D’un destin brisé à 14 ans à un troisième tour de Roland-Garros à 26 ans, l’histoire incroyable de Leolia Jeanjean
La Tricolore, grande espoir de son sport à 12 ans, a connu une grave blessure et a vu sa carrière mise entre parenthèse. 14 ans plus tard, elle est au troisième tour de Roland-Garros après avoir battu Karolina Pliskova, ancine numéro un mondiale.
Douze ans. Une éternité pour un joueur de tennis et pourtant Leolia Jeanjean a été récompensée de cette patience. Ce laps de temps, immensément long, a permis à la joueuse française de se construire, se reconstruire surtout. Pour son premier Grand Chelem, à l’âge de 26 ans, la 227e à la WTA rappelle un vieil adage, parfois niais, qui prend tout son sens avec son destin : “Rien n’est impossible”. La principale intéressée n’y croit pas : “Même moi, je n’ai pas d’explications”. Parfois, il n’y en a pas besoin parce que les rêves peuvent aussi se transformer en réalités.
Une performance exceptionnelle à Roland-Garros (et ce n’est pas terminé)
Invitée par les organisateurs, Jeanjean a joué son premier match du Grand Chelem, à Roland-Garros. Face à l’Espagnole Parrizas Dias, la Tricolore n’a pas succombé à la pression d’une première victoire sur le grand circuit – elle n’avait même jamais joué de tournoi WTA. Elle s’est imposée en deux manches (6-4, 6-3) en récitant son jeu et pouvait savourer : “C’est quelque chose auquel je n’aurais pas cru il y a un an. Je ne l’aurais même pas imaginé. J’ai encore du mal à réaliser que je viens de gagner mon premier tour”.
Demandez-donc à Karolina Pliskova, tête de série numéro huit et ancienne numéro un mondiale. La Tchèque n’a pas vu le jour face à la Montpelliéraine, qui n’a cessé de lui rendre la tâche difficile (impossible même). Elle s’est imposée 6-2 6-2 sans la moindre contestation. “Les filles ne savent pas qui je suis. Quand je joue contre elles, je peux mettre quelque chose en place. Elles se disent ‘mais qui est cette fille ?’ J’ai pu appliquer mon plan, qui était de varier les longueurs et les hauteurs. Pour l’instant c’est un avantage”, concède la principale intéressé qui sait que son statut d'”inconnue”, pour le moment, l’aide aussi à progresser dans le tournoi. La Tricolore était 1189e mondiale au début de la saison 2021 !
Une histoire folle et une émergence tardive
Avant de vivre toutes ces émotions positives, Leolia Jeanjean est passée par une carrière au destin qui avait pris un destin tragique à ses débuts. À douze ans, la Tricolore impressionne déjà et on lui promet rapidement un avenir radieux. Elle est classée -4/6.
À l’époque, elle surclasse des joueuses bien connues du circuit actuel, comme Elina Svitolina ou encore Eugénie Bouchard. Les sponsors affluent, un staff est mis à sa disposition. Sa gestuelle en revers lui vaut même une comparaison avec Martina Hingis, ancienne numéro un mondiale et vainqueur de cinq tournois du Grand Chelem. Avant la catastrophe.
À 14 ans, elle subit une terrible blessure au genou (triple luxation de la rotule) puis elle rechute. Au début des années 2010, elle doit alors passer quasiment un an en rééducation. Pendant ce temps-là, la fédération et les sponsors s’impatientent… avant de la laisser tomber. “Tout s’est arrêté brutalement, je l’ai mal vécu, je ne savais plus quoi faire de ma vie”, a t-elle reconnu récemment sur Stade 2.
Poussée par ses parents, elle décide alors de se rendre aux États-Unis pour reprendre les études. Pour s’assurer un futur : “J’ai fait beaucoup de choses qui n’ont rien à voir : une licence de sociologie, une licence de justice criminelle et un Master en finances investissement de patrimoine. Donc rien à voir, mais c’est comme ma vie, ça part un peu dans tous les sens.” Mais le plus important est ailleurs : elle continue à jouer au tennis et remporte quelques tournois universitaires. Un retour sur le circuit est toujours dans un coin de sa tête.
À l’automne 2020, c’est reparti. Jeanjean a 24 ans et obtient une invitation pour un tournoi ITF à Poitiers. En plein Covid, elle y montre sa détermination. Elle atteint la finale et intègre le top 500 à l’issue de l’été. Puis le top 200 en 2022 après trois finales, dont un titre en France face à sa une autre Montpelliéraine, Tessah Andrianjafitrimo. Sa 222e place mondiale lui permet d’obtenir une wild card pour le grand tableau de Roland-Garros. Elle ne l’avait même pas imaginé.
Un style de jeu très atypique
“Je n’ai pas un jeu stéréotypé. J’aime le jeu, les variations, les amorties, monter au filet, faire en sorte que la joueuse d’en face se sente perdue. Tisser ma toile comme j’en ai envie”. Ce sont les mots de Leolia Jeanjean concernant son tennis. Alors que le tennis moderne demande toujours plus de puissance, la joueuse de 26 ans semble à l’opposé de tous ces standards.
Face à Parrizas Dias au premier tour, classée 45e joueuse mondiale, Jeanjean n’a eu aucun complexe d’infériorité, bien au contraire. Elle n’a pas eu l’impression d’être à des années-lumière de son adversaire : “On va dire que je n’ai pas ressenti une grosse différence de jeu et de qualité de frappe, assure la Française. Je ne me suis pas dit ‘ça va être injouable et je vais prendre 2 et 2’. Ça m’a un peu soulagée, puis mise en confiance pour mettre mon jeu en place”. Cela s’est encore moins vu au second tour face à Karolina Pliskova, joueuse assez puissante. “C’est la grande surprise pour moi. Je m’attendais à prendre des points gagnants et des aces dans tous les sens.”
Un troisième tour à jouer et prize money déjà conséquent
Au troisième tour, la Française défiera la Roumaine Begu, 63e joueuse mondiale, un profil à la portée de la Jeanjean des deux premiers tours. Mais si elle devait s’incliner, elle assure que ses objectifs sont déjà (largement) validés : “L’objectif de la saison était de rentrer en qualifs de Grand Chelem pour Roland-Garros puis Top 100. Le nouveau classement va changer ma programmation, j’étais repartie pour des 25K, 50K ITA. Je vais pouvoir faire des WTA mintenant.”
Jeanjean a également indiqué récemment qu’elle menait sa vie semaine après semaine, avec le RSA et les APL encore très récemment. Grâce à sa victoire face à la finaliste de Wimbledon 2021, elle va empocher 125 800 euros. De quoi vivre beaucoup plus sereinement : “Le prize money change la vie. Je vais pouvoir avoir un coach, une structure, partir à l’étranger, faire des tournés, ça change tout.” À 26 ans, la carrière de Leolia Jeanjean est enfin lancée. Mieux vaut tard que jamais.