La mécanique sournoise des crampes, ce mal principalement nerveux qui a eu raison de Carlos Alcaraz
Le kiné du sport Florian Patalagoity nous explique les causes connues de l’apparition des crampes chez les joueurs de tennis. Elles sont plus nombreuses complexes et indomptables qu’il y paraît.
Nous, pauvres tennismen du dimanche, n’avons que trop marginalement l’occasion de ressentir ce que ressentent les champions sur les plus grand courts du monde. Les crampes de Carlos Alcaraz au début du troisième set de sa demi-finale de Roland-Garros sont l’exception qui confirme la règle.
Ça nous est tous arrivés un jour, et parfois dans des circonstances improbables, de sentir ce mollet ou cette cuisse se dérober à leur devoir, se contracter de façon incontrôlée, et nous donner la démarche d’un canard boiteux en train de marcher sans but sur des ronces.
Même si les crampes font parfois leur incursion dans la légende du tennis – Chang contre Lendl en 1989, Matsuoka gesticulant à terre à l’US Open en 1995 – , ou tout simplement dans le cours de la saison – Rune contre De Minaur à Acapulco – elles ne faisaient pas partie des scénarios envisagés entre les deux meilleurs joueurs du monde, bêtes physiques hyper préparées, y compris pour Alcaraz, vainqueur de l’US Open en septembre 2002 après 19 sets de grande intensité joués en sept jours.
Les crampes ne sont pas une blessure
Les crampes n’en restent pas moins un mal – ce n’est pas une « blessure », car il n’y a pas de traumatisme à réparer – complexe, difficile à anticiper, quasiment impossible à dépasser en temps réel (d’où le 6-1, 6-1 encaissé par Alcaraz après son appel au kiné) et dans lequel les facteurs physiques ne sont pas plus importants que les facteurs nerveux.
« Les facteurs qui favorisent les crampes sont les quatre suivants », nous explique Florian Patalagoity, kiné du sport à Paris, qui a longtemps travaillé avec Serena Williams :
« 1- Chacun y est peut y être plus ou moins sujet. On explique encore mal pourquoi certains ont souvent des crampes musculaires associées à l’exercice et d’autres jamais ;
2- Longtemps on a lié crampes et manque d’hydratation mais on en parle de moins en moins. On a vu des athlètes complètement déshydratés ne pas cramper et inversement des athlètes boire énormément et souffrir de crampes ;
3- L’autre hypothèse avancée, quoi que de moins en moins, serait ce qu’on appelle un désordre électrolytique: un manque de sodium notamment, quand celui-ci s’échappe dans la transpiration (d’où son goût salé). C’est tout le sens des boissons d’effort avec sel (et calcium, magnésium, potassium) ;
4- Et enfin l’hypothèse la plus probable : les troubles neuro-musculaires, c’est-à-dire un déficit de contrôle du muscle par la moelle épinière. »
Il faut comprendre que le muscle est relié au cerveau par les nerfs. Puisque les nerfs sont impliqués dans le problème, les crampes ont d’autant plus de raisons de survenir quand l’athlète est en situation de tension.
Florian Patalagoity, kiné
En cela les crampe sont une blessure moins physique que mentale. « Il faut comprendre que le muscle est relié au cerveau par les nerfs. Puisque les nerfs sont impliqués dans le problème, les crampes ont d’autant plus de raisons de survenir quand l’athlète est en situation de tension. »
Dans le cas de Carlos Alcaraz, tout converge vers cette explication. L’Espagnol a beau être numéro un mondial, il n’avait jamais joué le Big Three en Grand Chelem, c’était sa deuxième demi-finale en majeur, il avait été désigné favori du match et du tournoi. Il n’a eu, du reste, aucune difficulté à le reconnaître en conférence de presse.
Pour comprendre les crampes, il faut comprendre que les automatismes qui engagent les muscles à se contracter ou se détendre ne sont pas pilotés par le cerveau mais par la moelle épinière, à travers des faisceaux neuro-musculaires qui font les liens entre les nerfs et les muscles. « Quand vous jouez au tennis, indique Florian Patalagoity, c’est votre cerveau qui voit la balle, qui ordonne votre déplacement, commande votre placement, votre geste et visualise où vous voulez mettre la balle.
“On appuie trop fort sur l’accélérateur jusqu’à un certain seuil, le muscle se contracte involontairement de manière intensive : c’est la crampe.”
Mais la dernière milliseconde d’action et surtout l’intensité de la contraction du muscle est régulé par la moelle épinière. La moelle épinière et le système nerveux jouent le rôle d’accélérateur, comme dans une voiture, au travers des faisceaux neuro-musculaires (la jonction nerf-muscle). Une crampe est un dysfonctionnement neuro-musculaire dans lequel on appuie trop fort sur l’accélérateur et pas assez sur le frein. Quand le corps se dérégule et appuie trop fort sur l’accélérateur jusqu’à un certain seuil, le muscle se contracte involontairement de manière intensive : c’est la crampe. »
Un dictionnaire en ligne bien connu parle de « hyperactivité explosive des nerfs moteurs ». « On peut aussi parler du dérèglement du processus d’automatisation musculaire », enchaîne Florian Patalagoity.
De façon très prosaïque, quand un poulet sans tête continue sa course jusqu’au premier obstacle ou qu’une tête de personne décapitée émet encore quelque expression, c’est que les nerfs fonctionnement encore de façon autonome indépendamment du cerveau. Même s’ils font froid dans le dos, ces exemples illustrent que la déconnexion entre le cerveau et les muscles n’empêchent pas l’existence d’une relation entre les nerfs et les muscles, relation indépendante de la volonté consciente ou inconsciente des individus.
« Ce que nous savons aujourd’hui des crampes est su et mesuré grâce à des expériences sur des animaux et des fibres musculaires de personnes décédées sur lesquels on pratique des expériences, indique Florian Patalgoity. Personne n’a pu mesurer tout cela sur un athlète pendant pendant son effort, c’est une théorie à prouver. Et personne ne sait exactement ce qu’il faut entreprendre pour s’en débarrasser. Un thérapeute qui dirait : ‘tu as des crampes, tu n’en auras pas la prochaine fois si tu fais ça’, c’est un mytho. »
La mauvaise nouvelle pour Carlos Alcaraz, c’est que, s’il est sujet à des crampes – il en avait eues lors de sa victoire à l’US Open contre Stefanos Tsitsipas en 2021 – il n’y a pas de recette magique pour le prémunir d’un nouveau désagrément de cette nature.
Être très bien préparé physiquement ne protège de rien. Ainsi le préparateur de Daniil Medvedev, Eric Hernandez, nous avait indiqué à propos des crampes ressenties par le futur numéro un mondial à Miami en 2021 : « On ne sait jamais ce que le stress peut faire à un joueur. L’entraînement (du) matin (de notre reportage) était plus exigeant physiquement que n’importe quel match en trois sets. »
Un thérapeute qui dirait : ‘tu as des crampes, tu n’en auras pas la prochaine fois si tu fais ça’, c’est un mytho.
Florian Patalagoity
Le manque de préparation physique est un facteur explicatif qui résiste peu à l’analyse . « Les crampes touchent essentiellement les muscles les plus sollicités, observe Florian Patalagoity. Il existe donc une composante de fatigue musculaire qui favorise l’apparition de crampes. D’ailleurs les athlètes plus entrainés développent moins de crampes. Renforcer davantage les muscles et augmenter le volume physique pour éviter les crampes est un tentation naturelle. Mais l’explication est simpliste et n’englobe pas l’ensemble du problème. D’ailleurs le cas Alcaraz est éloquent, il n’est pas connu pour son manque de physique.»
En matière de prévention, « on peut faire à un joueur un massage d’avant-match pour s’assurer que tous les muscles soient les plus déliés possibles qu’il ne commence pas à jouer avec quelques tensions, indique Florent Patalagoity. Mais cette précaution n’aura aucun impact sur le comportement des nerfs en situation extrême. Les autres bonnes pratiques : stimuler intensément les muscles touchés avec des courants électriques en préparation physique, faire des exercices des muscles touchés, avoir une bonne caisse physique pour éviter la fatigue globale et enfin une bonne hydratation et une bonne nutrition. »
Le meilleur outil dont Alcaraz peut et va chercher à se doter, c’est l’expérience . « Si tu prends deux joueurs qui font le même effort, qui sont préparés de la même façon, mais que l’un a l’habitude de ce type d’effort et l’autre pas, alors celui qui n’a pas l’habitude a dix fois plus de chances de ‘cramper’ », illustre Florian Patalagoity. « L’intensité était énorme et on l’a tous les deux sentis dans nos jambes », a indiquéNovak Djokovic après la demi-finale. Oui mais pour le Serbe, c’était la 45e demi-finale en Grand Chelem et la douzième à Roland-Garros. Alcaraz a seulement joue 35 rencontres au meilleur des cinq sets. En 9 tournois du Grand Chelem.