Carlos Alcaraz, la reprise ou la crise
Carlos Alcaraz, en proie depuis quelques mois à une zone de turbulences, doit se ressaisir à Indian Wells, où il attaque cette nuit la défense de son titre face à l’Italien Matteo Arnaldi.
On ne le redira jamais assez mais en tennis, vraiment, c’est fou comme les choses vont vite. Il y a neuf mois, dans la foulée de son deuxième sacre en Grand Chelem conquis à Wimbledon face à Novak Djokovic, Carlos Alcaraz, 20 ans, était le génie absolu du tennis mondial. Et la seule question qui se posait alors était de savoir s’il allait ou non battre un jour le record de titres majeurs du Serbe, vu qu’il n’y a de toutes façons plus que ce genre de stats qui compte dans un monde rendu hors normes par le Big Three, un monde dans lequel plus rien sauf l’inhumain ne nous étonne ou ne nous fait lever un sourcil.
Neuf mois et autant de tournois joués plus tard, tous plus ou moins achevés en eau de boudin, les belles promesses ont accouché d’une autre forme d’interrogation, beaucoup plus angoissée. Car depuis, le petit prodige de Murcie n’a plus gagné le moindre titre et même pis : il n’a plus joué la moindre finale depuis celle, somptueuse, perdue à Cincinnati face à ce même Djokovic, en août dernier, dans la foulée de Wimbledon. Soit ni plus ni moins la plus longue traversée du désert de sa jeune carrière depuis son premier titre à Umag à l’été 2021, qui a correspondu à son éclosion au plus haut niveau.
Dans l’absolu, qu’un jeune de 20 ans s’égare quelques mois dans les circonvolutions d’une discipline aussi exigeante que soumise à toutes les tentations n’a pas grand-chose d’anormal. D’autant que tout reste à relativiser. Dans le laps de temps que nous évoquons ici, Alcaraz a tout de même joué, entre autres, les demi-finales de l’US Open et du Masters ainsi que les quarts de finale de l’Open d’Australie. Alors bon… On en connaît quand même, par chez nous, qui danseraient la Carmagnole pour moins que ça.
Une blessure revelatrice d’un malaise ?
Mais puisque Alcaraz lui-même a invité à ce que l’on juge sa feuille de résultats par le prisme de l’anormal, alors oui, il faut bien dire que ce qui s’est passé ces neuf derniers mois est un peu inquiétant. Il y a eu un amoncellement de défaites, soit, mais surtout un amoncellement de défaites relativement moches, assorties de soubresauts sur le plan émotionnel, tactique ou bien parfois physique, comme la toute dernière en date, un abandon après deux jeux de son premier tour à Rio face au 117è mondial, Thiago Monteiro, à cause d’une cheville tordue. La faute à pas de chance ? Peut-être… Mais impossible de ne pas songer que, quand même, ce genre de blessure survient rarement tout à fait par hasard, surtout aussi tôt dans un match.
Alors, un malaise, Carlitos ? Fidèle à sa bonhommie habituelle, l’intéressé, lui, est apparu tout sourire lors sa conférence de presse de pré-tournoi à Indian Wells, où il attaquera cette nuit (pas avant 3h du matin en France) la défense de son titre face à l’Italien Matteo Arnaldi. « Je suis content d’être ici », « je me sens bien à l’entraînement » et « je suis ici pour défendre mon titre » ont été, basiquement, ses principaux messages.
En gros, le schmilblick n’est pas beaucoup plus avancé mais comme souvent avec les conférences de presse, il faut parfois gratter un peu le vernis de la réponse convenue pour décoder d’autres messages. Quand on lui demande comment il gère les attentes extérieures, le Murcien répond qu’il ne fait pas attention à ce qui se dit autour de lui mais finit par admettre que, parfois, c’est difficile. Et quand lui demande si ces attentes lui plaisent ou lui pèsent, il finit par concéder que, parfois, il se réveille de mauvaise humeur et fait tout pour ne pas le montrer.
Bref, on comprend à demi-mots que tout n’a pas été forcément bleu et rose, ces dernières semaines, dans le ciel jusque là sans nuage du crack ibérique. Dont l’image de perfection a pu en plus être légèrement ébréchée, aussi, par sa récente participation à la Netflix « one million dollar » Slam exhibition à Las Vegas aux côtés de Rafael Nadal, alors qu’il était le premier à critiquer la lourdeur du calendrier ATP.
Maintenant, si l’on peut comprendre sa fin de saison 2023 difficile et passer sur son début de saison 2024 manquée, c’est désormais le moment où jamais pour Carlos Alcaraz de remettre de l’ordre dans la maison. Qu’il se « rate » aussi à Indian Wells deviendrait, pour le coup, assez inquiétant dans un tournoi où il a historiquement toujours bien joué, si tant est que l’on puisse employer ce mot pour un jeune joueur de (toujours) 20 ans.
Vainqueur sans perdre un set l’année dernière, il y avait atteint en 2022 sa première demi-finale en Masters 1 000, battu alors par Rafael Nadal au terme d’un combat magnifique. Les conditions de jeu sèches et abrasives du désert californien lui conviennent bien, comme elles conviennent en général mieux aux terriens ou aux gratteurs de balle que celles de Miami, plus rapides. Alcaraz, lui, aime les deux puisque c’est justement en Floride qu’il avait conquis son premier Masters 1 000, toujours en 2022.
Au-delà donc d’Indian Wells, c’est plus généralement sur la tournée américaine du mois de mars que Carlos Alcaraz va jouer gros. Au classement déjà puisque, s’il ne fait pas mieux que Jannik Sinner à Indian Wells, il se fera déposséder de sa place de numéro 2 mondial par l’Italien. Et pourrait même se retrouver numéro 4 en cas de grosse contre-performance de sa part, assortie d’un titre de Daniil Medvedev.
« Je crois que pas mal de joueurs ont compris comment il joue et comment jouer contre lui.
Jimmy Connors
Il devra surtout répondre à pas mal d’interrogations sur sa récente panne de résultats, venue heurter la sensibilité de certains experts, et pas des moindres, qui commencent à se demander si son souci n’est pas tout simplement purement tennistique. « Je crois que pas mal de joueurs ont compris comment il joue et comment jouer contre lui, s’est ainsi récemment interrogé Jimmy Connors. Ils étaient surpris au début mais aujourd’hui, ils ont un peu plus assimilé ses forces. Peut-être que Carlos Alcaraz a besoin de changer un peu et de trouver autre chose. »
Alerte poncif en vue sur la nécessité de se « réinventer ». Mais pour le coup, ça n’est peut-être pas tout à fait faux. Souvenons-nous la manière dont le protégé de Juan Carlos Ferrero, par exemple, était quasi-systématiquement mis en échec sur ses amorties – son arme fatale à son arrivée sur le circuit – lors de sa défaite à Melbourne contre Alexander Zverev, en janvier dernier.
C’est d’ailleurs en densifiant son jeu, désormais moins monolithique qu’il n’a pu l’être à ses débuts, que Jannik Sinner a fini par gravir le dernier étage de la fusée pour chiper à Carlos Amcaraz, sinon sa place de premier dauphin de Novak Djokovic (pas encore), du moins son statut d’élu du peuple pour succéder au roi serbe. La nuance n’étant pour le monde du tennis qu’une vague notion assez floue, voilà désormais l’Italien aussi déifié que l’Espagnol est piétiné. On attend, maintenant, la réplique de ce dernier.