US Open (finale messieurs) : Sinner-Fritz, le choc des mondes
Jannik Sinner partira favori de la finale messieurs de l’US Open, ce dimanche soir (20h en France), face à Taylor Fritz. Mais le numéro 1 mondial devra faire face à un adversaire décomplexé, porté par tout une nation.
Jannik Sinner contre l’Amérique. On a presque envie d’écrire, Jannik Sinner contre le reste du monde. C’est, en substance, la bande-annonce de la finale messieurs de l’US Open qui opposera, ce soir (14h locales, 20h en France), le premier Italien à atteindre le match ultime à New York au premier Américain à en faire de même depuis Andy Roddick en 2006 : Taylor Fritz, qui tentera par ailleurs de devenir le premier Américain vainqueur d’un tournoi du Grand Chelem (masculin) depuis ce même Roddick au même endroit, en 2003.
Vingt-et-un ans d’attente, c’est insupportable, pour ne pas dire humiliant pour l’une des nations fondatrices du jeu. Les Etats-Unis restent le pays le plus titré en Grand Chelem dans l’ère Open (52, avec 13 joueurs différents), loin devant l’Espagne (33, avec huit joueurs différents), seulement voilà : depuis la tournure du XXIè siècle, qui a mis un terme à l’une des périodes les plus prolifiques de son histoire (huit titres entre 1990 et 2003 grâce à Pete Sampras, Andre Agassi et donc Roddick), plus rien. Le black-out. Mais comme dirait l’autre, le bout du tunnel n’est peut-être pas si loin.
C’est dire en tout cas la responsabilité qui va peser ce dimanche sur les épaules de Taylor Fritz, qui sera le premier enfant de l’Oncle Sam à jouer un match pour le titre majeur depuis – encore et toujours – Andy Roddick, à Wimbledon, en 2009. Et il le fera donc chez lui, aux “States”, dans un stadium Arthur-Ashe que les plus de 23 000 spectateurs devraient transformer en volcan prêt à rentrer en éruption. Attention les secousses : au bout de ce qui fut un peu, convenons-en, le tournoi de l’ennui, le niveau d’ambiance et de décibels risque ce soir d’atteindre des sommets.
Sauf si, bien sûr, le climatisateur en chef Jannik Sinner se décide une fois de plus à congeler l’ambiance, comme il a pris l’habitude de le faire tout au long de sa quinzaine qui l’a vu battre notamment trois joueurs américains, Mackenzie McDonald, Alex Michelsen et Tommy Paul. Un bon galop d’essai qui devrait lui être profitable. Le Transalpin a vu ce que c’était que d’avoir la foule contre lui. Jusqu’à présent, cela lui a fait autant d’effet qu’une salade de rutabagas à un carnivore. Et, dimanche, cela pourrait bien être la même chose.
“L’atmosphère sera ce qu’elle sera. On est en en Amérique, contre un Américain, donc il est évident que la foule sera un peu plus de son côté”, a-t-il anticipé, avec son sens de l’euphémisme. “Mais c’est normal, ce n’est pas contre moi. Donc je l’accepte. Quand je joue en Italie, c’est la même chose. Je sais que beaucoup de gens me regardent depuis l’Italie, alors je vais essayer de me nourrir de leur soutien à eux.”
Sinner, un animal à sang-froid
Le – plus que jamais – numéro 1 mondial, il est vrai, est arrivé à New York avec une carapace en béton armé à la suite de la révélation de son contrôle positif au clostébol, survenu cette année à Indian Wells et pour lequel il a été blanchi, la thèse de la contamination par autrui ayant été reconnue. Tout en recevant le soutien quasi unanime du monde du tennis – Nick Kyrios figurant parmi les exceptions notables -, il n’en a pas moins essuyé une violente tempête “populo-médiatique” devant laquelle il est resté (sans jeu de mot) d’un flegme stupéfiant. C’est-dire la force mentale qui l’habite sur cet US Open.
Passé un faux départ lors de son premier tour où il avait été mené un set, un break, Sinner affiche, depuis, un niveau impressionnant, particulièrement lors des (rares) moments chauds qu’il aura traversés. C’est palpable, également, dans la réussite “djokovicienne” qui est la sienne actuellement dans les tie breaks : il a remporté 13 des 14 derniers qu’il a disputés, dont 3/3 à Cincinnati, où il s’est imposé, et 3/3 pour l’instant sur cet US Open. C’est évidemment tout sauf un hasard. A 23 ans, il semble arriver au sommet de son art.
Si l’on rajoute à cela qu’il reste sur 11 victoires consécutives et n’a pas perdu une finale de l’année (5 sur 5), dans quel monde peut-on imaginer qu’il puisse perdre et laisser filer l’occasion, après son sacre en début d’année à l’Open d’Australie, de devenir le premier joueur à conquérir ses deux premiers titres majeurs la même saison depuis Guillermo Vilas en 1977 ? Dans un monde où, peut-être, il souffrirait du poignet, endolori par une chute en plein échange face à Jack Draper, en demi-finale. Après l’intervention du kiné, il a pu finir le match sans problème mais s’inquiétait tout de même de savoir comment son articulation allait réagir, à froid…
Si certains, selon la formule consacrée, estiment que le seul capable de battre Jannik Sinner est Jannik Sinner lui-même, on a plutôt tendance à penser que la menace la plus sérieuse se trouvera tout de même de l’autre côté du filet. Les joueurs qui disputent leur première finale du Grand Chelem, comme c’est le cas de Taylor Fritz, se divisent généralement en deux catégories : ceux qui s’en “contentent”, évidemment inconsciemment, et ceux pour qui ça n’est qu’une étape ; ceux qui se laissent écraser par l’événement, et ceux qui s’en nourrissent.
j’ai toujours aimé jouer contre sinner. Je me sens bien. j’ai le sentiment que je vais bien jouer et gagner.
Taylor Fritz.
Impossible, tant qu’il n’y a pas été confronté, de savoir comment un joueur va réagir à une telle première. Mais Taylor Fritz, auteur d’un parcours solide dans cet US Open où il est tête de série n°12 (des succès notamment face à Casper Ruud, Alexander Zverev et Frances Tiafoe en demie), semble l’aborder avec une certaine décontraction.
“Honnêtement, je ne pense pas que ce sera un match plus stressant que la demi-finale”, a annoncé celui qui n’avait jusque-là, comme sa compatriote Jessica Pegula, jamais dépassé les quarts de finale en Grand Chelem. “Jouer contre Frances, un autre Américain, pour savoir lequel de nous deux irait en finale, et sachant que je menais 6-1 dans les face-à-face, c’était hyper stressant. Jouer contre le numéro 1 mondial, c’est différent. Il est favori, la pression est sur lui. En même temps, j’ai toujours aimé jouer contre lui. Je me sens bien, et j’ai le sentiment que je vais bien jouer et gagner.” Rien que ça…
Fritz (26 ans) peut effectivement s’appuyer sur deux matches déjà disputés contre l’Italien, les deux à Indian Wells, le premier remporté en deux sets en 2021, et le second perdu en trois sets en 2023. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis, surtout du côté de Sinner. Mais ce dernier, tout de même, s’en souvient. Et reste sur ses gardes : “Taylor a un gros service, mais il est aussi très solide au fond de court. Il peut frapper fort, ou avec beaucoup d’effet. Il sait très bien varier ses coups. Il a beaucoup joué cette année, donc il a le rythme…”
On n’imaginait pas Jannik Sinner se départir de la prudence et des propos convenus d’usage. Mais on ne l’imagine pas davantage passer à côté du rendez-vous que lui a fixé l’histoire. Quoi qu’au bout de cet US Open de toutes les surprises, on serait tout de même étonné d’en finir comme ça, sans un ultime frémissement…