Mouratoglou : « Aujourd’hui, Serena ne peut pas courir »
L’entraîneur de Serena Williams, Patrick Mouratoglou, raconte à Tennis Majors la course contre la montre menée et perdue par l’Américaine entre Wimbledon et l’US Open. Il lui manquait deux semaines, nous dit-il.
Quand nous nous étions parlés après l’abandon de Serena à Wimbledon, tu nous avais dit que tes émotions étaient connectées aux siennes. Que ressens-tu après ce forfait pour l’US Open qui est, vraisemblablement, une terrible déception ?
Patrick Mouratoglou : C’est évidemment très décevant. Mais cette fois, ce n’est pas une surprise. Il n’y a pas l’effet couperet de Wimbledon. Nous étions dans un processus de tentative de guérison avant l’US Open. On savait qu’on avait du retard. On a tenté notre chance jusqu’au bout en faisant tout ce qu’il était possible de faire. Mais les chances de jouer s’amenuisaient jour après jour. Serena a fait une IRM (pour déchirure à l’adducteur côté droit, ndlr) il y a dix jours, qui a montré que sa blessure était partiellement résorbée, mais pas totalement, et de façon très insuffisante pour pouvoir bouger. Quand tu es à vingt jours d’un événement majeur et que tu n’as pas sprinté depuis cinq ou six semaines, tu sais que c’est mal parti. On avait planifié un point la semaine qui précède l’US Open, maintenant donc. On espérait qu’elle serait capable de se déplacer sur un court sans douleur. Sans cela, ça n’avait plus de sens. Le forfait est le résultat d’une longue évolution, qui ne va pas dans le mauvais sens, mais qui prend plus de temps que prévu.
Elle était en retard, viens-tu de nous dire. En retard par rapport au protocole de guérison ? Ou en retard tout simplement parce que la course n’était pas gagnable à cause des deux mois de délais ?
Patrick Mouratoglou : L’équipe médicale autour d’elle avait imaginé tout un protocole pour qu’elle arrive à jouer l’US Open. Chaque semaine, il devait y avoir des évolutions dans ce qu’elle serait capable de faire. On savait que s’il y avait le moindre pépin, on serait en retard. A un moment, il y a eu un petit retour en arrière dans le déroulé. Il nous a coûté quinze jours. On les paye maintenant. Si l’US Open avait eu lieu dans trois semaines, il aurait été envisageable de jouer. Aujourd’hui, ça ne l’est pas.
Mouratoglou : “Si elle joue, elle prend un risque pour son avenir”
Qu’a-t-elle pu faire exactement pour se préparer entre Wimbledon et l’US Open ?
Patrick Mouratoglou : Tout s’est passé chez elle en Floride, à Palm Beach. J’ai rejoint Serena et l’équipe physique un mois avant l’US Open. Elle a fait tout ce qu’elle pouvait faire : des soins quotidiens et la partie de préparation physique qu’elle pouvait effectuer pour perdre le moins de temps possible. Au bout d’un moment, elle a pu frapper la balle sans aucun mouvement, vraiment aucun. Ça a duré deux semaines. La semaine dernière, elle a commencé à bouger un peu dans des périmètres restreints, mais avec des douleurs qui rendaient des courses normales de joueuse de tennis inenvisageables (vous pouvez voir ces séquences d’entraînement dans notre social highlights). On a bien veillé à ne pas solliciter cette zone musculaire. Mais malgré tout, elle est dans l’incapacité de courir aujourd’hui. Si elle court avec une douleur, cela veut dire qu’il y a un vrai danger d’aggraver la blessure. Cela veut dire aussi ne pas pouvoir s’entraîner à 100%. Mais le point le plus important, ce n’est pas qu’elle n’est pas prête, c’est que si elle joue, elle prend un risque pour son avenir.
Dans sa déclaration publique, elle dit avoir suivi l'avis de son équipe médicale. Comment s’est passé ce processus de décision collectif ?
Patrick Mouratoglou : On a pris des avis médicaux, et l’avis médical a été clair : « Si tu joues, tu cours un véritable risque ». Ensuite on a discuté. Parce que Serena veut toujours jouer, elle a toujours l’impression qu’elle abandonne si elle n’y va pas. Elle est comme ça. Il a fallu la raisonner un peu. Mais oui, c’était une décision collective dans le sens où l’avis médical a beaucoup compté.
Mouratoglou : “Quarante ans, c’est difficile pour le sport de très haut niveau”
Elle dit aussi « A bientôt » à ses fans. Que sais-tu de la possibilité de voir Serena rejouer en 2021, en 2022 ou éventuellement plus du tout ?
Patrick Mouratoglou : Je n’en sais rien, ce n’est pas une discussion qu’on a eue. On n’a parlé que de l’US Open qui était le dernier objectif de la saison. Il va falloir qu’elle digère d’abord, ensuite on parlera de la suite. Je n’ai aucune certitude ni dans un sens ni dans l’autre.
A quelques jours d’écart, les légendes Roger Federer et Serena Williams déclarent forfait pour le dernier Grand Chelem de l’année, pour blessure, malgré une volonté intacte de jouer et gagner. Qu’est-ce que cela nous dit du tennis de haut niveau après quarante ans (Serena les aura le 26 septembre, ndlr) ?
Déjà, personne n’imaginait que ces joueurs puissent jouer à quarante ans. Il y a un phénomène nouveau, qui est la capacité à jouer plus longtemps, au-delà de 35 ans, grâce à leur professionnalisme total, mais ça reste une course contre la montre. Quarante ans, c’est difficile pour le sport de très haut niveau. Surtout pour le tennis qui est un sport ultra exigeant. Les blessures sont de plus en plus fréquentes, le temps de remise en forme est plus long, ce qui limite le temps de jeu réel en tournoi et rend les choses de plus en plus compliquées.