Mannarino, ce n°1 français que personne ne connaît
Adrian Mannarino, qui affronte cette nuit Alexander Zverev en quart de finale de Cincinnati, est à la fois le meilleur joueur français et l’un des plus méconnus. Un paradoxe qui ne lui déplaît pas. Et même qu’il cultive, ou presque.
Faites un sondage dans la rue auprès de quelques personnes au hasard, de préférence non initiées aux choses du tennis, et demandez-leur de citer trois joueurs français du top 100. L’on est prêt à parier que le nom d’Adrian Mannarino est l’un de ceux qui reviendra le moins, loin en tout cas d’un Richard Gasquet, l’ancien enfant prodige, d’un Arthur Fils, la nouvelle pépite déjà très médiatisée, voire d’un Gaël Monfils, qui ne fait plus partie de cette élite (dans laquelle il reviendra cependant vite, à ce rythme), ou d’un Jo-Wilfried Tsonga, qui ne joue plus du tout. Peut-être même que “Manna” ne sera pas cité du tout.
C’est une forme d’injustice, et même d’ineptie, quand on sait que l’on parle là du n°1 français du moment. Avec ce quart de finale au Masters 1 000 de Cincinnati, stade auquel il défiera cette nuit (à partir d’1h du matin) Alexander Zverev – un adversaire qu’il n’a jamais battu en sept confrontations -, le Val d’Oisien occupe virtuellement la 23e place à l’ATP, à un rang de son meilleur classement atteint en 2018. Un exploit nocturne face à Zverev et il pourrait même intégrer le top 20 pour la première fois. A 35 ans, ce serait une sacrée perf, sans doute même un record.
L’anti-star par excellence
Malgré ces enjeux plus que respectables, il attaquera ce match un peu comme le 15/5 du coin dans un tournoi de campagne : avec une tenue mal assortie et non étiquetée – il n’a plus de sponsor textile depuis la fin de son partenariat avec Hydrogen -, peut-être même sans connaître le nom de son prestigieux adversaire jusqu’aux dernières minutes, fidèle à une vieille superstition. On est loin des avant-matches 2.0 gonflés aux datas dont de nombreux joueurs sont de plus en plus friands. “Manna”, lui, fait tout à l’instinct. Et au talent, dont il n’est en revanche pas dépourvu.
Ça, il faut le dire et le répéter, car hormis de temps à autres quelques hot-shots qui font le bonheur de Tennis TV, Mannarino a tout fait, au fil de sa longue carrière, pour “canaliser” sa patte gauche naturellement fougueuse au bénéfice d’un jeu peut-être plus laborieux, mais aussi plus efficace.
Considéré à ses débuts, notamment lors de son éclosion lors du Moselle Open 2008 où il avait atteint sa première demi-finale sur le circuit, comme un joueur “champagne”, il est aujourd’hui souvent dépeint, y compris par lui-même, comme l’un des ces valeureux galériens du fond de court. En clair, un rameur. Ça a sans doute contribué à le plonger dans l’ombre médiatique et populaire. Mais ça a fait beaucoup pour son succès sportif, en revanche.
“Au début de ma carrière, je recherchais toujours le beau coup. Et puis, j’ai compris que ce n’est pas comme ça que j’allais gagner le plus de matches.”
Adrian Mannarino
“Au début de ma carrière, je recherchais toujours le beau coup, je voulais jouer comme Federer”, nous disait-il l’année dernière dans les coursives, justement, des Arènes de Metz. “Et puis, j’ai compris petit à petit que ce n’est pas comme ça que j’allais gagner le plus de matches. J’ai commencé à devenir meilleur quand j’ai trouvé mon identité de jeu. Et mon identité de jeu, c’est de “ramer”. Alors, peut-être que parfois je lâche quelques jolis coups. Mais ce n’est pas ce qui fait ma force. Mes matches, je les gagne toujours de la même manière, c’est-à-dire en remettant la balle la balle une fois de plus que l’adversaire.”
Lui-même d’ailleurs avoue, avec un sens de l’auto-dérision aussi stupéfiant que confondant, trouver ça “immonde” à voir. Il est probablement le dernier à aimer se regarder à la télé, aux antipodes d’un certain nombre de joueurs que l’on connaît, mais que l’on ne citera pas (indice : il y a deux “vieux” Espagnols et un jeune Italien dans le lot), qui sont à la limite de prendre une photo d’eux-mêmes en fin de geste.
De la même manière qu’il a tout fait pour “obscurcir” son jeu, Mannarino s’y est fort bien pris également pour “obscurcir” son image. Sa tactique : fuir autant que possible les tournois français ; et cultiver une aversion profonde pour la terre battue, tout spécialement celle de Roland-Garros, où il a gagné trois matches dans sa vie et n’a jamais dépassé le deuxième tour. Difficile de gagner la reconnaissance du public français en étant pour ainsi dire éternellement absent de l’événement tennistique le plus médiatisé en France. Mais Adrian ne s’en formalise pas. On a presque l’impression que ça l’arrange.
Car soigner son image semble à peu près aussi haut dans la liste de ses priorités que d’escalader la Tour Eiffel en tutu. Aux dernières nouvelles, il n’a pas d’agent, utilise les réseaux sociaux avec parcimonie et paraît rétif à une trop forte médiatisation. Depuis deux ans, par exemple, il a refusé toutes les sollicitations du Monde, qui joindrait plus facilement Barack Obama qu’Adrian Mannarino. On ne peut pourtant pas soupçonner ce dernier d’être mal élevé ou arrogant. La piste de la “peur” d’un media qu’il jugerait trop gros pour lui est la seule explication possible.
C’est que le natif de Soisy-sous-Montmorency, qui a pour autre originalité de jouer avec une tension ridiculement basse (entre 9,5 et 11 kg, selon les conditions) et d’avoir développé une appétence toute particulière pour le gazon, a un ego inversement proportionnel à son statut, et très loin là encore du standard de ses pairs. Difficile, sur le circuit, de trouver un joueur qui a moins confiance en lui, ou du moins qui entretient un discours aussi sévère avec lui-même. A deux doigts, parfois, de s’excuser d’être là.
Le pire est que ce discours peut avoir une influence négative sur la vision qu’ont certains spectateurs de son jeu, lequel n’a pourtant rien d’immonde, contrairement à ses dires. Derrière le manque de puissance et la gestuelle peut-être un poil heurtée en coup droit, il faut se délecter de la fluidité globale de ses coups, son timing impeccable, ses prises de balle au cordeau, souvent au sommet du rebond, et son œil de lynx. Bref, son talent, aussi singulier soit-il, existe bel et bien. Il y en a, de toute façon, une preuve formelle : on n’en est pas à ce niveau à 35 ans sans miser sur autre chose que son physique.
C’est peu dire, donc, qu’Adrian Mannarino gagnerait à être connu. Mais il ne le sera jamais tant qu’il ne cherchera pas à l’être, et tant qu’il ne “claquera” pas un gros résultat dans un gros tournoi, ce qui demeure encore le point noir de son parcours : pas un seul quart de finale en Grand Chelem, et pas une seule demi-finale en Masters 1 000, catégorie dans laquelle il n’avait jusque là atteint qu’un (autre) quart de finale, à Montréal, en 2017.
Il n’a de toutes façons jamais fait des gros rendez-vous des objectifs prioritaires par rapport aux plus petits tournois. Encore que ça pourrait changer cette année à l’US Open, où il sera tête de série : la preuve, il renoncé à venir défendre son titre à Winston-Salem (juste avant New York) pour recharger les batteries. Une nouveauté pour lui qui adore, en temps normal, jouer avant un Grand Chelem pour, justement, fuir autant que possible la lumière et l’agitation. Adrian Mannarino serait-il en train de changer ?