Anastasia Pavlyuchenkova : “En un an, wouahou ! Le niveau a beaucoup monté”
Après son élimination cette semaine à l’Open 3C de Croissy Beaubourg (60 000 $), la Russe Anastasia Pavlyuchenkova s’est posée avec Tennis Majors pour faire le point sur son récent come-back à la compétition, après une saison 2022 quasi-blanche en raison d’une blessure au genou.
En dehors des conférences de presse obligatoires, il arrive rarement qu’un joueur ou une joueuse accepte de se prêter au jeu de l’interview après une défaite. Anastasia Pavlyuchenkova l’a fait pour nous jeudi soir, dans la foulée de son élimination en quart de finale de l’Open 3C de Croissy Beaubourg (60 000 $) face à la tête de série numéro 1, l’Italienne Lucia Bronzetti (73e mondiale), 6-3, 6-3.
La Russe se satisfaisait malgré tout d’avoir gagné, sur les terrains couverts de la Ligue de Seine-Marne, deux matches d’affilée pour la première fois depuis plus d’un an et un troisième tour atteint à l’Open d’Australie 2022. Une période difficile pour “Nastia”, alors en proie à une blessure au tendon rotulien du genou gauche qui allait finalement compromettre quasi-totalement sa saison, malgré une tentative de retour vite avortée, à Madrid et à Rome. Un an plus tôt, en 2021, l’ancienne championne du monde juniors (et 11e mondiale en 2011) vivait la meilleure saison de sa carrière avec sa finale à Roland-Garros (face à Barbora Krejcikova) et une médaille d’or olympique à Tokyo en double mixte avec Andrey Rublev.
Aujourd’hui, à 31 ans, Anastasia Pavlyuchenkova repart de zéro ou presque. Avec un nouveau staff puisqu’après l’Australie, où elle a effectué son retour sans y gagner un match – défaites d’entrée à Adelaïde et à Melbourne -, elle a cessé de travailler avec son frère pour réintégrer pleinement l’académie Mouratoglou, dont elle a toujours été proche puisqu’elle l’avait rejointe en 2006 à l’âge de 15 ans, et où elle est désormais entraînée par Pierre Debrosse.
Avec pour seul mot d’ordre de ne pas évoquer l’actualité internationale que l’on sait, la Russe, dans un excellent français, nous explique la difficulté de son come-back et la manière dont elle entend le gérer.
Anastasia, vous aviez accordé une longue interview à Alizé Lim pour Tennis Majors à la fin de l’année dernière, alors que vous vous apprêtiez à revenir après de longs mois d’absence. Aujourd’hui, ça y est, vous êtes revenue. Comment vous sentez-vous ?
Plutôt bien. Après, c’est difficile parce que je ne gagne pas beaucoup de matches pour l’instant (avant Croissy-Beaubourg, elle avait gagné son premier match de l’année face à Kuzmova lors des qualifications de Linz, Ndlr). Je sens que c’est encore dur physiquement et mentalement. Il faut dire que j’ai repris sur de gros tournois. Je n’ai pas forcément eu de chance non plus en héritant par exemple de Victoria Azarenka d’entrée à Dubai. Mais je reste positive. Je ne m’attendais pas à tout gagner d’un coup. Je savais aussi que je n’étais pas vraiment prête en janvier pour l’Open Australie. Simplement, l’envie de jouer était la plus forte.
Le plus important, c’est que le genou va bien. Là, je suis contente parce que je sens que je peux pousser davantage. Jusqu’à présent, c’était un peu compliqué. En fait, c’est seulement depuis le courant du mois de mars que je suis en quelque sorte redevenue moi-même. A présent, je vais pouvoir me réentraîner normalement. Donc j’espère être en pleine possession de mes moyens pour la saison sur terre battue.
Cela faisait depuis 2008 que vous n’aviez pas joué un tournoi ITF comme ici, à Croissy-Beaubourg. Quand on a eu votre carrière, n’est-ce pas un peu difficile ?
Si, c’est très, très dur mentalement. En plus, c’est quand même de la pression parce que j’ai besoin de gagner des matches. Ici, à Croissy-Beaubourg, j’ai joué contre des filles pas très bien classées (elle a battu Polina Kudermetova, 140e mondiale, puis la Française Manon Leonard, wild-card et 444e mondiale), c’est dur mentalement parce que tu es obligée de gagner. Finalement, je perds contre une fille qui est top 100 mais à la fin, ce n’était pas si mal.
Avant, une défaite, pour moi, c’était la fin du monde. C’est cela que j’ai envie de changer.
Anastasia Pavlyuchenkova
Lors de cette interview avec Alizé Lim, vous aviez expliqué votre envie de revenir avec un état d’esprit différent d’avant, plus relax, moins négatif. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, non ?
Avant un match, il y aura toujours du stress et après une défaite, il y aura toujours de la déception. C’est normal. Sinon, c’est que tu t’en fiches et dans ce cas, il vaut mieux arrêter. Donc oui, je vois bien que je suis toujours stressée et nerveuse même pour jouer sur un 60 000 $. Mais finalement, j’en suis contente parce que cela veut dire que j’ai toujours cette petite flamme à l’intérieur de moi.
Après, j’ai quand même l’impression d’être un peu plus détachée. Avant, une défaite, pour moi, c’était la fin du monde, un véritable drame. Je pouvais rester cloîtrée dans ma chambre pendant deux jours. C’est ça que j’ai envie de changer : être capable de tourner la page plus rapidement pour repartir au travail très vite.
Vous avez utilisé trois classements protégés, il vous en reste cinq. Comment allez-vous les gérer ?
Je pense que je vais en utiliser pour Madrid, Rome et bien sûr Roland-Garros, à coup sûr. On a le droit à deux Grand Chelems avec un classement protégé donc je devrais sûrement en prendre un aussi pour Wimbledon, parce que cela m’étonnerait que j’intègre le tableau directement avec mon classement (elle est 730e mondiale cette semaine, NDLR). Mais cela dépendra des résultats. Je jouerai certainement davantage des plus petits tournois en Europe, des ITF ou des WTA 250, pour améliorer mon classement, ce qui décidera de la suite des choses.
Cette blessure au genou est arrivée au meilleur moment de votre carrière. Comment avez-vous vécu ça : comme une injustice ou comme la conséquence presque logique d’une période où vous avez énormément puisé, sur le plan physique et mental ?
Pour être honnête, cette blessure, c’était un peu de ma faute. J’ai commencé à avoir des douleurs en 2020, pendant la pandémie. Mais au début, c’était très supportable et je pensais que ce n’était rien de grave. Je n’ai pas vraiment pris ça au sérieux. Donc j’ai continué à pousser.
Lors de la saison 2021, j’avais toujours mal mais j’avais quand même d’excellents résultats donc je ne voulais surtout pas m’arrêter. Même quand je fais finale à Roland-Garros, j’ai des douleurs, je joue tous les jours sous anti-inflammatoires. Pareil lors des Jeux de Tokyo. Après, il y a l’US Open. Puis la Billie Jean King Cup qu’on a gagnée aussi. Bref, ça ne s’arrêtait jamais. Je n’ai jamais pris le temps de faire une pause ne serait-ce que pour faire des examens. Et puis, lors de l’Open d’Australie 2022, j’ai eu extrêmement mal, plus qu’avant. Là, j’ai compris qu’il fallait faire quelque chose. J’ai passé une IRM et le résultat était sans appel.
Avez-vous profité de votre absence pour travailler certaines choses dans votre jeu ?
Oui, j’ai beaucoup travaillé mon service. Je me suis focalisée là-dessus parce que même avant ma blessure, malgré mes bons résultats, je trouvais que mon service était déjà très perfectible. Le problème, c’est que quand on gagne, on ne réfléchit pas. Là, j’ai eu le temps d’y penser, de me poser. J’ai commencé à réfléchir à un travail sur le plan biomécanique. Je sais qu’à 31 ans, ce n’est pas évident d’entreprendre un tel travail mais j’y suis ouverte malgré tout. Je travaille aussi beaucoup sur le plan physique parce que je veux jouer de manière agressive et pour cela, il faut être “fit”.
Roland-Garros 2021, malgré cette défaite en finale, cela reste votre meilleur souvenir ?
Oui, c’est sûr. Roland-Garros, cela reste spécial pour moi. Le fait d’y penser me donne vraiment l’envie de continuer et d’obtenir de nouveaux gros résultats en Grand Chelem à l’avenir. Parce que les émotions que j’ai vécues là-bas, c’était vraiment incroyable.
Iga, c’est un peu la Djokovic du tennis féminin. C’est une joueuse très complète et finalement, elle joue un peu comme un mec
Anastasia Pavlyuchenkova
Cette année-là, sur la route de votre finale, vous battez Rybakina et Sabalenka, qui sont les deux meilleures joueuses de ce début de saison 2023, même si Swiatek reste numéro 1. Cela vous surprend de les voir à ce niveau ?
Non, pas du tout. A l’époque, les deux jouaient déjà très bien et j’avais eu des matches très difficiles contre elles. Rybakina, je la bats 9-7 au troisième set, c’était “juste” d’autant que j’étais derrière quasiment tout le match. Son service et ses coups de fond de court étaient déjà supers. Depuis, c’est surtout sur le plan mental qu’elle a progressé. On sent qu’elle a vraiment pris confiance depuis son titre à Wimbledon, ça se voit à son attitude sur le terrain. Sabalenka, c’est un peu le même profil, un jeu très puissant, très agressif, avec un service incroyable. Dans le tennis féminin, si tu sers comme Sabalenka ou Rybakina, c’est presque suffisant pour être top 10… Presque, seulement !
Entre ces deux-là et Iga Swiatek, qui est la plus forte ?
Iga, je la mets un peu à part parce qu’elle est installée depuis plus longtemps. Cela fait un moment qu’elle gagne presque tout. C’est un peu la Djokovic du tennis féminin. C’est une joueuse très complète et finalement, elle joue un peu comme un mec, un peu d’ailleurs aussi comme Barty qui était numéro 1 avant elle, avec beaucoup de lift, de kick, de slices, etc. Des effets que l’on voit moins chez les filles. Et puis surtout, elle bouge extrêmement bien, elle défend de manière incroyable et en même temps, dès qu’elle le peut, elle agresse. Donc c’est difficile.
Vous qui avez joué sur plusieurs générations et affronté de nombreuses anciennes grandes championnes, comment évaluez-vous le niveau du tennis féminin aujourd’hui par rapport à avant ?
Je vais vous dire : j’ai dû mal à comprendre parfois les anciennes légendes qui n’ont pas joué depuis vingt ans ou plus et qui font des comparaisons entre les époques. Parce que le tennis change tellement ! Là, je reviens, je n’ai pas joué depuis un an et wouahou ! J’ai l’impression que le niveau général a encore beaucoup monté.
Parmi les championnes du passé que j’ai côtoyées, Serena Williams reste évidemment unique. Après, Rybakina et Sabalenka, c’est très, très fort. On entend souvent beaucoup de commentaires sur la soi-disant instabilité du tennis féminin qui fait que tout le monde peut gagner. Mais elles, cela commence à faire un moment qu’elles enchaînent…