Mpetshi Perricard : “Je fais mon boulot, envoyer des parpaings dans tous les sens”
Impressionnant au service, Giovanni Mpetshi Perricard peut aussi s’appuyer sur sa gestion des émotions et une identité de jeu trouvée grâce à son coach, Emmanuel Planque.
“Je sers bien, (…) je fais mon boulot, envoyer des parpaings dans tous les sens.” De quoi cimenter un engagement imprenable. Depuis le début de Wimbledon, à coups de truelle dévastateurs, le maçon Giovanni Mpetshi Perricard, qualifié pour le troisième tour, n’a pas perdu un seul jeu de service(42/42). Deux autres joueurs seulement ont réussi pareille performance, Alexander Zverev (25/25) et Brandon Nakashima (27/27).
Leader du classement des aces, 78, le Français, qui a passé 70 % de premières balles (183/260), soit le 13e meilleur total, à 5 % des premiers, Fedrico Coria (70/93), Alex Michelsen (131/175) – tous deux battus d’entrée – et Alexei Popyrin (191/256), s’est affirmé comme l’homme le plus compliqué à retourner. Que ce soit sur son premier ou second service, il a souvent allumé la mèche pour balancer un boulet de canon.
61 % (112/183) de ses premières balles n’ont pas été relancées. Seul Zverev a fait mieux dans ce domaine, avec 62 % (58/92). Derrière sa seconde, 46 % (29/64) des briques frappées n’ont pu être renvoyées. Un lance-missile a fait mieux, Daniel Elahi Galán avec 48 % (13/27), mais il s’est incliné dès le tour inaugural. En comparaison, Zverev n’a atteint que 18 % (6/34) dans ce secteur.
À la lecture de ces statistiques, on a presque pu ressentir toute la frustration ostensiblement montrée par Yoshihito Nishioka devant son impuissance face à la puissance – et la précision – du surnommé “Gio”. “Oui, il a vraiment extériorisé le fait d’être saoulé”, a répondu le natif de Lyon. “Ça m’a permis d’avoir encore plus confiance. Il y en a qui le cache un peu plus. Le fait qu’il l’ait montré, ça m’a aidé. Je me suis dit : ‘Il faut continuer, faire le rouleau compresseur, il faut lui marcher dessus.’“
J’essaie de piocher parmi les attitudes des meilleurs.
Giovanni Mpetshi Perricard
Bien que le score a été fleuve – 6-4, 6-1, 6-2 – contre un Nishioka, 28 ans, n’ayant gagné que quatre matchs sur gazon à depuis le début de sa carrière sur le circuit principal – mais un contre John Isner, maître serveur, à Wimbledon en 2021 -, tout n’a pas été totalement tranquille. “J’ai bien déroulé mon jeu, même si ça aurait pu basculer au début du second set”, a-t-il rappelé. À 6-4, 0-0, 15-40, le colosse de 2,03 m a dû sauver deux balles de break face au gaucher japonais culminant à 33 cm de moins. En restant fidèle à son caractère.
“J’ai réussi à rester calme”, a-t-il fait remarquer. “Et quand il a commencé à baisser la tête, j’ai gardé le cap.” Depuis ses premières victoires sur le circuit principal à Anvers en fin de saison dernière, en passant par son titre sur la terre battue lyonnaise en mai, le joueur semblant avoir avalé une armoire normande a toujours eu une attitude irréprochable, faciès presque aussi illisible qu’un bloc de glace. “Presque”, car une indication transpirait dans son regard : sa détermination à refroidir son adversaire.
Dans les moments chauds, le protégé d’Emmanuel Planque a souvent montré sa capacité à gérer ses émotions pour ne pas se laisser consumer. Comme lors de son sacre à Lyon, ou encore en faisant pétarader un ace sur seconde balle à 6-6 dans dans le troisième jeu décisif lors de son succès 7-6⁵, 6-7⁴, 7-6⁶, 6-7⁴, 6-3 face à Sebastian Korda, tête de série numéro 20, sur le gazon du All England Club lundi. En donnant l’impression extérieure, malgré la pression, le stress, l’enjeu tourbillonnant en lui, comme dans les entrailles de chaque joueur, que rien ne pouvait le perturber.
“Est-ce que je me suis inspiré de (Jannik) Sinner (concernant l’intériorisation) ? Oui et non”, a-t-il expliqué après avoir vaincu Nishioka. “J’essaye de regarder un peu les attitudes des meilleurs. Mais chacun est différent. Sinner a la sienne (Rafael) Nadal a la sienne, et j’ai la mienne. J’essaie de piocher, voir comment ils font dans les moments compliqués, ce qu’ils arrivent à bien faire.”
Calme à toute péreuve
“C’est pratiquement toujours les mêmes choses : prendre son temps, respirer, et ils sont toujours concentrés au moment de commencer le point”, a-t-il ajouté. “Ce sont des choses que j’ai regardées depuis quelques mois. Parce que c’est un aspect qu’on ne met pas assez en valeur, et ça aide énormément à préparer son jeu pour le point d’après.” De bons exemples pour gagner en constance tout au long d’un duel.
“Mentalement, j’ai été solide du début à la fin, je n’ai laissé passer aucune faille aucune petite pensée négative”, a-t-il analysé. “Ce n’est pas inné. Mentalement, ce n’est pas évident, je suis assez timide, très réservé. Je ne voulais pas montrer énormément de choses, j’ai du bosser là-dessus avec des gens pour m’aider, devenir le joueur que je suis aujourd’hui et que je veux devenir dans quelques années.”
Quel manieur de raquette souhaite-il être ? “Un joueur qui sera complet, qui n’aura aucune faille, que ce soit mentalement, techniquement, physiquement, qui répondra présent à chaque problème”, a-t-il complété. “Je pense que je peux y arriver, mais avant ça il faudra beaucoup d’heures d’entraînement.” Pour, notamment, améliorer son revers à une main – avec lequel il est déjà capable de décocher quelques merveilles – sur lequel il a des difficultés lorsque la balle arrive vite, à plat, notamment en retour de service.
Guidé par Emmanuel Planque, son coach depuis 2022, il a pu trouver une identité de jeu en adéquation avec ses qualités et sa morphologie, et se préparer à affronter le tennis pressenti pour dominer lors des prochaines années. Alors que “GMP” avait peut-être parfois trop tendance à construire le point à base de rallyes de fond court pour imiter son chouchou Nadal, Planque a dû le convaincre de s’orienter vers un style en “deux, trois frappes.”
il commence à bien comprendre qu’il va falloir faire de Rafa Nadal (son idole) et son style de jeu un vieux rêve.
Emmanuel Planque, coach de Giovanni Mpetshi Perricard, dans L’Équipe en octobre.
“Son idole, c’est Rafael Nadal, alors j’ai un peu ramé (rires)… En lui parlant plutôt de (Mark) Philippoussis ou de joueurs comme ça”, avait confié l’entraîneur interrogé par L’Équipe en octobre. “Entre la représentation qu’il avait de lui et les exigences au plus haut niveau et ce qu’il rencontre, avec l’expérience qu’il vit lorsqu’il s’entraîne avec des bons joueurs, l’un dans l’autre il commence à bien comprendre qu’il va falloir faire de Rafa Nadal et son style de jeu un vieux rêve.”
“Je me suis fait un point d’honneur à ce que Giovanni ait une très belle technique, a-t-il détaillé.” Qu’il soit fiable techniquement et pas embêté par les contraintes que représente sa taille (…) qu’il n’y ait pas de grosses lacunes. (…) Il doit être capable de prendre tôt, d’arriver à l’heure et de mettre beaucoup de vitesse sur les premières frappes quelle que soit la balle reçue. C’est vers cela qu’on souhaite aller car ce sont aussi les canons du tennis moderne.”
“Ses contemporains, ce sont (Carlos) Alcaraz, (Jannik) Sinner, des joueurs qui frappent extrêmement fort”, a-t-il observé. “Évidemment, quand tu sers à 225 km/h, que tu mesures 2,03 m et que le retour revient aussi vite, sur le deuxième coup tu as intérêt à être mobile pour être capable de te mettre à distance et de frapper la balle convenablement.”
Car son poulain le sait, le service ne fait pas tout. “Il ne faut pas trop que je me repose là-dessus tout le temps, parce qu’ils (les joueurs) comment tous à mieux relancer”, avait-t-il déclaré après avoir fait tomber Korda. “Les balles sont un peu plus lourdes, les surfaces un peu plus lentes, il y a des retours qui sont longs et après il faut quand même avoir un fond de jeu suffisamment fort pour faire la différence.” Bref, Giovanni Mpetshi Perricard en a bien conscience : le parpaing n’est qu’une première pierre pour bâtir l’édifice de son jeu.