxadustat. Je n’en avais jamais entendu parler. J’ai dû aller chercher sur Internet pour juste me renseigner. J’ai vite compris que c’était un produit interdit. Un “gros”.
Aviez-vous une idée de la façon dont ce produit a pu entrer dans votre corps, puisqu’il a été détecté ?
Simona Halep : J’ai toujours pris un soin absolu à vérifier que tout ce qui faisait partie des suppléments alimentaires que je consomme était autorisé. Donc je n’avais aucune idée des raisons pour lesquelles un produit interdit avait été détecté dans mes urines. J’ai donc demandé à des experts (mandatés par Simona Halep, ndlr) de chercher une explication et de trouver les origines de ces traces.
Je répète que je n’avais jamais entendu parler de ce fameux produit et que je ne comprenais en rien comment on avait pu en trouver dans mes urines. Après beaucoup de travail, ils ont établi que ces traces étaient le résultat d’une contamination, une contamination d’un des mes compléments alimentaires, ce qui explique la très faible quantité qui a été détectée dans mon corps. Ce qu’on appelle une contamination, c’est quand quelqu’un prend un aliment autorisé mais que la compagnie qui l’a fabriqué a commis une erreur en laissant des traces d’un produit qui n’avait rien à faire là. Les experts ont beaucoup travaillé pour identifier la raison de cette contamination et ils ont fini par trouver.
Qui sont ces experts et qu’ont-ils exactement trouvé ?
Simona Halep : Je ne peux pas encore révéler leur identité ni tout ce qu’il y a dans le dossier. Je peux juste dire que chacun d’eux a trouvé de façon indépendante que le complément alimentaire était contaminé au roxadustat.
Est-ce que l’ITF [la fédération internationale de tennis, en charge de la lutte antidopage, ndlr] est en situation de faire le même constat ?
Simona Halep : J’ai envoyé mes preuves à l’ITF mais elle les a rejetées. Je les ai partagées dès le mois de décembre, quand notre travail a été abouti.
Après ce rejet, la seule façon pour moi de faire valoir mes droits était de demander à être entendue par une cour indépendante pour lui présenter mes preuves [NDLR : en anglais, Simona Halep a utilisé l’expression “the Tribunal” en référence au “panel indépendant” mentionné à l’article 8.2 du Tennis Anti Doping Rule]. Je misais beaucoup sur cette audition car le fait que l’ITF ait rejeté mes preuves en décembre avait des conséquences sur mon calendrier. Une audition a d’abord été planifiée le 28 février, à l’issue de laquelle je pensais avoir la possibilité de jouer Indian Wells. L’ITF a demandé le report de cette audition pour avoir le temps de faire des tests supplémentaires.
J’avais bon espoir mais il a fallu attendre le 24 mars. Mais l’ITF a ensuite sollicité l’annulation de l’audience du 24 mars. Je n’ai pas accepté cette décision car le règlement stipule que tout joueur ou toute joueuse suspendue provisoirement a le droit à un audition rapide [« expediting hearing » dans le règlement, ndlr]. Or, là ça commençait à être très long. J’ai donc demandé à l’ITF de lever ma suspension provisoire, à ce titre-là, mais elle l’a aussi refusé.
C’est très dur sur le plan émotionnel et j’avais besoin d’exprimer cette incompréhension à mes soutiens et à au grand public.
Simona Halep
Avez-vous fait l’objet d’autres tests et si oui quel est le résultat de ces tests ?
Simona Halep : En octobre, on m’a notifiée que mes échantillons d’urine du mois d’août étaient positifs. Depuis octobre, j’ai fait l’objet de dix tests urinaires et sanguins, tous négatifs.
Quelle est la prochaine étape de la procédure ?
Simona Halep : Une audience est à nouveau programmée fin mai mais ça reste assez fragile car l’ITF a déjà fait savoir qu’elle pouvait encore demander à ce qu’elle soit annulée. Si elle le fait, j’en serai à huis mois sans pouvoir jouer à cause d’une suspension à titre conservatoire et je trouve injuste de passer huit mois sans jouer et sans avoir eu la moindre chance de m’exprimer devant des juges indépendants.
C’est très dur sur le plan émotionnel et j’avais besoin d’exprimer cette incompréhension à mes soutiens et à au grand public. Je ressens ce besoin d’information, et ce besoin de comprendre pourquoi cela prend tant de temps. C’est trop lourd à porter et je sens aujourd’hui que c’est une bonne chose de porter mon message. Je ne demande pas de traitement spécial. Je veux juste être jugée : encore combien de temps en ai-je à attendre ?
Quelle a été votre réaction quand vous avez constaté que, contrairement aux usages quand un test positif survient, l’écrasante majorité des personnes qui ont pris la parole ont dit qu’une tricherie de votre part leur semblait exclue ?
Simona Halep : J’ai ressenti ce soutien, j’ai vu que les gens disaient que je ne pouvais pas avoir pris de produit interdit en conscience. Ça renforce ma volonté de revenir, de revenir au niveau qui était le mien avant et pourquoi pas de devenir encore meilleure. C’est à ça que je m’emploie tous les jours. Je veux revenir et je veux revenir au plus haut niveau. Les personnes que vous évoquez ont vraiment compris qui j’étais au fond de moi, et oui, cela me donne de la force pour me battre pour la vérité et pour reprendre ma carrière. Jusqu’ici c’est vraiment la plus grande épreuve de ma vie et de ma carrière.
Simona Halep : Dans cette épreuve, j’ai pu compter sur le soutien de Patrick (Mouratoglou), mon coach (co-fondateur de Tennis Majors, ndlr), le premier à qui j’ai envoyé un texto pour m’assurer que j’avais bien compris le courrier qui m’a été adressé quand on m’a notifié le contrôle positif. Depuis ce moment, j’ai pu compter sur son aide à chaque étape. Et c’est vraiment parce qu’il a été à mes côtés qu’on a pu découvrir la vérité.
Comment voyez-vous votre futur dans le tennis, si vous pouvez revenir ?
Simona Halep : Je veux rejouer, j’adore ce sport, et je veux à nouveau jouer pour de grands titres. Le tennis, c’est le travail de toute une vie. J’ai continué à jouer et à m’entraîner pendant ma suspension avec l’espoir sincère que mon cas serait jugé en ma faveur. Avec tous ces reports, ça n’a pas toujours été possible ou facile de rester concentrée mais j’ai essayé de maintenir beaucoup de sérieux dans le travail à chaque étape. Le tennis c’est ma vie. Je veux encore y jouer, me sentir aussi forte qu’avant, sinon plus. Je sais que ce sera très difficile après huit mois sans match officiel et huit mois de stress. Mais ma conviction est qu’avec beaucoup de travail, je redeviendrai compétitive.
Vous comptez les jours ou vous essayez de ne pas trop y penser ?
Simona Halep : A cet âge (31 ans), chaque jour, semaine et mois perdus sont irrécupérables. Vous avez peur des blessures. Il y a plus de chances de s’en faire après une période prolongé sans match. Et oui, plus le temps passe, plus il est difficile de redevenir compétitive.