Plus de 15 ans d’écart et une marge infime : pourquoi Djokovic – Alcaraz est une rivalité qui vous fascine
Le tennis mondial ne peut pas posséder deux numéros un mondiaux, comme il en donne l’impression depuis neuf mois. Carlos Alcaraz espère prouver, en finale de Wimbledon, que le trône de Novak Djokovic est plus fragile qu’il n’en a l’air.
Ne cherchez pas : vous n’avez jamais vu ça dans le tennis masculin. Vous avez vu des matches de légende entre génies au sommet de leur art – des Nadal – Federer, des Djokovic – Nadal, des Djokovic – Federer… Vous avez vu des membres de la “Next Gen” saisir leur chance contre ces légendes des soirs où un air de surprise flottait, comme quand Daniil Medvedev a battu Djokovic en finale de l’US Open 2021.
Vous avez vu, bien sûr, des jeunes loups débouler sans prévenir et se faire une place parmi les grands en dégommant de aînés de quelques années : le McEnroe de 1979, le Becker de 1985, le Sampras de 1990, voire le Hewitt et le Safin de 2000-2001 avant le Nadal de 2005.
Mais une rivalité pour les sommets entre deux joueurs ayant presque 16 ans d’écart (15 ans et 349 jours), ayant pu donner l’impression récemment que le tennis ne s’était jamais pratiqué à un niveau aussi haut : ça, jamais. La finale de Wimbledon entre Djokovic, 36 ans, et Alcaraz, 20 ans, est une finale de Grand Chelem qui a tout, sur le papier, pour figurer dans les livres d’histoire, après avoir fait la “une” de l’actualité.
Pour s’en convaincre, il faut prendre un peu de hauteur, se soustraire à l’excitation du moment et regarder ce que sera le paysage lundi matin.
Après la finale de Wimbledon, lundi matin…
Soit Djokovic remporte son huitième Wimbledon (comme Federer), son 24e Grand Chelem (comme Margaret Court), le troisième sur trois cette saison, le quatrième consécutif parmi ceux qu’il a pu disputer (il n’avait pas pu s’aligner à l’US Open 2022), et le Serbe pourra continuer à ironiser gentiment au micro sur ces jeunes générations qui s’esquintent à tenter de lui barrer la route mais n’y parviennent pour l’instant pas.
Soit Alcaraz remporte son deuxième titre du Grand Chelem, prive Djokovic de l’idée d’un Grand Chelem calendaire, conserve sa première place à l’ATP sans le bémol qui l’escorte depuis qu’il s’en est saisie pour la première fois en septembre dernier (“oui mais Djokovic n’a pas les points de Wimbledon”), égalise à 2-2 avec son rival serbe sur les quatre dernières levées majeures, et alors ses temps de passage redeviendront prodigieux, et ses déclarations spontanées sur son envie de se mesurer à Djokovic, légitimes.
“Contre n’importe qui d’autre, je dirais que Djokovic ne peut pas perdre cette finale, mais ce gamin est hors catégorie”, nous disait dimanche à Londres un grand connaisseur de la carrière du Serbe. Rien à voir, en tout cas sur le papier, avec le Rosewall – Connors de 1974 que connaissent les historiens les plus pointus : l’Américain de 21 ans avait corrigé l’Australien de 39 ans dans des proportions qui ne semblent pas pouvoir se reproduire à Londres (6-1, 6-1 6-4). Rosewall n’était que tête de série n°9.
L’occasion unique d’Alcaraz
Alcaraz tient une occasion unique, presque inespérée au vu de son manque d’expérience sur gazon, de donner corps au jugement de Medvedev selon lequel l’Espagnol était fait du même bois que les membres du Big Three. Comme eux, il a remporté sa première finale de Grand Chelem. Mais ses temps de passage, qui étaient comparables à ceux de Nadal jusqu’à Roland-Garros 2022, paraissaient subir un léger décrochage depuis sa défaite en quart de finale à Paris cette année-là.
Avec deux titres majeurs à 20 ans, sur deux surfaces différentes, il redeviendrait un phénomène en cas de succès à Wimbledon. Il deviendrait même seulement le troisième joueur depuis Boris Becker en 1985 et 1986 et Björn Borg en 1976 à gagner Wimbledon avant 21 ans.
Ses crampes à Roland-Garros ne doivent pas faire oublier qu’Alcaraz peut regarder Djokovic dans les yeux sur le strict plan de l’expression tennistique. A Madrid en 2022, il l’avait battu sans caler dans les moments-clefs. A Paris cette année, s’il a probablement mal appréhendé la roublardise du Serbe qui avait fait de lui le favori du tournoi et ainsi fait le lit de sa nervosité en demi-finale, il avait poussé Djokovic à la limite de ses possibilités physiques, de l’aveu même du futur vainqueur de la Coupe des mousquetaires, en 2 heures 30 de bataille sur terre.
La logique de l’histoire voudrait qu’Alcaraz patiente. Nadal n’avait remporté Wimbledon qu’à sa troisième tentative en 2008 et avait au besoin de deux finales perdues contre le maître des lieux, Federer, pour triompher sur gazon. Carlitos se dit convaincu que son heure peut sonner dimanche sur le Center Court, à deux mois de la défense de son premier titre majeur, cette fois avec Djokovic dans le tableau.
Reste que les cartes sont probablement dans les mains de Djokovic. Cette année, en Grand Chelem, il a affiché le visage d’un joueur capable de se hisser au niveau requis pour faire basculer les rencontres, quel que soit son niveau du jour J. Au bras de fer, il battra probablement Alcaraz, lequel n’a une réelle chance que s’il mue le match en combat de boxe et conduit son adversaire au K.-O., comme en quart contre Rune et en demi contre Medvedev, deux joueurs qui ont contesté la dictature de Djokovic récemment sur le circuit.
Si ce match a l’odeur des sommets, ce n’est pas parce qu’un joueur de 20 ans saisit sa chance avant les autres. C’est parce que Djokovic est en train d’inventer un nouveau prototype de champion de tennis : celui du plus de 35 ans auquel il a pu être demandé en conférence de presse après a demi-finale : “Avez-vous déjà aussi bien joué au tennis ?”. Jamais vu ça, on vous dit.