Borna Coric : “Tout le travail effectué ces derniers mois s’est mis en place d’un seul coup”
Personne n’avait parié sur une victoire de Borna Coric au Masters 1 000 de Cincinnati, dimanche, aux dépens de Stefanos Tsitsipas. Mais dans cet entretien exclusif, le Croate nous explique que ce titre n’arrive pas par hasard non plus…
Au lendemain de sa victoire en guise de conte de fées à Cincinnati, dimanche, Borna Coric est revenu, en exclusivité pour Tennis Majors, sur le processus de l’ombre, effectué ces derniers mois, qui lui a finalement permis de remporter le plus grand titre de sa carrière.
“Une semaine magique pour Coric !” a-t-on pu lire le plus souvent dans les médias pour résumer cette victoire sur le Masters 1 000 américain. Et c’est vrai que quand on regarde la liste de ses victimes – Musetti, Nadal, Bautista Agut, Auger-Aliassime, Norrie et Tsitsipas –, on pourrait se dire que quelque chose de magique est intervenu. C’est un peu plus que ça : cette victoire, c’est avant tout celle du travail acharné, de la foi en soi-même et de l’expérience.
Dans cette interview pour Tennis Majors, Coric, 25 ans, revient sur son incroyable semaine, sur les moments les plus sombres qu’il a traversés au cours des six derniers mois, ainsi que sur la manière dont il a réinventé son service, son coup droit, sa maturité et ses propres attentes. Très instructif…
Tennis Majors : Après ce titre, vous avez répété à plusieurs reprises que vous ne pouviez pas vous attendre à tout ça, que ne pouviez pas expliquer complètement ce qui s’est passé. Après quelques nuits de sommeil, parvenez-vous à cerner quels ont été les facteurs déterminants de cet incroyable accomplissement ?
Borna Coric : Oui, j’ai un peu repris mes esprits, la brume s’est dissipée. Mon premier sentiment, c’est que tout le travail extrêmement dur que j’ai produit depuis le mois d’avril a fini par porter ses fruits. J’ai repris la compétition en mars (Ndlr : il a repris à Indian Wells après un an d’absence à la suite d’une opération à l’épaule), mais avec beaucoup de précautions au début car mon épaule avait tendance à s’enflammer après chaque entraînement, ce qui m’empêchait de pouvoir enchaîner. Ces quatre derniers mois en revanche, j’ai le sentiment d’avoir été plus concentré que jamais sur mon travail et sur ma progression.
Quand vous êtes dans le top 30, vous pouvez parfois vous permettre de vous relâcher un peu. Il suffit d’un ou deux bons tournois, un peu de chance au tirage ou un tableau qui s’ouvre et cela vous suffit plus ou moins pour vous maintenir. Mais là, je partais de beaucoup plus loin. Quand vous chutez à la 250e place et même au-delà, comme c’était mon cas, vous devez bosser trois fois plus dur pour revenir. Ma chance, c’est que j’étais conscient de cela. Donc je l’ai fait. Et à Cincinnati, tout s’est mis en place en même temps. C’est ce qui fait que j’ai gagné ce titre alors que personne ne s’y attendait.
Vous avez dit avoir reçu un milliard de messages après votre titre. Quels ont été les plus créatifs ?
Borna Coric (il rit) : Il y en a eu des vraiment drôles que je ne peux pas vous révéler ici ! Mais bon, ce que j’ai préféré globalement, c’est la sincérité de la plupart de ces messages. J’en ai reçu beaucoup plus en tout cas que lors de notre victoire en Coupe Davis (en 2018 contre la France), ou de ma finale à Shanghai (2018 également), y compris de la part de personnes que je ne connais pas très bien. J’ai l’impression que les gens sont compatissants avec moi après tout ce que j’ai traversé ces dernières années, et qu’ils sont très contents de me revoir.
Mon moment le plus dur, ça a été au Challenger de Forli, après Roland-Garros. Mon service était catastrophique, je me sentais très mal…”
Borna Coric
Avez-vous douté, ces derniers mois, de votre capacité à pouvoir rejouer un jour à ce niveau ?
Borna Coric : Oui, absolument. D’une manière générale, concernant le tennis, je ne suis pas forcément la personne la plus confiante. Mais j’ai le sentiment que cela me sert aussi puisque cela me pousse à travailler plus dur et à me concentrer davantage. A certains moments, je n’étais plus capable de servir au-delà de 185 km/h alors qu’auparavant, j’étais autour des 200-205 km/h. Je ne comprenais pas. D’accord, j’ai un bon retour et un bon jeu de fond de court mais quand je parviens à servir à mon meilleur, c’est aussi l’un de mes points forts. J’étais conscient que je ne pouvais pas revenir au plus haut niveau en servant comme cela. Donc oui, j’ai douté.
Maintenant que vous êtes revenu dans le top 30, pouvez-vous nous dire quel a été moment le plus sombre que vous avez traversé ces derniers mois ?
Borna Coric : Je dirais ma défaite contre Gastao Elias au 1er tour du Challenger de Forli, après Roland-Garros. Je commençais à peine à mieux jouer et j’avais d’ailleurs battu un bon joueur de terre battue à Roland-Garros, Carlos Taberner. J’ai perdu sèchement ensuite contre Grigor Dimitrov au tour suivant, mais j’ai mis cette défaite sur le compte d’un manque de condition physique. Après Paris, je me suis entraîné extrêmement dur pendant une dizaine de jours et j’ai joué ce match horrible à Forli, que j’ai perdu après avoir eu trois balles de match. Mon service était catastrophique et je me suis senti très mal sur le court. Oui, c’était clairement le moment le plus dur.
Deux mois et demi plus tard, vous servez peut-être mieux que jamais. A Cincinnati, vous avez aligné quelques statistiques incroyables sur ce coup : 10 aces en deux jeux contre Bautista Agut, 31/32 points remportés derrière votre première balle contre Auger-Aliassime. Comment tout cela a fini par se mettre en place ?
Borna Coric : D’abord, le nombre de répétitions. J’ai des soucis d’épaule depuis que j’ai 20 ans donc je n’avais pas pu jusque-là effectuer le nombre de services requis pour devenir efficace sur ce coup. Je devais constamment surveiller l’état de mon épaule. C’est toujours le cas d’ailleurs, je reste encore dans la gestion, mais je peux désormais effectuer un nombre décent de services chaque semaine – pas trop non plus, mais suffisamment – et je m’y tiens.
A côté de cela, Mate (Delic, son coach, Ndlr) et moi avons regardé beaucoup de vidéos de moi en train de servir et on s’est rendu compte que j’avais changé des choses. Pas vraiment mon geste mais j’avais commencé à lancer la balle trop derrière moi. Je l’ai fait inconsciemment. Pendant ma période de convalescence, lors des premiers mois, quand je servais encore à 20-30%, j’avais trouvé un point de contact dans lequel je sentais moins de douleur. Au fil du temps, je me suis mis à mécaniser ce geste qui n’était pas le bon. Lors du Challenger de Forli mais aussi à Pérouse, on a constaté que j’avais perdu 15 km/h au service. J’ai beaucoup travaillé avec Mate là-dessus, et désormais je lance à nouveau la balle bien plus devant. Par ailleurs, alors que j’avais pris une raquette plus légère, j’ai à nouveau changé pour un modèle plus lourd qui me permet de servir plus vite et plus fort.
En général, quand on parle de votre jeu, on parle de votre qualité de déplacement et de votre superbe revers. Et pourtant, vos résultats dépendant avant tout de votre coup droit. Comment analyseriez vous ce coup ?
Borna Coric : J’ai eu également des soucis pendant un moment avec mon revers spécialement sur dur, vous savez. Je faisais beaucoup de fautes. Je crois malgré tout que mon jeu tourne essentiellement autour de mon service, mon revers et mon jeu de jambes. A côté de cela, j’ai besoin que mon coup droit soit solide, pas trop sujet aux erreurs et capable de conclure sur les balles courtes, un domaine dans lequel j’ai souvent eu des difficultés.
Mais si mon revers n’est pas bon, alors mon coup droit – qui reste la plupart du temps mon coup le plus faible – se retrouve davantage exposé aux attaques adverses. C’est la même chose avec mon service : si je parviens à servir en seconde balle aux alentours de 155 ou 160 km/h, c’est plus difficile pour mon adversaire de me mettre sous pression côté coup droit. En revanche, si je chute à 145 km/h, alors je me retrouve davantage exposé.
Cela dit, il y a des moments où je sens mieux la balle en coup droit qu’en revers. A Cincinnati, je sentais particulièrement bien la balle en revers mais malgré tout, à certains moments, je préférais mon côté coup droit. Je crois qu’au fil des années, j’ai fait des gros progrès avec mon coup droit que je parviens désormais à frapper plus fort et de manière plus agressive.
Quand on regarde la liste des joueurs que vous avez battus à Cincinnati, cela aurait été un superbe accomplissement même si vous n’aviez pas été opéré de l’épaule et absent un an. Quel est le domaine de votre jeu dont vous êtes le plus satisfait ?
Borna Coric : Mon service, clairement. Depuis le 2e set de mon premier match contre Musetti jusqu’aux demi-finales, j’ai servi comme jamais je l’ai fait dans toute ma vie. Ensuite, en demi-finale et en finale, mon pourcentage a un peu chuté et j’ai réussi moins d’aces – il est vrai aussi qu’il faisait humide et que les balles étaient plus lourdes – mais j’ai malgré tout servi excellemment dans les moments importants. Le pourcentage, ce n’est pas toujours le plus important. A quoi bon passer 70% de premières balles si c’est pour la manquer à chaque balle de break ?
Mentalement, j’ai été costaud aussi mais ça a toujours été ma force. Et puis, je n’ai pas commis beaucoup d’erreurs avec mon coup droit, j’ai réussi à finir les points sur les balles courtes. Contre Tsitsipas en finale, j’ai le sentiment que j’étais le plus agressif, je le mettais constamment sous pression et ça aurait été impossible si mon coup droit n’avait pas été au rendez-vous.
On a tous connu ça : on vole très haut après une grosse victoire et derrière, on se “ramasse” (…) Ce n’est pas parce que j’ai gagné Cincinnati que je serai forcément en quart à l’US Open.
Borna Coric
En mars dernier, vous nous disiez qu’après l’opération, vous étiez devenu plus reconnaissant envers votre carrière et envers ce que le tennis vous a apporté. En quoi diriez-vous que vous avez le plus changé ?
Borna Coric : J’ai vraiment le sentiment aujourd’hui que c’est la chose la plus importante pour moi. J’ai été absent pendant un an et j’ai réalisé tout ce que le tennis signifiait pour moi, plus précisément tout ce que la compétition signifiait pour moi : les victoires, les défaites, l’entraînement, l’ensemble du processus. Bien sûr, cela peut être fastidieux par moments mais quand ce n’est plus là, cela manque terriblement.
Par ailleurs, j’ai appris à apprécier les progrès que je fais, particulièrement en ce moment où ils sont visibles, que ce soit en termes de jeu ou de classement. Je me sens comblé et heureux quand je constate qu’un domaine que nous avons travaillé pendant des mois s’est amélioré.
Vous avez parlé de votre coach, Mate Delic. Quel a été selon vous sa plus grande contribution à vos côtés ?
Borna Coric : Le plus important, déjà, c’est qu’il est avec moi tout le temps. On en plaisante parfois mais on passe 52 semaines par an ensemble. Depuis un an, il a eu trois ou quatre jours off et c’est tout. Mate me connaît très bien, il sait quand il faut me pousser ou au contraire relâcher un peu parce que nous sommes amis par-dessus tout. Il fait partie de mon équipe depuis cinq ans. Avec lui, j’ai acquis une éthique de travail constante et cohérente, chose que je n’avais pas forcément avant. Je vais vous donner un exemple de ce que je pouvais faire par le passé. Disons que je sois éliminé de l’US Open un jeudi et que sois censé jouer à Zagreb le lundi ou le mardi suivant contre un joueur pas forcément très coté. J’aurais tapé la balle une heure, juste pour m’acclimater un peu et c’est tout. Mais si tu agis comme ça toute la saison, mis bout à bout, tu perds deux mois de travail qualitatif. Avec Mate, si je me sens bien, le lendemain de l’atterrissage, on retourne directement au charbon pour travailler certains aspects de mon jeu. Cette continuité dans le travail a fini par payer.
Pour revenir au service, Mate a été le premier à me dire que mon lancer de balle était trop en arrière. C’est ironique parce qu’avant l’opération, mon lancer de balle était souvent trop en avant. Lui m’a dit : “Je sais qu’habituellement c’est l’inverse mais là, j’ai l’impression que ton lancer de balle est trop loin. Regardons quelques vidéos pour voir ce que tu en penses.” On a regardé et on a changé.
Il y a également d’autres détails techniques sur lesquels nous avons travaillé et sur lesquels nous travaillons encore, parce que c’est un long processus. Par exemple, quand je frappe mon coup droit, j’ai parfois tendance à être trop près de la balle ou à laisser partir trop tôt mon bras gauche, ce qui fait que mes épaules s’ouvrent et je perds du contrôle. Ce sont plein de petites choses comme cela, qui nécessitent une vigilance permanente. Autre exemple : il y a deux ans, je ressentais des douleurs au poignet gauche, donc je me suis mis à freiner l’action de ma main gauche en revers. Il a fallu travailler pour restaurer tout ça. Aujourd’hui, j’ai l’impression que mon revers est bien meilleur que quand j’étais plus jeune.
Quelles sont désormais vos attentes pour l’US Open, où vous serez tête de série ?
Borna Coric : Honnêtement, je n’en ai aucune parce que ça m’est arrivé souvent dans ma carrière de connaître un moment de creux après un gros résultat. Ce n’est pas un péché d’arrogance, car je crois que je n’ai jamais été du genre arrogant. Simplement, les attentes deviennent d’un coup beaucoup plus élevées, la bulle éclate et les choses tournent mal. Ce n’est pas une expérience très agréable. Donc maintenant, je prends un match après l’autre, même si ça fait un peu cliché de dire ça. Mon but, pour l’US Open, c’est de rester en bonne forme physique et de me préparer au mieux.
Pour finir, après votre succès sur Nadal, vous avez dit qu’à un stade de votre carrière, vous auriez certainement célébré beaucoup plus cette victoire alors que cette fois, vous vouliez rester tout de suite bien concentré sur le match d’après. C’est le signe de la maturité ?
Borna Coric : Je pense que c’est quelque chose que tout le monde connaît dans une carrière : on vole très haut après une grosse victoire et derrière, on se “ramasse”. Ça arrive toujours. A un moment, on se surprend à aller de plus en plus haut mais aussi à descendre toujours plus bas. Après mon opération, j’ai voulu changer ça. Je veux aller haut, mais lentement, progressivement, sans connaître trop de montagnes russes.
Au tennis, un sport dans lequel il y a un nouveau tournoi chaque semaine, je crois que cette attitude est de la plus haute importance. Si je perds au premier tour deux fois d’affilée, ce n’est pas la fin du monde. Je sais toujours comment jouer au tennis. Et d’un autre côté, le fait que j’ai gagné à Cincinnati ne veut pas dire que je serais forcément en quart de finale à l’US Open. Je peux aussi tomber d’entrée sur un os. Un joueur comme Kecmanovic, par exemple, ne sera pas tête de série à New York et il joue extrêmement bien. Ça n’augure pas grand-chose de la suite. Au contraire, certains joueurs auront peut-être encore plus envie de me battre qu’il y a deux semaines…