Gros coup droit, gros moteur mais des styles bien différents : ce qui rapproche et dissocie Ruud d’Alcaraz
Carlos Alcaraz et Casper Ruud, qui se disputeront ce soir leur premier titre du Grand Chelem – et la place de numéro un – en finale de l’US Open, s’appuient tous deux sur une filière assez voisine, reposant notamment sur le coup droit et l’intensité physique. Ils ont pourtant beaucoup de différences, certaines flagrantes, d’autres nichées dans le détail des statistiques…
Qu’est-ce qui fera la différence entre Carlos Alcaraz et Casper Ruud ce dimanche soir en finale de l’US Open (22 heures françaises) ? Le classement et le niveau de jeu “absolu”, en tout cas celui qu’on lui promet et qu’on l’a vu pratiquer, par séquences, durant cet US Open, penche plutôt du côté de l’Espagnol. L’expérience et la fraîcheur physique plutôt du côté du Norvégien. La gestion nerveuse de l’événement ? On n’en sait fichtrement rien.
Reste la partie purement technico-tactique, qui n’est quand même pas la moins importante, même si l’on sait bien qu’une finale de Grand Chelem est souvent bien plus qu’une “simple” question de tennis. On a beau avoir là deux joueurs qui semblent ne pas susciter les mêmes émotions auprès du public – c’est même le jour et la nuit entre la bestialité sauvage du plus jeune et la froideur pudique de l’aîné -, ils s’appuient néanmoins tous deux sur une filière de jeu qui n’est pas aux antipodes. Et qui serait même plutôt proche.
Alcaraz et Ruud, deux énormes gifles en coup droit
Leurs forces, on les connaît. Surtout celles de Ruud : une énorme gifle de coup droit, avec lequel il décoche en moyenne 65% de ses frappes quitte à se décaler parfois dangereusement côté revers ; et une intensité physique jamais prise à défaut, à l’image de ce terrible échange de 55 coups de raquette au terme duquel il a décoché, sans le moindre essoufflement apparent sur son visage, un imparable revers long de ligne pour remporter le premier set de sa demi-finale face à Karen Khachanov, et probablement assommer le Russe.
Pour Alcaraz, c’est un peu plus complexe, sans doute aussi parce que c’est un peu plus complet, même si le prodige de Murcie se signale avant tout par sa puissance de feu et sa vitesse de déplacement supersonique, tout comme son endurance désormais à toute épreuve qui a eu tout loisir d’être testée durant cet US Open éreintant. Lui aussi étouffe ses adversaires par l’intensité qu’il met dans chaque échange – sera-t-il toutefois capable d’en mettre autant ce dimanche, après avoir déployé tant d’efforts ? – et son coup le plus fort est incontestablement le même que Ruud : le coup droit. La guerre de la “diago” s’annonce rude…
Un jeu plutôt asymétrique, donc, efficace en diable côté coup droit et plus friable côté revers. Voilà pour la principale similitude entre le tennis de Casper Ruud et celui de Carlos Alcaraz. Qui, lors de leur demi-finale remportée respectivement face à Karen Khachanov et Frances Tiafoe, ont poussé cette similitude jusqu’à présenter exactement la même vitesse de balle moyenne en coup droit lifté (79 m/h, soit 127 km/h) et en revers lifté (72 m/h, soit 115 km/h). Foi de statistiques que vous n’avez pas vues chez les diffuseurs, mais auxquelles Tennis Majors a eu accès.
Maintenant, ces mêmes statistiques nous enseignent aussi que Ruud et Alcaraz ont une manière différente de se servir de ces deux coups de base du fond de court. Le Norvégien, qui est désormais la référence absolue du circuit en la matière, fait tourner la balle un peu plus en coup droit (3243 tours/minute, contre 3005) et beaucoup plus en revers (2618, contre 1397).
Alcaraz refuse moins le revers
Lien de cause à effet ou pas, surprise ou pas, Ruud commet aussi un peu plus de fautes directes en coup droit, et Alcaraz un peu plus en revers. Revers qu’il “refuse” moins, il est vrai (41% de revers frappés en moyenne à l’échange en demi-finale, contre 36% au Norvégien). En clair, la bataille de la “diago” s’annonce rude…
Celle du service aussi. Dans ce secteur du jeu, le Norvégien a été plus efficace depuis le début du tournoi, avec un meilleur total d’aces (36 contre 27 pour l’Espagnol, qui a pourtant eu des matches plus longs) et un pourcentage nettement meilleur de points gagnés derrière sa première balle (76,9% contre 67,5%).
Visuellement, le service d’Alcaraz est pourtant plus “flashy”, avec une première balle qui va plus vite en pointe de vitesse et ce kick énorme en deuxième balle. Mais dans la globalité du match, dans l’endurance/vitesse et l’endurance/régularité, Ruud a été un meilleur serveur. Jusque-là du moins, bien entendu.
Il a été meilleur aussi, en demi-finale du moins, dans un autre schéma peut-être plus fondamental encore chez les deux hommes : l’enchaînement service/coup droit. Face à Khachanov, quand il est parvenu à jouer un coup droit derrière sa première balle de service, Ruud a fait mouche à 82% du temps. C’est énorme. Bien plus que les 72% – pourtant très élevés également – réussis par Alcaraz face à Tiafoe.
Une autre clé tactique principale de cette finale pourrait donc être la manière dont les deux joueurs vont réussir à neutraliser le service adverse. Et là, on en arrive à l’une des différences principales de leur jeu : le retour de service. Plus précisément, leur positionnement en retour de service.
Deux philosophies différentes en retour de service
Là encore, ce fut particulièrement flagrant en demi-finales. Tous deux opposés à un excellent serveur, Ruud et Alcaraz ont eu deux manières très différentes de s’y prendre. Le Norvégien s’est positionné beaucoup plus près pour retourner la première balle adverse, avec un point de contact mesuré à 1,45 mètre en moyenne derrière la ligne de fond de court, contre 2,49 mètres pour l’Espagnol.
En revanche, en deuxième balle, c’est l’inverse. Curieusement, Ruud choisit de se reculer beaucoup plus qu’en première, avec un point de contact mesuré en demi-finale à 3,45 mètres (!) derrière la ligne. Un retour de “terrien”, donc, avec une balle frappée descendante mais avec beaucoup de volume et de hauteur. Alors qu’Alcaraz, lui, va plus souvent chercher la deuxième balle adverse à l’intérieur du court (29 centimètres devant sa ligne en moyenne contre Tiafoe).
Sa volonté prioritaire n’est donc pas d’engager l’échange mais bel et bien de faire mal, dès le premier coup de raquette. C’est un puncheur qui cherche le K.O très vite, quand son rival aime travailler au corps.
C’est d’ailleurs vrai aussi sur première balle puisque l’on constate que Ruud retourne bloqué à 50% du temps, alors qu’Alcaraz est seulement à 18%. Même là, l’Espagnol refuse de subir. Il en résulte davantage de déchets, peut-être. Mais aussi une plus grande pression mise sur le serveur. Et, au bout du compte, un meilleur pourcentage de points remportés en retour, sur l’ensemble du tournoi (35,2% contre 31,3% sur premières balles, 55,4% contre 51,3% sur secondes).
Alcaraz prend la balle plus tôt
Sans surprise, Alcaraz prend aussi la balle plus tôt à l’échange (37 centimètres derrière sa ligne de fond en moyenne durant sa demi-finale, contre 71pour Ruud), avec pour conséquence qu’il parcourt moins de terrain. Ainsi, des quatre demi-finalistes, Casper Ruud est celui qui a parcouru le plus de terrain durant sa victoire contre Karen Khachanov, pourtant beaucoup plus courte que celle de Carlos Alcaraz contre Frances Tiafoe (celui qui en a parcouru le moins). Une précision qui peut s’avérer utile pour “tempérer” le problème de la longueur des matches de l’Espagnol par rapport à ceux du Norvégien.
Voilà en tout cas pour les statistiques à l’état brut. Maintenant, à partir d’aujourd’hui, on sait bien que les compteurs sont remis à zéro. Car d’un “match-up” à l’autre, l’équation peut s’avérer bien différente. Surtout dans une finale de Grand Chelem, où le facteur X prend des proportions souvent démesurées.