Garcia, son nouveau statut et le lâcher prise : “L’impression que tu ne peux même plus réfléchir”
Caroline Garcia nourrit logiquement énormément d’espoirs pour cette saison 2023 mais a du mal à ne pas laisser son jeu ultra agressif être grippé par la tension.
Tout champion qui se respecte doit porter un soin particulier à sa relation avec la pression. Rien de nouveau sous le soleil. Certains ont même réussi à apprendre à la savourer : la pression serait un privilège. Or quand on écoute Caroline Garcia en ce début de saison 2023, on est encore forcé de constater qu’entre elle et la tension, c’est une histoire tumultueuse, avec des hauts extraordinaires et des bas déprimants. Quelque part, c’est même logique : sa prise de risques assumée, sa volonté de dicter tout le jeu, sa stratégie de rouleau-compresseur ne peuvent pas fonctionner sans un relâchement maximum.
Garcia en 2017 ou fin 2022, ce n’est tout simplement plus la même joueuse : les points de comparaison sont là, impossibles à dépasser. Mais en même temps, est-ce même possible de reproduire sur une saison entière un tel état de grâce ? Garcia pense que oui, si on accepte que ce n’était pas un état de grâce mais le fait qu’elle était enfin totalement en phase avec son jeu.
«”Il me manque ce lâcher prise qui fait que tu as l’impression de ne rien avoir à perdre”, confiait-elle ainsi à L’Equipe après sa défaite face à Maria Sakkari en quarts à Doha. “C’est la problématique de cette année. Je n’arrive pas à me détacher du poids du résultat, de gagner ou perdre. Quand j’y arrive, comme dans les deux derniers sets, mon niveau de jeu est bien meilleur. C’est une nouvelle leçon qui me fait comprendre que je dois arriver à me lâcher, à jouer en avançant .”
“Si je m’énerve à chaque fois que je fais une faute, ça va commencer à être compliqué”, Garcia
Quand elle joue l’esprit libéré, on l’a vu en 2017 et on l’a de nouveau constaté fin 2022 : Caroline Garcia est l’une des meilleures joueuses du monde, candidate à tous les plus grands titres. Quand ce n’est pas le cas, son jeu bute sur l’obstacle encore et encore jusqu’à ce que sa confiance sombre avec. Il y a la pression qu’elle veut infliger aux autres sur chaque coup, celle qu’elle s’inflige à elle-même avec un degré d’exigence qui est immense et celle que le monde extérieur lui inflige. On a parfois la sensation que les nerfs de la Française ne peuvent jamais être mis au repos. Or, sans sérénité, ça devient compliqué d’enfiler les coups gagnants.
La frustration pour Garcia en ce moment tient moins des résultats finalement que des sensations qui restent faussées par un degré de pression trop élevé pour son style de jeu. “Ce n’est pas spécialement le fait de vouloir jouer des finales, c’est plus d’avoir ton niveau de jeu, de se dire ‘non, je ne peux pas faire autant de fautes mais je dois quand même continuer de prendre la balle hyper tôt’, de m’énerver dès que je rate. Après ça dépend de ton style de jeu mais moi si je m’énerve à chaque fois que je fais une faute, ça va commencer à être compliqué (elle sourit).”
Alors à Doha, et dans la foulée d’une belle deuxième partie de semaine à Lyon, l’essentiel a peut-être été fait malgré son élimination par Sakkari : Caroline Garcia a retrouvé la pleine identité de son jeu et surtout sa foi en la direction prise. En l’emportant après trois heures de combat acharné face à la toujours inspirée Karolina Muchova puis en livrant un autre marathon face à Sakkari, Garcia s’est rassurée sur son fighting spirit, la capacité de son jeu tout en prise de risques à retrouver son efficacité passée mais aussi sur son physique malgré la douleur à la cuisse gauche qu’elle traîne depuis Lyon.
La victoire contre Muchova acquise avec un tennis d’agression totale, en acceptant les fautes qui viennent avec, pourrait être ainsi une première vraie référence dans sa saison. “C’est un match important avec une grosse bataille physique et mentale sur chaque point. Il y a une attitude qui est juste et vraiment positive, claire sur le style de jeu que j’ai envie de mettre en place. J’ai essayé de trouver des solutions, j’ai continué à avancer. C’est vraiment bien d’avoir réussi à dépasser la frustration des opportunités manquées à certains moments. C’est vraiment une bonne victoire. C’est comme ça que l’année dernière j’ai réussi à faire tourner des matches et avancer dans les tournois donc il faut en passer par là, il faut batailler. Il faut aller jusqu’au bout.”
Le chemin qui mène vers le relâchement serait donc à moitié fait. Dans sa relation à la pression, la bonne nouvelle depuis Lyon pour Garcia se trouve entièrement dans son approche : la 5e joueuse mondiale n’est pas dans le déni sur la nature du grain qui a un peu grippé son début de saison. Même si elle est loin d’être en situation de crise, bien évidemment.
“Ce début de saison n’est pas grandiose mais ce n’est pas la catastrophe non plus : je fais un huitième de finale à l’Open d’Australie et une finale à Lyon”, nous confiait-elle avant le début de son tournoi à Doha. “J’ai aussi réussi à gagner des matches en jouant un niveau plus que moyen mais en jouant bien les points importants. Et puis les adversaires jouent une Top 10 donc sont plus libérées et tentent plus de choses, comme moi je l’étais l’an dernier donc la tendance s’est un peu inversée.”
Mais les espoirs, et donc les attentes, nés de la fin 2022 et de son titre aux Finales de la WTA sont tellement grands qu’il est bien difficile de se contenter de ce début 2023. Comme souvent, ce qui vient mettre le doute, c’est la comparaison. Pas envers ses rivales, en ce qui concerne Garcia, mais envers les autres versions d’elle-même. A-t-elle ainsi passé ces premiers mois de 2023 à comparer avec la fin 2022 ?
“Tu te mets toujours à comparer avec les périodes où tout allait bien”, Garcia
“Oui, il y a un peu de ça, mais dans les paramètres il y a aussi un début d’année où tout se fait assez vite. J’ai envie de faire mieux, de continuer à progresser et indirectement tu te mets toujours à comparer avec les périodes où tout allait bien et ce n’est pas comme ça que j’ai réussi l’année dernière mais en étant concentrée sur le moment présent et sur ce que je pouvais améliorer jour après jour. C’est un des points qui est ressorti des semaines précédentes.”
Parce que le clan Garcia n’a pas attendu avant de lancer un brainstorming général, fort des expériences passées sans aucun doute, comme l’après sensationnelle fin de 2017. Ils ont cogité et Garcia a fini par voir sortir les bon mots pour décrire ses maux. “En Australie, il y avait énormément de stress mais plutôt le stress négatif qui t’empêche de faire des grandes choses. C’était dur de mettre vraiment un mot sur ce qui n’allait pas au final car c’était plus différentes petites choses qui faisaient que je ne me sentais pas vraiment bien. Mais ces dernières semaines, je me suis rendu compte de ce que j’essayais de faire au détour de discours qui sont venus tout seul, et donc on s’est tous mis un peu en mode brainstorming général afin de voir comment on pouvait faire les choses différemment.”
Mais faire le choses différemment pour Garcia ne veut surtout pas dire commencer à remettre en question l’identité de jeu choisie la saison passée. Au contraire, pour la Tricolore ça veut dire s’y engager encore plus profondément. “C’est ça la direction : avoir totalement confiance dans mon style de jeu et y aller à fond, prendre plaisir là dedans et vraiment m’engager à fond, le faire avec les deux bras, les deux jambes et toute la tête. Au final, c’est comme ça que j’ai été chercher mes opportunités et réussi à finir mon match, et c’est comme ça que j’en gagnerai d’autres et que je continuerai à progresser c’est sûr.”
Garcia n’est pas du tout la seule ambitieuse qui a décidé que seule une stratégie ultra agressive permettait aujourd’hui d’avoir de grandes ambitions sur le circuit. Sakkari, 7e joueuse mondiale et tombeuse de Garcia à Doha, a elle aussi décidé de changer son approche et ne le regrette pas.
“Si j’ai réussi à atteindre le niveau où je suis depuis deux ans, c’est parce que j’ai fini par trouver l’identité de mon jeu. De nos jours, si vous n’êtes pas une grande athlète, si vous n’êtes pas agressive ou si vous êtes trop passive, vous n’avez aucune chance de rester au niveau des autres filles. Il faut être à son meilleur chaque semaine, alors il faut être au top physiquement mais aussi être constamment une joueuse agressive. Vous jetez un oeil au Top 10 et c’est clair que toutes les filles sont des joueuses agressives. Il faut faire pareil, pas le choix. Mais évidemment au fil de la saison il y a des moments où on va avoir du mal à garder le cap.”
“Si vous n’êtes pas agressive, vous n’avez aucune chance”, Sakkari
Et après tout, si on regarde tout en haut : Iga Swiatek est devenue la patronne du circuit quand elle a décidé de hausser encore plus son niveau de prise de risques. Evidemment, quand on possède la gifle de coup droit de la Polonaise, ça facilité la vie sur le court. A Miami l’an passé, elle s’était confiée sur cet ajustement dans l’identité de son jeu.
“Avant, je ne voulais pas prendre le risque, parce que je ne voulais pas devenir ce type de joueuse qui va juste taper sur toutes les balles avec tout le monde autour qui attend de voir si ça va rester dans le court. J’ai toujours voulu être une joueuse solide, au jeu de terrienne avec beaucoup de lift en restant au fond du court. Mais aujourd’hui le tennis va de plus en plus vite, et les joueuses qui prennent des risques, qui attaquent, sont celles qui gagnent. J’ai voulu apprendre à faire ça aussi et mon coach m’a dit que j’en avais les capacités. D’un coup j’ai réalisé qu’en effet je pouvais gagner des points plus facilement, écourter les échanges. Je suis ravie d’avoir trouvé cette efficacité.”
A 29 ans, certains trouveront étrange que Caroline Garcia ait toujours besoin d’être convaincue ou rassurée sur l’identité de son jeu. Mais elle a en fait sans aucun doute toujours su que son chemin vers les sommets passait par assumer d’être une attaquante. Une attaquante sur tout. Une attaquante même quand ça ne semble pas très raisonnable. Gagner en défendant, ça ne passera pas pour elle : pas parce qu’elle n’en aurait pas les capacités dans le jeu ou dans les jambes mais parce que ce n’est déjà pas dans sa nature et que surtout ça impose un sang-froid et une maîtrise absolue de la pression que la Française n’a pas. “J’ai vraiment appris sur ce qui me convient, sur le style de jeu que j’ai envie de jouer et sur la direction dans laquelle j’ai envie d’aller. Au moins moi je sais quel jeu j’ai envie de mettre en place”, confie-t-elle ainsi sur le chemin parcouru depuis la fin de la saison passée.
On n’est pas dans le cas d’une Jelena Ostapenko qui n’a pas le jeu de jambes pour s’engager dans des échanges à rallonge, qui n’a aucune patience de toute manière, qui ne prend aucun plaisir à jouer en sécurité et qui a surtout une puissance naturelle telle qu’elle ne réussit pas à y résister. De là viennent sans aucun doute aussi les questions posées autour de Garcia dont le jeu ultra complet aurait pu lui donner d’autres options. Garcia a évidemment écouté au fil des ans celles et ceux qui lui conseillaient de prendre moins de risques, de doser son agression, d’accepter de reculer quand il le fallait. Elle a sans doute aussi pas mal culpabiliser.
Son père, Louis-Paul Garcia, n’en a lui jamais démordu : sa fille doit jouer l’attaque totale, prendre tout le jeu à son compte et filer vers l’avant ou elle ne gagner jamais les grands titres. Les coaches sont passés, mais la ligne paternelle est restée. Bertrand Perret, coach de Garcia la saison passée, a lui trouvé comment ancrer suffisamment ces convictions dans le jeu de la Française pour qu’elle en soit entièrement convaincue une bonne fois pour toute. Et que lorsque le navire tangue, elle ait les outils pour le stabiliser.
Garcia les a trouvés à Lyon et les a gardés à Doha, mais la fréquence grésille encore et le relâchement n’est pas complet. La Française, et ça doit quand même être mentalement épuisant par moment, continue de passer beaucoup de temps dans sa carrière à assembler encore et encore les morceaux du même puzzle. En 2023 encore, elle court après le relâchement indispensable au jeu qu’elle a choisi, et en 2023 encore elle essaie de trouver comment se défaire de la pression extérieure.
Le départ de Perret, les attentes des gens, les attentes des sponsors, ce statut de favorite : ça lui a bien plombé son hiver. “J’essaie de gérer tout ce qu’il se passe autour, de me concentrer sur mon tennis. L’intersaison est hyper courte, il n’y pas spécialement de temps pour se remettre dedans et quand tu le fais tu commences par un tournoi super important. Tu te dis déjà qu’il faut que tu soies au taquet et que tu joues comme l’année dernière alors que tu as fait deux matches donc forcément tu ne peux pas avoir le même rythme. Forcément aussi à un moment donné tu as l’extérieur qui te met une pression en plus… Tu as le Grand Chelem qui arrive alors ‘ok les gars mais laissez-moi tranquille deux secondes’ (elle rit). C’est de la bonne pression, mais tu as l’impression que tout va hyper vite et que tu ne peux même plus réfléchir.”
“J’essaie de gérer tout ce qu’il se passe autour, de me concentrer sur mon tennis”, Garcia
Avec un jeu qui ne prône que la haute-voltige, c’est impossible d’être performante si la tête n’est pas claire. Iga Swiatek a expliqué avoir baissé le niveau de ses attentes après l’Open d’Australie afin de retrouver son calme. “J’avais besoin d’un ‘reset’, d’attendre moins de moi, d’arrêter de penser que je devais jouer parfaitement tout le temps, de me dire que si un entraînement se passait mal c’était la fin de tout. La saison dernière avait un peu mis la pagaille dans mon cerveau. J’accepte le fait que ce stress va revenir mais je me concentre sur ce que j’ai à faire sur le court, sur d’autres choses que le tennis, sur ce qui me rend heureuse. Je dois cesser de tout analyser et me souvenir que j’ai besoin de me sentir libre sur le court.”
Caroline Garcia n’est évidemment pas Iga Swiatek mais il y aurait vraiment des pistes à explorer pour la Française dans le jeu et l’approche de la Polonaise. Entre hyper-sensibles, on doit se reconnaître tout de même. On serait même tenté de pousser l’idée de l’inspiration jusque dans le jeu. Ce tennis total imposé par Swiatek en ce moment, c’est quelque part l’idéal que Garcia ne réussit pas à stabiliser. Elle est elle aussi naturellement portée vers l’avant, elle a la puissance, un grand service, la prise de balle ultra précoce mais aussi les qualités physiques pour assumer de garder les deux pieds sur la ligne de fond. Non, elle n’a pas l’énorme lift en coup droit et peut-être pas l’immense – et sous-estimée – intelligence de jeu de la Polonaise. Mais l’ADN de leur jeu est-il si différent que ça ? Quand on voit Garcia en fin de saison passée, qu’a-t-elle de moins qu’Iga dans l’identité de ce jeu qui fait tout gagner ?
L’inspiration Swiatek, alliance du risque et du contrôle ?
On en revient sans doute à l’approche. Quand on demande à Swiatek comment elle a accepté de devenir une joueuse qui prend beaucoup plus de risques, elle repose tout de suite la colonne vertébrale de son jeu, celle qu’elle a refusé de modifier et qui est bien ancrée jusque dans ces neurones. “Je resterai toujours le type de joueuse qui a besoin de se sentir en contrôle. Je ne veux pas basculer dans la recherche de la puissance à tout prix, je veux rester une joueuse solide. Alors même si je joue désormais beaucoup plus vite, je reste une joueuse dont la base est la solidité à l’échange. J’essaie sans arrêt de garder cet équilibre.”
Swiatek a fait en fait le choix…de ne pas choisir. La Polonaise et son équipe ont décidé de prendre le meilleur des deux mondes. Choix sans doute plus facile pour elle, tant la base ultra solide de son jeu avait été cimentée. On peut prendre des risques sur un jeu dont l’identité est scellée et dont le volume est ultra complet. On peut aussi y revenir dans les jours où le risque déraille, où les idées ne sont pas claires. Garcia, elle, essaie plutôt de faire ce que récemment personne n’a réussi à accomplir en Grand Chelem chez les filles depuis Ostapenko à Roland-Garros en 2017, dans la lignée d’une Petra Kvitova à Wimbledon : transformer sa raquette en torche jusqu’au trophée, sans douter, sans reculer, en tentant tout et tout le temps, électrisant les foules au passage. Voilà la nature de l’exploit demandé à Garcia et, si elle y parvient rien qu’une fois, immense chapeau.
Cela demande une absence totale de stress. Cela implique aussi une définition bien particulière d’un jeu agressif qui devient ici un jeu sur un fil, qui cherche à assommer en quelques coups, qui va chercher les lignes, qui fracasse les angles. Garcia n’est pas dans la lignée d’une autre forme de jeu agressif ou c’est la constance de l’agression qui vient étouffer l’adversaire et c’est peut-être là où son curseur pourrait évolué en 2023. Et rendre par conséquent plus facile sa cohabitation avec la pression. Un jeu agressif, un jeu qui met la pression, ce n’est pas toujours un jeu qui tente le tout pour le tout sans arrêt, c’est aussi un jeu qui étouffe par la constance de la pression imposée. Un jeu qui vient faire exploser l’adversaire parce que la pression ne s’arrête jamais. Victoria Azarenka n’est pas moins agressive qu’Iga Swiatek, mais ce n’est pas la même agression.
Aryna Sabalenka, qui a passé des années à enchaîner les crève-coeurs en Grand Chelem en tentant elle aussi ce que cherche Garcia, a fini par mettre une petite dose de contrôle dans son océan de risques. C’est là qu’elle a du coup aussi calmé ses nerfs. Et elle a donc gagné l’Open d’Australie. Caroline Garcia n’a pas moins de tennis que Sabalenka, bien au contraire. Installée dans ce Top 10, la Française a le jeu pour aller chercher les grands titres, elle le sait parfaitement et c’est peut-être aussi ce qui joue avec sa tête encore une fois en 2023. Elle veut faire de cette saison, SA saison : c’est ça qui se joue en ce début d’année sous forme de rampe de lancement. Or, Garcia ne peut pas dompter ce jeu qu’elle a choisi, envers et contre tout, sans une tête froide. C’est l’histoire de sa carrière. Il lui faut de nouveau cette saison compléter ce satané puzzle mais cette fois en le finissant à la super glue.