Tennis sous forte chaleur : les Jeux ont craqué sous la pression, mais rien n’est réglé
La pression des joueurs depuis le début des J.O. de Tokyo, et la scène choquante de Paula Badosa sur son fauteuil roulant ont précipité la décision de l’ITF d’adapter le calendrier des matches à la chaleur. Mais ce sujet récurrent reviendra sur la table.
C’est probablement la phrase qui restera de ces Jeux Olympiques de Tokyo : « Si je meurs, est-ce que l’ITF (Fédération internationale) en prendra la responsabilité ? ». Quand Daniil Medvedev a prononcé ces mots au cœur de son huitième de finale (gagné) face à Fabio Fognini, mercredi, Paula Badosa n’était pas encore sortie sur un fauteuil roulant de son quart face à Marketa Vondrousova après deux jeux de supplice.
Une image glaçante. Une punchline pleine d’humour, certes, mais morbide. Trois heures plus plus tard, l’ITF publiait un communiqué annonçant le report des sessions de tennis aux J.O. de Tokyo de 11 heures locales à 15 heures (de 4 à 8 heures du matin en France). La règle s’applique dès ce jeudi.
Ce report peut sembler anodin – jouer à 15 heures à Tokyo et jouer à la fraîche ne sont pas synonymes – mais le médecin de l’équipe espagnole, dont dépend Badosa, Raul Ruiz-Cotorro avait estimé quelques heures plus tôt sur Radio Nacional que cet horaire correspondait, à ses yeux, à la meilleure option pour éviter les « conditions extrêmes » de jeu proposées depuis samedi à Tokyo.
Ces conditions sont habituelles s’agissant de l’été japonais. Plus de 30 degrés Celsius (32 ce mercredi), mais 40 ressentis en raison d’un fort taux d’humidité (65% ce mercredi, potentiellement 80% en cette saison). Ashleigh Barty rappelait, malgré sa défaite au premier tour, qu’elles étaient semblables à un Open d’Australie moyen et qu’elle appréciait ces conditions.
Djokovic avait mis la pression
L’ITF a beau prendre pour argument « la hausse des températures et de l’humidité actuellement en cours au Japon et à Tokyo », factuellement discutable, elle était sous pression depuis le début du tournoi. Novak Djokovic était allé personnellement demander l’étude de ce report des « coup d’envoi » des rencontres. Gilles Simon, quant à lui, avait fait la sortie médiatique la plus nette, dans L’Equipe, en faisant observer que la diminution du temps de pause à une minute entre chaque jeu ajoutait une difficulté.
« On récupère moins vite, les jambes bougent moins vite » avait expliqué Simon après son premier tour perdu. « Un échange et on a le cœur qui monte très haut tout de suite. Dès qu’il y a un échange de cinq, six frappes, on a l’impression d’avoir joué trente minutes, la tête qui tourne. (…) Le temps de récupération aux changements de côté est inacceptable. On l’a eu pour la première fois en Australie. Ça doit être un comité des Grands Chelems qui l’a décidé. J’imagine qu’ils n’ont jamais joué au tennis. »
Medvedev : “Sur le point de m’écrouler”
Medvedev ne plaisante pas vraiment quand il dit qu’il s’est senti partir : « Dès le premier set, je sentais mal ma respiration. Comme si mon diaphragme était bloqué, et il n’y avait rien à faire. C’est pour ça que j’ai fait venir le physio. Entre les points au deuxième set, ma vision se brouillait, je voyais du noir. Je me penchais vers l’avant pour mieux respirer, en vain, je me sentais sur le point de m’écrouler sur le court. »
Quant à Badosa, « elle s’est mal sentie après un long point à 3-4 et n’a pas réussi à se remettre de ce coup de chaud », selon le médecin Raul Ruiz-Cotorro. « Je ne me sentais pas capable de continuer » a témoigné l’intéressée. « On essaie de s’adapter depuis le premier jour mais là, mon corps n’a pas répondu. La pression de la compétition fait que cela arrive parfois et c’était à mon tour de faire cette expérience. »
Classique sur les circuits amateurs, la décision de ne pas jouer ou d’adapter le planning à la chaleur est rarissime s’agissant d’un événement international de premier plan diffusé partout dans le monde. En 2019, Benoît Paire avait critiqué l’ATP pour avoir laissé se dérouler un de ses matches par 45 degrés à Antalya en Turquie. A l’Open d’Australie, le sujet est récurrent et des batailles en cinq sets ont déjà eu lieu sous des températures proches des 40 degrés sans que le tournament schedule ne soit modifié d’un iota.
Une jurisprudence pour l’Open d’Australie ? Improbable
L’ITF est transparente sur une autre donnée dans son communiqué : si elle a pris une telle décision c’est qu’il reste « seulement » trente rencontres à disputer en quatre jours alors que se joue, depuis samedi, entre trente et quarante-trois rencontres par jour. Dit autrement : les contraintes des organisateurs et les engagements pris auprès de multiples acteurs, notamment les diffuseurs, sont de puissants facteurs d’inertie pour bouger les horaires des matchs.
Les J.O. de Tokyo se déroulent à huis clos. Le tennis n’est pas un sport olympique majeur même si Naomi Osaka et Novak Djokovic en sont des stars très visibles cette année. Ce qui a été possible ce mercredi constitue un précédent. Rien ne dit qu’il fera jurisprudence et inspirera d’autres structures gouvernantes.
Rien de ce qui s’est passé mercredi à Tokyo ne semble duplicable à un Open d’Australie ou un US Open à pleine affluence, voire, le réchauffement climatique oblige à l’envisager, à un Roland-Garros ou un Wimbledon sous canicule. L’hypothèse n’est pas virtuelle : il a fait 42 degrés 6 à Paris en juillet 2019 et il a déjà fait 36 degrés 9 au mois de juin.
“Le tennis a besoin de se doter « asap » d’une vraie politique de gestion des pics de chaleur”
C’est ce que signalait ce mercredi la juriste Katarina Pijetlovic, proche de la PTPA récemment créée par Novak Djokovic et Vasek Pospisil : « Le tennis a besoin de se doter “asap” d’une vraie politique de gestion des pics de chaleur et de revoir son calendrier à l’aube des moments de l’année où il fait moins chaud. »
Un internaute lui a fait remarquer qu’un tel règlement existait. Il prévoit dix minutes de pause entre le deuxième et le troisième set et éventuellement une douche. L’ITF a aussi rappelé, comme pour se couvrir, que ce petit soin était appliqué à Tokyo depuis samedi. Ce dispositif est insuffisant, les cas Badosa et Medvedev l’ont montré. L’ITF vient de prendre une mesure d’exception. Mais la seule règle applicable au tennis professionnel de haut niveau reste celle-ci à l’aube de la tournée américaine.