Doués, passionnés, exposés : la drôle de vie des frères Owaki dans le monde du tennis
Yunosuke et Koujirou Owaki sont d’authentiques phénomènes raquette en main. Nous les avons rencontrés lors de leur premier voyage en Europe, où ils ont été invités par leurs idoles Stefanos Tsitsipas et Novak Djokovic.
Yunosuke et son frère Koujirou Owaki sont des enfants comme les autres. Ils se gavent de confiseries et de boissons sucrées à l’heure du goûter. Ils lancent à leurs parents des regards amoureux avec la même spontanéité qu’ils respirent. Ils chahutent pour savoir qui pourra utiliser tel jouet en premier. Ils ont un peu de mal à se concentrer quand on leur demande quelque chose d’inhabituel, comme une séance photos.
Des enfants comme les autres, avec ce truc en plus qui les rapproche du statut d’enfant-star : ils jouent au tennis avec une dextérité affolante.
Le premier voyage de la famille Owaki
Les frères « jouent » au tennis au sens plein de la chose : ils « s’amusent » avec la raquette et la balle, portés par l’inépuisable énergie de leur âge – 6 et 8 ans – et ceci, nous dit-on, sans souffrir du décalage horaire.
Yunosuke et Koujirou viennent de voyager hors du Japon pour la première fois de leur vie, avec leur père, Kosuke Owaki, commercial pour une entreprise métallurgique, et leur mère Minako Owaki, secrétaire dans une entreprise de pompes sous-marines. Ils ont tous les deux 35 ans.
A l’heure où vous lisez ces lignes, la famille Owaki vient de rentrer chez elle à Mizumaki, au Nord de l’île la plus au Sud du Japon, Kyuchu, après une vingtaine de jours en Europe. Trois semaines de rêve pour Yunosuke et Koujirou, décomposées de la façon suivante : deux semaines sur la Côte d’Azur, d’abord à l’académie Mouratoglou pour une semaine d’entraînement puis pour assister au Masters 1000 de Monte-Carlo, ensuite à Belgrade pour assister à l’ATP 250 de la capitale serbe.
Comme dans un rêve, ils y ont été invités par leurs idoles, Stefanos Tsitsipas, le joueur préféré de Yunosuke, et Novak Djokovic, le chouchou de Koujirou.
Notoriété sur Instagram
Le revers à une main des uns (Yunosuke et Tsitsipas), le revers à deux mains des autres (Koujirou et Djokovic) : ces gestes techniques, inouïs de précision et d’engagement pour de si petits gabarits, ont rendu les frères Owaki célèbres pendant le confinement du printemps 2020.
Le 2 mai, avec un post baptisé «federer&djokovic image training», le monde découvrait deux lutins droitiers à la gestuelle stupéfiante pour leur âge, alors 4 et 6 ans. Le compte Instagram @kosuke.o4o5, lancé par son père au moment de la naissance du cadet en 2015, est connu, depuis, de toute la planète tennis, au point de parfois renverser l’ordre naturel des choses : Tsitsipas, Djokovic, et quelques autres personnalités comme Roddick, Pospisil ou Bajin, sont devenus des fans explicites.
Les parents ne pensaient pas que les garçons étaient aussi connus en dehors du Japon
Un proche de la famille
A l’académie Mouratoglou, juste après le goûter consécutif à une séance personnelle avec Patrick Mouratoglou, trois femmes arrêtent les deux garçonnets et demandent à leurs parents s’ils peuvent obtenir un selfie, avec ce mélange de retenue et d’enthousiasme habituellement renvoyé aux personnalités.
« Les parents hallucinent de voir à quel point les gens les reconnaissent », nous glisse Masashi Ogawa, l’agent qui les accompagne désormais pour absorber l’attention qui les entoure et qui leur a déjà valu 25 interviews dans leur pays. « Ils ne pensaient pas qu’ils étaient aussi connus en dehors du Japon. »
C’est le miracle des réseaux sociaux. Car le compte Instagram où le père poste régulièrement des échantillons des exercices, entraînements et des rares matchs disputés par ses enfants donne l’impression déformante d’une vie toute entière consacrée au tennis.
Or, les deux frères jouent peu. « Deux fois par semaine, et seulement deux heures par mois avec un coach de tennis » nous renseignent les parents.
Mizumaki est une ville moyenne (30.000 habitants), de tradition minière, où le tennis est presque étranger. Cela explique que la plupart des vidéos aient pour cadre un parking du quartier ou même l’intérieur de la maison. Le J Struct Tennis Club où ils s’entrainent, et le Tagawa Tennis club, où la famille se déplace pour ses loisirs, sont à une heure de route.
Bientôt les frères Owaki en tournoi ?
L’aîné, Yunosuke, est en âge de commencer les compétitions. Il a disputé sa première à l’été 2021 mais c’est l’exception qui confirme la règle. « Au Japon, les seuls tournois ouverts aux joueurs de son âge, sont dans la région d’Osaka ou de Tokyo » souffle la famille. À une ou deux heures d’avion. Aucun tournoi n’est à son programme pour l’instant.
Leur niveau, je l’explique par beaucoup de travail, notamment de mime, et un talent naturel.
Patrick Mouratoglou
Il est évidemment trop tôt pour savoir si une vie de compétiteurs intéresse Yunosuke et Koujirou. « Pour l’instant, ils ne jouent pas très sérieusement, indique sa mère. Le tennis est juste le sport qu’ils pratiquent ». La balle jaune est entrée dans leur vie presque par effraction. « Un jour, on a essayé dans un club de la région, se souvient sa mère. Les enfants ont adoré. Un coach nous a affirmé qu’ils étaient doués. On a commencé comme ça. Envisager une carrière, c’est loin. L’essentiel est qu’ils s’amusent et qu’ils manifestent le souhait de jouer. Ça ne nous étonnerait pas qu’ils veuillent passe pro, mais c’est trop tôt pour se projeter. »
Une chose est sûre : si leurs gestes vous semblent extrêmement précis et prometteurs pour leur âge sur la foi des vidéos en circulation, vous ne subissez aucun trompe-l’œil. Ce que réalisent Yunosuke et Koujirou Owaki est exceptionnel.
« A cet âge, je n’ai jamais vu ça, témoigne Patrick Mouratoglou, fondateur de l’académie qui porte son nom, actuel coach de Simona Halep, co-fondateur de Tennis Majors et à l’origine de la fondation ChampSeed, qui finance le rêve de jeunes joueurs à partir de l’âge de dix ans. Leur niveau, je l’explique par beaucoup de travail, notamment de mime. Ils ont beaucoup répété les gestes à vide, m’ont dit leurs parents, comme un pianiste répète ses gammes. Je pense qu’ils ont aussi beaucoup de talent naturel. Il y a, dans leur gestuelle, un timing exceptionnel. Ils savent jouer des demi-volées, ils savent jouer les balles hautes, il y avait beaucoup de vent lors de notre séance et ils se sont adaptés sans aucun problème. »
Quelques coups droits courts croisés hallucinants ou passings de revers limpides le long de la ligne confirment le constat.
Yonosuke et Koujiro restent pour autant à des années-lumières d’une trajectoire menant à une vie de champion. « Le plus important pour progresser est de jouer beaucoup de matches, explique Mouratoglou. Gagner est la raison d’être d’un joueur de tennis, et on l’apprend en le faisant. Or, ils font peu voire pas de matchs. A ce stade, ils adorent jouer, ça se voit, et c’est le plus important. Si ça leur plaît, ils progresseront. La technique, ils l’ont, mais c’est juste un outil, qui ne suffit pas. La réussite au haut niveau, c’est une question de motivation, de personnalité. Former un compétiteur, cela prend des années. »
Wilson, Adidas…
Ont-ils le goût de la compétition ? Yunosuke a beaucoup serré le poing pendant ses premiers matchs, nous dit la famille. Comment réagiront-ils face à de jeunes adversaires qui, n’en doutons pas, voudront accrocher à leur palmarès le nom des petits génies d’Instagram ? A cette heure il faut se contenter de suppositions. « Je suis leur principal partenaire, sourit le père, Kosuke Owaki. Ils aimeraient jouer davantage. Je n’exclus pas de déménager pour faciliter les choses, pourquoi pas à l’étranger, pourquoi pas ici, enchaîne-t-il dans la cafétéria de l’académie Mouratoglou. On cherche comment faire. »
Quand ils font des matchs d’entraînement, il n’y a pas de chamailleries. L’aîné l’emporte en général d’une courte tête malgré un handicap au score.
La notoriété des deux garçonnets leur a attiré quelques sponsors locaux, une souplesse de la part de l’employeur de leurs parents, un soutien dont le détail n’est pas connu de la part de Wilson (désormais dans la bio du compte) et Adidas (qui n’a pas le droit à cet égard). On comprend que la famille Owaki n’a plus à s’en faire pour le matériel, mais l’expérience européenne que Tsitsipas et Djokovic viennent de leur offrir n’est pas duplicable à l’infini.
Pour l’heure, les deux garçons savourent leur premiers trophées : des polos et raquettes dédicacés de la part de leurs idoles, des hugs et des selfies avec leurs stars préférées, l’amitié de Stefan, le fils aîné de Djokovic, avec qui ils jouent, et des places dans les loges. Monte-Carlo et Belgrade ont été leurs premiers matchs de haut niveau vus depuis les tribunes. Leur endurance à suivre les rencontres sans la dispersion que leur âge justifierait – ils maîtrisent parfaitement les règles – est une autre manifestation fascinante de leur amour pour le tennis.
Patrick Mouratoglou a dû récemment répondre aux questions de Canal+ sur un possible surexposition de ces enfants à peine scolarisés. « Il y a un risque à les exposer oui, mais les parents n’ont pas trop le choix, répond le coach. Dans le tennis, le besoin financier est énorme. Il faut un coach, un préparateur physique, payer des voyages pour faire des tournois. Quasiment aucun parent n’a ces moyens. Médiatiser ses enfants quand ils sont impressionnants, cela peut aider à trouver ces moyens nécessaires. » Les parents assurent que si les garçons veulent arrêter le tennis demain, il n’y aura pas de problème.
Les frères Owaki semblent à des années-lumières de ces considérations, très loin des grands joueurs que nos yeux d’adultes veulent voir spontanément chez les talents précoces. Ce sont des enfants qui ont la chance, avec leur aptitude naturelle et les rencontres qu’Instagram leur a permis de faire, de vivre leur rêve à fond. Habiter sur un territoire vierge de tennis, où jouer sur un terrain aux normes est impossible, apparaît à ce stade plutôt comme une chance. Il est difficile de rêver à quelque chose qu’on trouve tous les jours sur le pas de la porte.