Un joueur de “coups”, Gaston ? Peut-être, mais sa progression est linéaire, et son projet structuré
Parfois considéré comme un joueur de coups au vu de son tennis champagne et de ses résultats en dents de scie, Hugo Gaston, qualifié pour le troisième tour du Masters 1 000 de Miami, suit pourtant une progression très linéaire, au cœur d’un projet structuré.
Miami 2022 | Tableaux | Programme | 3e tour Gaston-Norrie (17h)
C’est une évidence : on a déjà vu des entrées dans le top 100 plus conventionnelles que celle réalisée fin 2021 Hugo Gaston, qui avait franchi cette barre symbolique au bénéfice de son extraordinaire parcours lors du Rolex Paris Masters où, titulaire d’une wild-card pour les qualifications, il était devenu le joueur le plus mal classé (103e) à atteindre les quarts depuis Michaël Llodra en 2012.
Dans le cas de “Mika”, qui avait déjà été beaucoup plus fort, c’était autre chose, bien entendu. Pour Hugo, ce fut un authentique exploit, inattendu, endiablé, qui a fait évidemment écho à celui tout aussi invraisemblable réalisé un an plus tôt, également à Paris, mais du côté de Roland-Garros, où il était cette fois devenu le joueur le plus mal classé (239e) à atteindre la deuxième semaine depuis 2002 et un autre Français, Arnaud Di Pasquale. Lequel avait été, lui aussi, nettement plus fort.
Entre ces deux performances quasiment sorties du chapeau, il faut aussi signaler une première finale sur le circuit principal, au mois de juillet, à Gstaad. A part ça ? Rien d’aussi croustillant, sinon quelques beaux résultats obtenus à l’étage inférieur du circuit Challenger, une catégorie de tournois dans laquelle il n’a toutefois encore jamais soulevé de trophée et également connu son lot de défaites difficiles l’an dernier, alors qu’il luttait pour passer cette satanée barrière du top 100.
Non, Gaston, ça n’a pas toujours été beau à voir. Avouons-le, ça a même parfois été carrément moche, à l’image de son échec face au Japonais Shintaro Mochizuki, 18 ans et 499e mondial, au 1er tour des qualifications de Wimbledon l’an passé. Comment est-il possible de passer, d’une semaine sur l’autre, presque d’un jour sur l’autre par moments, d’un tennis aussi sublime à une telle avalanche de scories ? C’est (encore) le mystère Gaston…
La hausse du niveau moyen, un chantier prioritaire
L’année 2022 a débuté un peu sous les mêmes auspices “gastonesques”. Après un début de saison très compliqué avec un seul petit match gagné sur le circuit principal pendant deux mois et demi, le diablotin toulousain a soudainement rejailli de sa boîte à Miami où il a franchi les deux premiers tours avec notamment une superbe victoire face à l’ancien vainqueur du tournoi John Isner. Une aventure à poursuivre au tour suivant face à Cameron Norrie, mais un résultat d’ores et déjà plus conforme avec son nouveau statut (68e mondial) et le tennis qu’il se sait capable de produire.
Alors, un joueur de coups, Hugo Gaston ? Avec une feuille de résultats aussi facile à décrypter que ne l’est – pour ses adversaires – son tennis tout en variations et en changements de rythme, il serait tentant de le catégoriser ainsi. Mais cela ne colle pas aux caractéristiques d’un joueur dont l’investissement à l’entraînement tout comme son dévouement à son métier sont, eux, parfaitement constants et linéaires, et ce depuis toujours.
Son entourage évoque plutôt souvent la trop grande instabilité – pour l’instant – de son niveau moyen, et la nécessité de le faire progresser en priorité sur cet aspect qui fait principalement la différence entre les bons joueurs et les très bons. Cela passe notamment par le fait de “trouver le compromis entre sa créativité naturelle et le pragmatisme nécessaire au plus haut niveau”, comme le martèle son entraîneur de longue date, Marc Barbier.
La progression pragmatique et linéaire de Gaston
Analyser sa trajectoire par le seul prisme de ses résultats en forme de montagnes russes ne rendrait pas forcément grâce à la progression générale de Gaston qui, elle, a toujours été linéaire et conforme à ses objectifs, du moins en termes de classement. Des objectifs qu’il s’est toujours fixés de manière réaliste, sans se faire aveugler par le phare de l’utopie mais toujours en se laissant guider, justement, par un indécrottable pragmatisme.
“Mon objectif pour l’instant est de devenir pro et de jouer un tournoi du Grand Chelem”, disait-il ainsi à l’âge de 14 ans après avoir conquis le titre de champion de France de la catégorie, soit-dit en passant, en faisant déjà étalage de ses formidables qualités de combattant puisqu’il avait remonté un handicap de 4-0 au troisième set en finale face à un copain auquel il rendait 29 centimètres, Jaimee-Floyd Angele. Une déclaration plutôt surprenante de prudence, à un âge où chacun clame plutôt à tout va son désir de gagner Roland-Garros et de devenir numéro un mondial.
En 2021, quitte à tempérer les “enflammades” suscitées par son périple à Roland-Garros, lui ne visait que le top 100. Il l’a fait. “En 2022, son objectif sera le top 50. Et il continuera de procéder ainsi par étapes jusqu’au top 10 et jusqu’à ce qu’il se sente candidat au titre à Roland-Garros, son rêve plus ou moins privé. En réalité, il ne se fixe aucune limite”, nous disait, après le Rolex Paris Masters, Loïc Martin, son agent chez IMG depuis la fin de saison 2019.
“Mon objectif cette année, c’était de jouer les grands tableaux, il faut prendre ses repères, disait le joueur le mois dernier à l’Open 13 de Marseille, où il avait été battu par Stefanos Tsitsipas. Le seul truc qui est chiant, c’est que tu joues directement de très bons joueurs, il faut être prêt d’entrée. Je sais ce qui m’attend, j’en suis très heureux et je n’ai aucune inquiétude.”
Et c’est vrai que, dents de scie ou pas, tennis atypique ou pas, le “petit” Hugo est tout à fait dans les clous du projet tennistique, pour le coup extrêmement structuré, qu’il suit depuis son plus jeune âge, notamment depuis qu’il a fait ses bagages pour le Pôle France de Poitiers puis l’INSEP avant de revenir dans sa région toulousaine natale. Ensuite, tout est allé très vite.
En 2018, il fait partie des meilleurs juniors mondiaux, atteignant la deuxième place mondiale et décrochant la médaille d’or aux Jeux Olympiques de la Jeunesse. En 2019, pour sa première saison à temps plein sur le circuit pro, il passe de non classé à l’ATP au top 250. Puis prend encore une centaine de places en 2020, et autant en 2021. Propre.
Son sens de l’illusion est tel qu’il réussit pourtant à faire penser, parfois, que son jeu créatif nécessite beaucoup plus de temps que la moyenne pour éclore. C’est un peu vrai, quelque part. Mais c’est oublier aussi qu’il n’a que 21 ans et qu’il est dans les clous des meilleurs de sa génération.
Ce n’est peut-être pas aussi spectaculaire qu’un Sinner, un Alcaraz ou un Auger-Aliassime, mais il fait son bonhomme de chemin.
Marc Barbier, entraîneur d’Hugo Gaston
“Saison après saison, il valide les étapes fixées et mène finalement un rythme de progression très soutenu, se satisfaisait Marc Barbier à Bercy. Ce n’est peut-être pas aussi spectaculaire qu’un Sinner, un Alcaraz ou un Auger-Aliassime, mais il fait son bonhomme de chemin. Certains attendent peut-être que les jeunes arrivent dans le top 10 après deux ou trois saisons sur le circuit. Mais, dans les faits, ceux qui y parviennent sont rarissimes.”
Dans le projet mené conjointement par Marc et Hugo depuis de longues années, il n’est en rien question de laisser la place au hasard. Encore moins de jouer les intermittents du spectacle. La tentation est grande, c’est vrai, de dire que ce Gaston sort de nulle part avec son tennis tout droit sorti de la quatrième dimension. La réalité est toute autre.
Vision à (très) long terme
“Marc Barbier a toujours eu une vision à deux, trois, cinq ans de la progression de Hugo, confirme encore son agent Loïc Martin. Les séances d’entraînement sont au service de cette vision, pas du match du lendemain. C’est un travail sur le long terme. D’ailleurs, quand j’ai discuté avec Marc avant d’entamer notre collaboration, j’ai été impressionné par son discours. Hugo n’était que 250e mondial mais son entraîneur me disait : ‘Ça va bientôt payer, il va avoir des sollicitations, j’ai besoin de quelqu’un pour s’occuper de ça.’ Il était déjà dans le coup d’après.”
Quant au coup d’encore après, on le connaît. D’abord stabiliser cette place dans le top 100 – c’est bien parti avec ces deux tours passés à Miami –, puis la faire fructifier. Ce nouveau classement à deux chiffres lui facilite grandement la vie en terme de programmation, même si Hugo Gaston n’exclut pas de continuer à jouer des Challengers si besoin est, comme il l’a d’ailleurs fait en allant jouer à Phoenix entre Indian Wells et Miami.
En revanche, ce classement ne fait qu’accroître la demande d’une partie du public, notamment des plus sceptiques qui lui demanderont plus que jamais de confirmer que cette arrivée parmi l’élite n’est pas usurpée.
Hugo Gaston, d’ailleurs, a lui-même pu souffrir de ce syndrome de l’imposteur ces derniers mois. “Un nouveau statut n’est jamais facile à gérer, confirme encore Loïc Martin. Au début, ça lui a pesé. Quand on sort d’un Roland-Garros comme celui qu’il a vécu en 2020, on n’a pas envie d’entendre : ‘c’était un feu de paille, il a eu de la chance, etc.’ On a envie de prouver, donc on se met la pression, on n’a plus la même liberté. Et puis, sa préparation mentale l’a aidé surmonter ça. Il a fini par se dire : ‘Si les gens attendant des résultats de moi, c’est que je suis apprécié.’ Ce qui lui a pesé toute la saison est devenu une force à Bercy.”
Sera-ce toujours une force pour la suite ? Nul ne peut le dire. Tout comme nul ne peut répondre à la sempiternelle question de savoir jusqu’où peut aller ce drôle de bonhomme au tennis brillantissime, mais qui sera toujours handicapé, d’une manière ou d’une autre, par sa petite taille (1,73 m) et son manque de puissance au service.
Ça aussi, ça fait partie du mystère Gaston (et de son charme). Mais une chose est sûre. Au milieu de ses entrechats et de ses tours de passe-passe, le “gamin” sait parfaitement d’où il vient, et surtout où il va. Si l’on se conforte à sa trajectoire depuis toutes ces années, il n’y a aucune raison de craindre que les choses s’arrêtent là.