Mpetshi Perricard : « Mon jeu ne se résume pas à des aces »
Qualifié pour les huitièmes de finale et poussé par une hype perceptible à Wimbledon, le Français Giovanni Mpetshi Perricard bonifie son bagage à chaque tour et rêve de retrouver son ami Arthur Fils en demi-finale.
C’est une scène assez rare pendant les conférences de presse calibrées au millimètre des tournois du Grand Chelem. Entre deux questions, un journaliste français se saisit de son smartphone et montre à Giovanni Mpetshi Perricard l’image de son pote Arthur Fils, vainqueur de Romain Safiullin quelques secondes plus tôt.
Les deux amis, âgés de 20 ans, sont en huitième de finale d’un majeur pour la première fois. Mpetshi Perricard affronte Lorenzo Musetti ce lundi à midi (heure française) sur le court n°2. Fils tentera sa chance contre De Minaur à 14 heures sur le court n°1. « Je suis content pour lui et j’espère qu’on va se retrouver en demi-finale », lâche sans complexe Mpetshi Perricard, qui va faire son entrée dans le Top 50 à l’ATP (44e au moins), après avoir débuté l’année à la 205e place.
Pour y parvenir, il devra se défaire de Lorenzo Musetti, puis Alexander Zverev ou Taylor Fritz. Fils, de son côté, devra écarter De Minaur puis Djokovic ou celui qui aura fait éclater son tableau (Popyrin, Rune et Halys ont encore ce pouvoir). En un mot : pour une demi-finale en Grand Chelem dès Wimbledon 2024, c’est tendu sur le papier. Mais en force d’engranger de la confiance et des repères nouveaux à chaque tour, plus personne ne s’interdît grand chose, et surtout pas un épisode qui, pour le tennis français, rappellerait le Clément – Grosjean de l’Open d’Australie 2001.
« Jusqu’où vous voyez-vous aller dans ce Wimbledon ? » La question posée à Mpetshi Perricard par le journaliste de New-York Times à Londres porte en elle le côté « tout est possible avec un tel phénomène » qui s’est emparé de quiconque a vu jouer le Français cette semaine. « Je ne sais pas, je ne pense qu’à mon prochain match. J’ai déjà perdu contre Musetti (deux fois, dont une fois à Stuttgart sur gazon cette année), donc il y aura forcément des choses à corriger. »
« Choses à corriger ». L’expression revient une réponse sur deux chez le nouveau protégé de Stéphane Planque, dont l’exigence a trouvé chez Mpetshi Perricard un terrain d’expression plein de répondant. Avec le recul, la défaite de Mpetschi Perricard contre Maxime Janvier au dernier tour des qualifications de Wimbledon reste quasiment incompréhensible, tant le Tricolore, repêché après le forfait d’Alejandro Davidovich Fokina, possède un côté rouleau compresseur – exception faite d’un peu de stress au début du premier set de son troisième tour de samedi contre Ruusuvuori, qui a débouché sur la perte de son jeu de service et du set.
« C’est le tennis. Tu perds contre Janvier et tu bats Korda trois jours après. Les écarts sont très faibles dans le tennis de haut niveau. Entre un 150e et un 90e mondial, il y a très peu de différence. Contre Janvier (225e mondial), je n’avais pas bien retourné. Je m’étais dit que j’allais devoir changer des choses sur ce volet-là, et j’ai réussi à le faire dès le premier tour contre Korda (21e). C’était la faille dans mon jeu, celle qui ne me permettait pas de battre un bon serveur comme Janvier. J’ai corrigé le tir. »
Le staff de Musetti le sait forcément : le retour de service reste le point faible du Français à Londres – et en général. Son revers à une main y est pour quelque chose. « Si je devais emprunter un coup chez John Isner, ce serait son retour en revers à deux mains », a-t-il répondu à un reporter américain qui l’interrogeais sur l’influence de l’ancien vainqueur de Miami (2018).
La surface met en valeur mon service. Mais j’ai gagné mon premier titre ATP sur terre battue (à Lyon, en mai). Avec seulement des aces ç’aurait été dur.
Giovanni Mpetshi Perricard
Toutes les stats disponible sur le jeu pratiqué à Wimbledon 2024 renvoient à la différence entre l’efficacité inouïe de son service et une relative fragilité au retour. Cela ne l’a pas empêché de remporter 9 jeux de service adverse en 22 occasions (soit 41% de réussite sur ses balles de break, au-delà de la moyenne du tournoi qui se situe à 35). Avec 15% de jeux de retour remportés, ils se situe en revanche juste en-dessous de la moyenne du tournoi. Chose intéressante à ce sujet : les deux joueurs rescapés dans le tableau qui possédaient un taux inférieur au sien avant le troisième tour étaient Musetti et son adversaire, Comesana.
Le tour suivant pourrait ne pas améliorer les stats de l’Italien, car si Mpetshi Perricard fascine son monde à Wimbledon, c’est en raison de cette énorme qualité de frappe au service qui rappelle l’impression laissée le jeune Goran Ivanisevic au moment de son éclosion en 1990. Une farandole de stats en atteste :
- Mpetshi Perricard domine le classement du nombre d’aces (105, soit 39 de plus que Bublik, son poursuivant) ;
- Il est le deuxième au nombre de services non retournés avec 60%, derrière Dimitrov et Fritz (61%), le premier parmi les joueurs encore en lice sur les deuxièmes balles non retournées (42%) ;
- Il a envoyé le parpaing le plus lourd du tournoi (225 km/h) à égalité avec Ben Shelton ;
- Seul Zverev, avec aucun break concédé, le devance à ce classement ainsi qu’à celui de balles de break sauvées (13 sur 14 pour le Français) ;
« Mais mon tennis ne se résume pas à servir des aces », a cependant répondu, presque vexé, Mpetshi Perricard quand on lui demandait à quoi il attribuait la hype qui l’entoure. « S’il n’y avait que des aces, ce serait difficile d’être en huitième de finale. La surface met en valeur mon service. Mais j’ai gagné mon premier titre ATP sur terre battue (à Lyon, en mai). Avec seulement des aces ç’aurait été dur. »
Je me suis prouvé beaucoup de choses à moi-même cette semaine, notamment sur la distance des cinq sets. J’ai les ressources pour maintenir ce niveau-là.
Giovanni Mpetshi Perricard
« L’attention autour de moi, je ne la sens pas trop. Je ne suis pas trop sur les réseaux sociaux, je ne gère pas mon Instagram moi-même. Je parle surtout au premier cercle de mes potes et ça se ressent dans le soutien au bord du court, ça je le sens. Je me suis prouvé beaucoup de choses à moi-même cette semaine, notamment sur la distance des cinq sets. J’ai les ressources pour maintenir ce niveau-là. »
Ces ressources, elles sont nombreuses, et toutes les rencontres du joueur avec les journalistes à Londres n’ont pas suffi à les lister. A Wimbledon, il recueille notamment les fruits de son travail au filet. « On a fait du travail spécifique à la volée. On a passé du temps sur ma tenue de raquette et sur l’approche. Depuis le premier tour contre Korda, je suis assez bon là-dessus. Il a des volées ou je peux faire mieux, mais je trouve que les services-volées, ça marche bien jusqu’ici. » Un point de service sur cinq est suivi au filet par le Français (20%). Seul Shelton, parmi les joueurs rescapés, adopte davantage ce schéma (28%). Son taux de réussite il est de 79%, au-dessus de la moyenne du tournoi (69%).
« Et puis », conclut-il, « il y a aussi mon coup droit ». « J’ai beaucoup progressé dan ce secteur. Tenter, c’est un peu la base de mon jeu. Donc quand je tente le point gagnant, je m’applique pour trouver beaucoup de précision et ça me réussit bien pour l’instant. »
L’autre jour, un coach présent à Wimbledon nous montrait des stats fournies par le tournoi, comme on montre un secret. Sur certains aspect de son jeu, notamment celui-ci, la qualité des coups de Mpetshi Perrichard au cours des deux premiers tours était égale à celle de Sinner depuis le début de saison. La hype qui l’entoure ne s’exerce pas uniquement sur les réseaux sociaux. Dans le player’s lounge, on murmure aussi le nom de Mpetshi Perricard comme un phénomène au potentiel encore inexploré.