Le jour où Sabalenka a accepté de faire ce que les Ukrainiennes attendaient d’elle
Aryna Sabalenka a surpris tout le monde monde en revenant répondre aux questions des journalistes à Roland-Garros, sans éluder les quelques questions sur son soutien apparent au régime pro-guerre d’Alexandre Loukachenko. Elle a donné l’impression de soulager sa conscience.
Dans un monde qui tournerait rond, jamais un 6-4, 6-4 entre Aryna Sabalenka et Elina Svitolina, un paisible mardi de Roland-Garros, n’aurait débouché sur une telle affluence en conférence de presse. « Aryna Sabalenka is on her way to PC1 ». Cette phrase – PC1 étant la grande salle de conférence de presse sous le Chatrier – était la moins attendue de la journée.
Depuis le deuxième tour et une conférence de presse tendue marquée notamment par des échanges à fleur de peau avec une journaliste ukrainienne, la numéro 2 mondiale avait déserté cet exercice pourtant obligatoire, ne livrant que quelques réactions écrites et autorisées, « pour sa santé mentale », avait-elle exprimé.
La deuxième surprise est venue de l’absence de brief de la part de la press officer de la WTA. « Aryna Sbalanle ne répondra qu’aux questions sportives et ne pourra pas répondre à des questions ayant une dimension politique » : cet avertissement n’est jamais arrivé de sa bouche. Le message était donc latent mais il était clair : Sabalenka avait des choses à dire et elle répondrait aux questions que tout le monde se pose.
Un déclic pour des explications tant attendues
Comme elle l’a rappelé plusieurs fois dans le passé et encore ce mardi aussi, Aryna Sabalenka est un joueuse de tennis professionnelle, qui a des objectifs, qui a consacré sa vie à les atteindre et cela n’a rien à voir avec la politique et les affaires du monde. Mais quinze mois de tension sur le circuit l’ont rappelée à cette réalité :
elle est biélorusse, citoyenne d’un pays politiquement et militairement allié de la Russie dans l’envahissement de l’Ukraine, et beaucoup de ses adversaires ukrainiennes considèrent que le prix à payer pour cette liberté est de se désolidariser des actions menées par son gouvernement en son nom.
Ce que Sabalenka n’a pas été prête à faire pendant plusieurs mois, elle l’a fait après sa victoire face à Elina Svitolina. L’Ukrainienne, comme prévu, l’a explicitement évitée lors d’une poignée de mains, au propre étonnement de Sabalenka qui s’était placée en position de la recevoir. « J’y suis allée à l’instinct, comme à l’issue de chacun de mes matches » s’est-elle justifiée. Plus tard elle resterait stoïque à l’évocation des huées adressés à Svitolina en réponse à cette attitude : « Elle ne le méritait pas. Je respecte beaucoup ce qu’elle a
pu accomplir depuis qu’elle a donné naissance à sa fille (en octobre 2022, Ndlr). C’est impressionnant. Je la respecte énormément. »
La première chose avec laquelle Sabalenka était prête à en finir mardi était son avec son image de soutien politique au président de son pays depuis 1994, Alexandre Loukachenko, allié et vassal de Vladimir Poutine dans la région. « Internet n’oublie jamais rien. On peut trouver de nombreuses photos de vous et d’Alexandre Loucachenko », lui a fait observer un journaliste polonais dès la deuxième question, en rupture apparente avec le souhait manifesté récemment par Sabalenka de ne pas mêler sport et politique – avant, cela
la gênait moins.
« On a joué plusieurs matches de Fed Cup en Biélorussie, a-t-elle répondu. Il assistait à des rencontres, on prend souvent des photos après les matchs. A l’époque, il ne se passait rien de mal en Biélorussie, en Ukraine ou en Russie. » Dans sa réponse, Sabalenka a éludé une réception en décembre 2018 pour la féliciter pour sa saison, puis une autre le 31 décembre 2020 à Minsk, en pleines contestations pro-démocratiques, conformément à une pratique très ancrée dans le régime qui instrumentalise les réussites de ses athlètes, comme il l’avait fait avec Victoria Azarenka en 2012 et 2013.
Sabalenka s’oppose fermement à son président-dictateur, Alexandre Loukachenko
« Je l’ai dit à bien des reprises, je ne soutiens pas la guerre, je ne veux pas que mon pays soit impliqué dans un quelconque conflit » a ajouté Sabalenka. « Je ne suis qu’une joueuse de tennis. Je n’ai que 25 ans. Si je voulais faire de la politique, je ne serais pas ici. Je ne veux pas être enfermée dans la politique. Je ne veux être qu’une
joueuse de tennis. »
Interrogée sur son soutien à Loukachenko dans la foulée de ces observations, elle a répondu : « Question difficile. Mais je ne soutiens pas la guerre, cela signifie donc que je ne soutiens pas Alexandre Loukachenko actuellement. »
Sabalenka a aussi réussi à placer des mots sur son état d’esprit, entre la décision prise jeudi dernier de ne plus se rendre aux conférences de presse pour ne plus s’exposer à ces questions, et son retour derrière le pupitre à cinq jours d’une possible finale à Roland-Garros.
« J’ai mal dormi à l’idée de ne pas venir ici, a-t-elle dit aux journalistes. Je respecte votre travail. Je suis transparente dans toutes mes réponses et je vous suis reconnaissante de vous intéresser à mon parcours. Mais récemment j’ai eu l’impression que ça tournait en spectacle de télé-réalité politique, et je n’y connais rien en politique. Je suis désolée de ne pas vous avoir donné l’opportunité de parler avec moi, mais je suis là aujourd’hui pour répondre à toutes les questions que vous voudrez me poser. »
Par cette prise de position, Sabalenka se rapproche, parmi les joueuses et joueurs russes et biélorusses, de la position d’Andrey Rublev, le joueur jusqu’ici le plus courageux dans son discours public, réitérant à de multiples reprises un appel à la paix et son horreur pour les crimes commis. Mais aucun joueur et aucune joueuse n’avait jusqu’ici le courage de se désolidariser de son président-dictateur en assumant de le nommer.