A Miami, Dimitrov a-t-il offert au revers à une main son bouquet final ou un espoir de revival ?
Grâce à sa finale à Miami, Grigor Dimitrov permettra au revers à une main de faire son retour dans le top 10 lundi prochain. Simple sursis ou possible amorce d’un revival de ce coup en voie d’extinction ? Le débat fait rage…
C’est fou, encore une fois, comment les choses changent vite au tennis. Le 19 février dernier, Stefanos Tsitsipas quittait le top 10 et laissait ainsi l’élite du tennis mondial orphelin du moindre revers à une main pour la première fois de l’histoire du classement ATP. Une date plus symbolique qu’autre chose, mais suffisamment chargée en émotion pour déclencher une vague d’inquiétude quant à l’avenir d’un coup en voie de raréfaction, et même de disparition pure et simple selon certains experts.
Et puis un mois plus tard, le soldat Grigor Dimitrov, armé peut-être d’un des plus beaux revers à une main que ce jeu n’ait jamais connu, a resurgi de nulle part pour s’offrir à Miami une magistrale finale qui, malgré son issue douloureuse face à Jannik Sinner, lui a permis de faire son grand retour dans le top 10 (9ème), plus de cinq ans après l’avoir quitté. Avec lui, le « one handed bakhand » a donc retrouvé un ambassadeur de choix dans la place des grands hommes. Ce qui sied tout de même un peu mieux au prestige de ce coup consubstantiel aux origines de ce sport.
De là à dire que Dimitrov s’est appuyé sur son revers pour signer ce superbe retour en grâce, il y a un pas que l’on ne franchira pas. Il s’est avant tout appuyé sur une qualité de service et de coup droit exceptionnelle, en plus d’un état d’esprit qu’on aurait aimé lui connaître bien plus tôt dans sa carrière, ce mélange de combativité et d’une forme de détachement lui permettant de garder son calme et ses nerfs en toutes circonstances, même au plus brûlant de la bagarre.
Son revers n’est pas son principal fonds de commerce : d’après l’index de qualité des coups (shot quality) communiqué par l’ATP sur la base des données de TennisViz, il a d’ailleurs un peu souffert de la comparaison, sur ce coup, avec les trois autres demi-finalistes du tournoi, Jannik Sinner, Daniil Medvedev et Alexander Zverev, autant d’experts confirmés en matière de revers à deux mains.
Tous les observateurs sont à peu près d’accord là-dessus : dans ce monde de brutes qu’est devenu le monde du tennis, le revers à deux mains est, sinon un meilleur coup, du moins un coup beaucoup plus sécure que le revers à une main. Tout simplement parce qu’il permet d’être beaucoup plus stable et solide face aux accélérations adverses, grâce à l’action de la deuxième main, là où le revers à une main souffre dès que le jeu s’accélère ou prend du lift, parce qu’il ne permet aucune compensation du poignet ni aucun soulagement de l’épaule.
Néanmoins, il conserve certains avantages que le talentueux Bulgare a parfaitement mis en exergue en Floride : en premier lieu, une qualité de slice phénoménale, dont il s’est servi à outrance aussi bien face à Alcaraz, pour lui casser le rythme, que contre Alexander Zverev, pour maintenir la balle basse. Ainsi, une autre intéressante data communiquée par TennisViz a montré que, face à Dimitrov, Zverev a frappé chacun de ses coups à 0,81 m de hauteur, contre une moyenne de 0,98 en 2024.
Ce ne sont du reste pas les seuls atouts du revers à une main. On pourrait aussi citer une plus grande facilité à générer de la puissance et des angles, parce que l’action du bras et de la main est plus libre. Toujours pour rester dans les statistiques, un comparatif entre le revers lifté de Dimitrov et celui de Sinner sorti avant la finale montrait qu’à Miami, celui du Bulgare tournait plus (2519 rpm en moyenne contre 2313) et allait plus vite (122 km/h en moyenne contre 119, revers lifté uniquement). C’est donc une arme plus puissante, même si elle peut s’enrayer plus facilement aussi.
Enfin, dernier avantage du revers à une main : il permet la plupart du temps de posséder une meilleure qualité de volée, et une meilleure qualité d’amortie. En résumé, quitte à enfoncer une porte ouverte, il permet de varier le jeu beaucoup plus. Or, personne ne soutiendrait l’idée que varier le jeu n’est pas une qualité au tennis.
Problème : ce n’est pas la tendance non plus, et depuis fort longtemps. Depuis, on va dire, une bonne trentaine d’années, c’est-à-dire grosso mode l’apparition des cordages en monofilament, qui ont précédé une campagne de ralentissement des surfaces. A partir de là, la mode est plutôt passée à un tennis brut de décoffrage, où le dernier mot revient le plus souvent à celui qui tire le plus fort et le plus longtemps, alors que les créatifs, à moins d’être des purs génies, ont plus de mal à exister.
C’est ainsi que, ultra majoritaire jusqu’aux années 80, le revers à une main a commencé a commencé sa lente érosion jusqu’à passer du côté obscur dans les années 90. Il y a trente ans, pendant le tournoi de Miami 1994, on recensait un revers sur deux dans le top 100. Dix ans après, en 2004, il n’était plus que 37. En 2014, plus que 26. En 2019, plus que 14. Et cette semaine, ils ne sont plus que 11. Les données purement mathématiques semblent donc donner raison à ceux qui prévoient son inexorable extinction.
C’est d’ailleurs un peu paradoxal alors que l’on sort d’une ère marquée par quelques revers à une main de légende, celui de Roger Federer bien sûr mais aussi ceux de Stan Wawrinka, Dominic Thiem et plus encore Richard Gasquet, le seul d’entre eux qui génèrent plus de points avec son revers qu’avec son coup droit.
Sans doute marquées par ces emblématiques champions, les générations suivantes semblaient avoir bien embrayé avec Grigor Dimitrov donc, mais aussi Stefanos Tsitsipas, Denis Shapovalov ou, encore un peu plus jeune, Lorenzo Musetti. On se prenait, dès lors, à croire en un inespéré revival du revers à une main. Mais non. Si l’on prend la globalité du circuit, la tendance n’est pas repartie à la hausse pour autant. Pas encore, du moins.
Chez les pros comme chez les jeunes, le revers à une main représente aujourd’hui environ 10% des joueurs
La question est désormais de savoir si l’érosion va se poursuivre dans les années à venir ou si le revers à une main va se maintenir à cette proportion approximative de 10% d’utilisation qui semble désormais être la sienne à tous les étages, de l’élite jusqu’à la formation des plus jeunes. La courbe de Gauss semble indiquer la direction du mur. Mais le tennis a souvent eu le chic de changer ses tendances au moment même où on les tenait pour acquises.
Le revers à une main a pour lui d’être chargé d’une empreinte émotionnelle si puissante qu’il pourrait devenir au tennis ce que sont le loup blanc ou le panda roux à la faune animalière : une espèce protégée par sa cote d’amour. Pour des raisons autant philosophiques que gestuelles, tout le monde s’extasie devant un revers à une main alors que personne ne l’a jamais fait devant un coup droit à deux mains, pourtant lui aussi fortement menacé.
Il manque, toutefois, des modèles et des exemples pour que ce coup, qui demande un travail un peu ingrat et surtout fort mal payé les premières années, soit à nouveau choisi par les enfants et surtout plus enseigné dans les écoles de tennis – car au fond, le problème vient peut-être essentiellement de là aujourd’hui. Grigor Dimitrov, chantre (dans ses bons jours) de l’alliance entre beauté et efficacité, peut-il être celui qui va montrer la voie ? On ne peut pas lui reprocher de ne pas tout faire, en tout cas, pour montrer que le revers à une main a encore sa place au plus haut niveau.