« Le premier point, c’est une balle de match » : comment l’UTS change tout le mindset du joueur de tennis
L’UTS4 a imposé des règles encore plus radicales que sur les éditions précédentes et sacré un Corentin Moutet au style qui détonne sur le circuit ATP, mais en phase avec le format. Ce qui interroge sur les changements en profondeur que subirait le tennis si l’UTS devait s’imposer comme le circuit principal à terme.
Il ne pouvait pas y avoir meilleur coup de pub pour l’Ultimate Tennis Showdown que la victoire de Corentin Moutet lors de sa quatrième édition. Patrick Mouratoglou avait promis une révolution, ç’en est une. Jamais le Français n’a gagné le moindre tournoi sur le circuit ATP et il était le moins bien placé au classement des huit participants cette semaine (72e mondial lundi). Mais le format de l’UTS a ouvert une brèche dans laquelle Moutet, vainqueur de ses cinq matchs de la semaine, s’est engouffré avec plaisir.
« Je pense que c’est un format idéal pour moi, ça me pousse à être un meilleur joueur », a reconnu The Tornado dans la foulée de sa victoire, au micro de Jenny Drummond et Max Whittle, commentateurs pour l’UTS.
L’inversion du rapport de forces interroge sur ce que serait le tennis si l’UTS devenait un jour le circuit de référence. Le jeu de tennis resterait le même, mais avec un produit proposé aux fans complètement repensé, les séquences à mettre en place pour y briller aussi.
Les gros serveurs dépossédés de leur meilleur atout et contraints de s’adapter
C’était déjà le cas lors des trois premières éditions de l’UTS, ça l’était encore davantage pour cette quatrième, avec l’instauration d’une innovation qui a bouleversé les équilibres : un seul service autorisé par point, au lieu des deux immuables dans les règles du tennis depuis 1877. Plus de 140 ans d’histoire ne s’effacent pas d’un coup de raquette et les gros serveurs, qui pullulent sur le circuit depuis que le sport a pris une nouvelle dimension physique, se sont retrouvés dépossédés de leur meilleur atout.
« Tu m’enlèves le service à moi, à Medvedev ou à Bublik, ça rend les choses bien plus difficiles pour nous, avoue Taylor Fritz. Ceux qui performent ici à UTS4 ont une bonne seconde balle et sont de bons relanceurs. C’est bien pour eux de ne pas avoir à retourner les premiers services puissants sur lesquels on s’appuie. »
Finaliste malheureux de l’UTS4, Fritz s’est adapté au fil des matchs en déplaçant son agressivité du service à son premier coup de raquette dans le jeu, en retour ou derrière son engagement, comme il nous l’a expliqué. Ce pari offensif dans l’échange lui a régulièrement permis de tirer le meilleur parti de ses cartes UTS.
« L’utilisation des cartes amène à être plus offensif, à être plus agressif dans le jeu, analyse Laurent Reymond, le coach de Corentin Moutet. C’est de l’audace. Il faut oser à l’UTS. »
C’est ainsi tout un modèle que les joueurs se doivent de repenser.
« Sans service, nous n’avons pas de tactique, reconnaît Alexander Bublik. Dans mon jeu, quand je me prépare pour mes adversaires, la première chose que me dit mon coach, c’est : ‘Aujourd’hui tu sers comme ça, et demain tu sers comme ça’. Tout mon jeu repose sur des schémas en deux ou trois coups. Là, il ne sait plus quoi dire, parce que je fais une cloche au service et je lance le rallye. (…) Un seul service, ça ne te donne pas d’avantage sur les longs rallyes et ça me fatigue parce que je n’y suis pas habitué. »
Il faut rester très lucide par rapport à ce format, sinon on peut vite perdre pied et vriller
Laurent Raymond, coach de Corentin Moutet
L’aspect physique évolue radicalement entre des matchs sur le circuit ATP qui peuvent durer plus de deux heures, et potentiellement davantage en Grand Chelem, et des matchs UTS dont la durée ne dépassera pas les 32 minutes de temps de jeu, hors éventuelle mort subite.
L’UTS n’en est pas moins énergivore, c’est simplement un effort différent.
« Il y a moins de récupération entre les points, et la rotation se fait toutes les huit minutes, ce qui est souvent supérieur à ce qui peut se passer en deux jeux, nous souffle Laurent Raymond. Il faut se préparer à mettre plus d’intensité, avec des efforts plus violents. On n’est pas dans la durée, on est sur une séquence courte d’environ 45 minutes où l’effort physique et psychologique est intense. »
C’est un changement de paradigme par rapport à un sport devenu au fil des années un test de résistance athlétique autant qu’un duel technique.
« On sort de la filière qu’on essaye de développer : être endurant dans l’explosivité. Il y a une notion d’explosivité ici, mais la dimension cardio est importante, glisse Laurent Raymond. Il faut rester très lucide par rapport à ce format, sinon on peut vite perdre pied et vriller. Il faut garder une cohérence cardiaque sur le court pour bien traiter toutes les informations, y compris observer ce qu’il se passe en face avec l’adversaire et être plus roublard que lui dans l’utilisation des cartes. »
Envoyé dans l’arène mardi en remplacement de Grigor Dimitrov, Nicolas Mahut s’est laissé emporter par le rythme infernal imposé par le format, entre les 15 secondes autorisées entre chaque service, contre 25 sur le circuit ATP, et la foule de paramètres à analyser dans un temps ultra-rapide.
« J’ai vite été en panique, a concédé Le Mousquetaire, encore marqué par l’intensité de l’effort dans la foulée de sa défaite sèche en trois quart-temps contre un Bublik qui avait l’avantage d’avoir déjà deux matchs UTS dans les pattes. J’ai été très surpris, tout le temps pris de court. Ce n’était pas tellement intense physiquement, mais ça va très vite dans la tête. D’habitude j’ai besoin de réfléchir un peu, de me poser, de penser à ce que je vais faire. Je suis incapable de te donner le score du match parce que je n’ai pas eu le temps de réfléchir. J’ai l’impression d’avoir été en apnée pendant trois fois huit minutes. »
Moins de temps faibles, des points importants d’entrée…
C’est un exercice de concentration ultime auquel sont soumis les joueurs se frottant à l’UTS. Aussi parce qu’il n’y a plus les temps faibles parfois observés dans les matchs classiques. Les premiers points du match sont d’autant plus cruciaux, entre l’absence d’échauffement sur le court et l’importance de prendre un bon départ pour enclencher une dynamique positive.
« Tu dois transpirer quand tu arrives sur le court, tu dois être prêt, comme si tu avais déjà joué 30-40 minutes, parce que c’est un match très court et tu ne peux pas donner trop de points en début de match », estime Pierre Debrosse, qui était l’entraîneur de Cristian Garin pour la durée de l’UTS.
« Le premier point, c’est une balle de match, il n’y a pas de round d’observation », appuie Laurent Raymond.
Une fois la lessiveuse enclenchée, il faut rester le plus froid possible dans son analyse de chaque situation. Le format récompense les joueurs qui sont les mieux connectés à leurs émotions, les mieux préparer pour les gérer.
« Ça permet de repousser les limites, parce qu’il faut rester lucide et traiter les informations très vite, indique Laurent Raymond. On a vite fait de perdre pied, il suffit d’être absent sur deux ou trois points, on ne revient pas sur un quart-temps. »
Moutet, qui s’adonnait à des séances de pranayama (la technique de respiration associée au yoga) dans les temps de pause lors des deux premiers UTS, fait partie des joueurs qui ont déjà intégré cet aspect à leur préparation. D’où sa facilité à s’épanouir dans le format UTS.
Nous étions humains, nous étions authentiques et je pense que c’est très important.
Corentin Moutet
Même chose pour la liberté totale laissée aux joueurs par Mouratoglou, qui écarte d’un revers de main le code de conduite imposé sur le circuit ATP pour poser un cadre bien plus souple. Les joueurs comme Moutet ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils ne se sentent bridés pour exprimer ce qu’ils ont au plus profond d’eux-mêmes.
« J’adore être libre sur le court, reconnaît Moutet. Nous étions humains, nous étions authentiques et je pense que c’est très important. »
« C’est pour ça que cette compétition existe, pour qu’il y ait des personnages et des caractères qui s’expriment », enfonce Mahut.
Pour le coup, le pari est réussi : les joueurs s’affichent dans leur entièreté, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs moments de fragilité. Les interviews en plein match en sont un, surtout après un quart-temps perdu. Imaginer les joueurs se retrouver sur le grill trois fois par match, au sus de son adversaire et d’un stade plein à craquer, serait pour Laurent Raymond l’aspect UTS qui pourrait susciter le plus de réticences chez les principaux intéressés.
« C’est ce qui pourrait perturber le plus un joueur, parce que le jeu n’amenait pas ça auparavant. C’était un moment off, où le joueur essayait de se ressourcer et était seul. Venir l’interviewer, c’est la chose qui pourrait être la plus sympa pour le spectacle, mais la plus difficile pour le joueur. »
Se mettre en avant, ce n’est pas encore naturel chez les coachs
Echanger constamment avec son entraîneur est un autre facteur potentiellement perturbant pour le joueur. Invité à s’asseoir sur le banc, comme en match par équipes, à la différence qu’il est équipé d’un micro ouvert en permanence sur l’UTS, le coach est incité par Patrick Mouratoglou à prendre une place centrale dans le déroulement des matchs. Mais faire la bascule entre le rôle de l’ombre qui est le leur historiquement et une exposition plus grande n’est pas si simple. Sur les deux jours de l’UTS4, peu d’interactions joueur-coach ont réellement marqué les esprits.
« Notre métier, ce n’est pas d’être présent pendant le match, enfin avec notre joueur, mais pas autrement, jugeait Laurent Raymond, absent lors des deux jours de l’UTS, avant le début de la compétition. Ça fait trente ans que je fais ça. »
Mais certains coachs ont quand même trouvé un créneau pour apporter un plus à leur joueur. Certains se faisaient entendre, encourageaient par la voix et les gestes. D’autres évaluaient la meilleure stratégie à adopter pour maximiser l’utilisation des cartes.
« Cristian me demandait de l’aide sur les cartes, raconte Pierre Debrosse. Il se concentrait sur le tennis. C’est aussi un rôle important du coach, de réfléchir aux cartes pour son joueur, pour qu’il puisse se focaliser à 100% sur son jeu. »
Parce qu’à la fin, à l’UTS encore plus que sur les circuits traditionnels, ce n’est que du tennis. Mais un tennis avec des codes nouveaux, avec pour ambition de régénérer le sport et renouveler la base de suiveurs en rebattant les cartes. Sur le court et pour le sport en général.