« Je suis 100% transparent avec toi… » : Ce que l’on sait de la douleur permanente, du traitement « extrême » et l’avenir de Nadal
Rafael Nadal a révélé qu’il avait joué Roland-Garros 2022 sous anesthésie locale et qu’il ne le referait pas. Il va tout tenter pour rester compétitif, y compris brûler deux de ses nerfs au pied gauche la semaine prochaine. Sans garantie aucune.
C’était à la fin de la conférence de presse d’après-finale : une journaliste a demandé à Rafael Nadal comment il était reparti dans sa finale quand il a été mené 3-1 par Casper Ruud au deuxième set. « Merci ! Une question sur le tennis » a souri le propriétaire de fait du court Philippe-Chatrier.
Jusqu’ici, la presse internationale avait plutôt questionné le quatorzuple vainqueur de Roland-Garros (!) sur la question qui anime tous ses fans. A savoir, sa blessure chronique au pied gauche (syndrome de Muller-Weiss), le traitement « extrême » (selon ses mots) qu’il s’était infligé pour la surmonter à Paris (des anesthésies locales à chaque match) et ceux qu’il allait désormais tenter pour rester compétitif au haut niveau.
L’Espagnol de 36 ans, vainqueur des deux premiers tournois du Grand Chelem de l’année, a assuré aux médias espagnols avoir été « 100% transparent » (« 100% crystal clear ») dans ses déclarations. C’est, à la lettre, évidemment inexact – il n’a d’ailleurs pas voulu répondre à une question sur le nombre d’injections reçues – mais il voulait dire par là que son avenir dans le tennis demeurait illisible aussi à ses propres yeux. Il s’est livré sur ses options et ses espoirs. Tennis Majors a fait le tri.
Ce que l’on sait
1. Nadal a joué sous anesthésie, « comme chez le dentiste », et c’était un risque qu’il ne reprendra pas
L’expression est de Nadal lui-même : il a joué ce Roland-Garros « dans des conditions extrêmes ». Il a d’abord employé des mots imagés à la télévision (« pied endormi ») avant d’y aller franco : il a joué ce Roland-Garros en bénéficiant d’anesthésies locales.
« Comme chez le dentiste, quand vous ne sentez plus votre dent ». Il est donc allé au-delà des traditionnelles infiltrations, considérées le plus souvent comme le sommet des anti-douleurs proposés aux sportifs de haut niveau ayant de légers traumatismes.
« Je n’ai été capable de jouer qu’en raison de ces injections qui m’enlèvent tout le ressenti sur mon pied. » Si Nadal a déclaré plusieurs fois qu’il « ne pourrait pas continuer comme ça », c’est que ce schéma n’est pas duplicable à l’infini. « C’était un one-shot ; il m’a permis de vivre des émotions incroyables ».
2. C’était une vraie prise de risque
La scène d’Alexander Zverev se tordant de douleur après un traumatisme extrême à la cheville droite est l’une des images qui restera de ce Roland-Garros. Rafael Nadal a joué toute la quinzaine en sachant que cela pourrait pertinemment lui arriver, à lui.
« Les risques que je prends avec mes sensations sont énormes, dit Nadal. Le risque d’entorse de la cheville ou d’autre type de dommage était accru. Roland-Garros étant Roland-Garros, je voulais tenter le coup. Mais je reste sur ce que j’ai dit cette semaine : je ne peux pas continuer de la sorte, ce n’est pas ma philosophie. »
Nadal a cependant répété que le traitement anesthésique (plusieurs injections par match couplé à des anti-inflammatoires), en tant que tel, ne représentait aucun potentiel d’aggravation du mal initial.
3. Nadal veut continuer et a un plan en deux temps qui inclut un nouveau traitement cette semaine
Les phrases crépusculaires de Nadal, après son quart de finale contre Djokovic, ont logiquement amplifié l’idée que l’Espagnol – qui a déjà failli arrêter sa carrière en 2020 – allait renoncer au tennis dans les jours à venir. Mais Nadal, accroc à la compétition de haut niveau, continuera autant que son corps ne le stoppera pas.
« Comme je le répète souvent, si je continue, ce n’est pas pour battre des tas de records, c’est que j’aime le tennis, j’aime ce que je fais, j’aime la compétition, j’aime ressentir que j’ai tout fait pour atteindre mes objectifs et je souhaite me donne toutes les chances d’être compétitif et vivre des moments gravés à jamais. »
Ce premier traitement consistant à brûler les deux nerfs, c’est ce que nous ferons cette semaine, je ne sais pas exactement quand
Rafael Nadal
Pour s’octroyer quelques saisons supplémentaires, Nadal a indiqué avoir un plan en deux temps. D’abord, tenter un nouveau traitement localisé sur deux nerfs de son pied qui suscitent la douleur, capable de donner une sensation anesthésiante durable, sans recours aux injections. Si ce traitement local ne fonctionne pas, une opération, sur laquelle aucun détail n’a été donné, sera à nouveau envisagée.
« Ce premier traitement consistant à brûler les deux nerfs, c’est ce que nous ferons cette semaine, je ne sais pas exactement quand. » Il relève manifestement de la radio-thérapie (« avec radiofréquences pulsatiles », a dit Nadal).
« Si cela fonctionne, je continuerai et j’irai à Wimbledon. Si cela ne fonctionne pas, ce sera une autre histoire. Alors devrai prendre une décision très personnelle, faire quelque chose de plus lourd, sans être certain que les choses finiront pas aller mieux. Une opération majeure qui ne me garantira pas d’être compétitif à l’avenir, car le processus de reprise serait long. Je vais prendre les choses dans l’ordre, comme je l’ai toujours fait dans ma carrière. »
Ce que l’on ne sait pas
1. Ce que sont les chances de réussite de ces traitements
Nadal, comme il en a pris l’habitude, de fait, depuis sa grosse coupure et son opération à l’automne 2021, sait sa carrière conditionnée à la réussite de ses soins. S’il parvient à éviter les injections récurrentes, il jouera Wimbledon. Si c’est insuffisant, il fera face à ce choix plus solennel, celui de se faire opérer ou pas.
S’il ne choisit pas l’opération et que son traitement par radiothérapie ne produit pas d’effet, il est lisible que Nadal arrêtera le tennis. « Si je peux continuer à me rendre heureux en jouant au tennis avec les options dont je dispose, je continuerai. Sinon, je ferai autre chose. »
2. Les limites que se fixe Nadal
Le régime que s’est infligé Rafael Nadal pendant Roland-Garros n’est probablement soutenable que par un partie infime d’entre nous. L’Espagnol a indiqué qu’il ne pouvait quasiment pas marcher après son deuxième tour contre Corentin Moutet, et à ce titre la brutalité de ses remèdes apparaît vertigineuse. Sans traitement, il a une douleur permanente, et le traitement qu’il va tenter cette semaine « vise tout simplement à la diminuer significativement ».
Le champion a déclaré après sa semi-finale contre Zverev que sa santé future était plus importante que les trophées en tennis, mais ce n’est pas nécessairement l’impression qu’il a donné dimanche. Il n’a notamment pas répondu franchement à une questions posée sur les limites qu’il se fixe pour sa santé générale et sa vie d’homme.
Si tu passes ton temps à penser aux risques, tu ne joues jamais.
Rafael Nadal
« Je ne veux pas prendre le risque (des anesthésies) pour ma vie future » a-t-il répété avant de généraliser : « Ma carrière de joueur de tennis a été ma priorité toute ma vie, mais elle n’a jamais pris le dessus sur la volonté d’être heureux dans la vie, voilà l’ordre dans lequel les choses se passent. »
Plus tard, il a dit en espagnol « Si tu passes ton temps à penser aux risques, tu ne joues jamais. Il y a des décisions à prendre, tu les prends ou pas, puis tu les chéris et tu les assumes, ce que j’ai toujours fait. En 2016, ici j’ai joué avec un poignet anesthésié, et le poignet n’a pas tenu. J’ai dû déclarer forfait. L’ai-je regretté ? Non. Décision prise, décision assumée. Nous savions que le poignet était très dégradé, j’ai mis la pression à mon entourage médical, pour jouer. Ils n’étaient pas d’accord. Mais c’était ma décision à moi, j’ai assumé le risque. Je pensais que c’était un risque à prendre. Sur le long terme, c’était assumable. Je ne suis pas du genre à faire des suppositions. Je prends les choses comme elles viennent, je jauge chaque situation et je fais confiance à l’avenir, ce qui m’a amené à vivre des choses absolument inespérées. »
Fidèle à sa communication, il affirme qu’il n’y a « aucun héroïsme » à jouer comme il l’a fait. « J’ai joué dans de bonnes conditions, le problème c’est tout ce que tu dois assumer mentalement avant pour juste jouer simplement un match de tennis. »
L’hypothèse d’une lourde opération sans garantie de réussite serait « une décision de vie, à prendre avec moi-même », a-t-il dit. « Je ne sais, je n’ai pas encore de quoi peser les termes de cette décision. »
Si vous me demandez si je serai à Wimbledon, la réponse est ‘je ne sais pas’. Si vous me demandez si j’ai envie de gagner Wimbledon, la réponse est oui, mais on doit voir le nouveau traitement.
Rafael Nadal
3. S’il va jouer Wimbledon, et d’autres tournois ensuite
Jusqu’ici, dans la carrière de Nadal, chaque période de doute ou d’inactivité contrainte a été suivie d’un retour et de grandes victoires. A ce titre, il n’est par exemple jamais sorti du Top 10 depuis qu’il y est entré, ce que ni Federer, ni Djokovic n’ont réussi à éviter.
A ce titre aussi, Nadal est mu par l’espoir de jouer et gagner Wimbledon dans cinq semaines, même s’il a répondu par un « non, non, non » hilare quand un journaliste de France Télévisions lui a proposé de penser au Grand Chelem calendaire. « Je serai à Wimbledon si mon corps me le permet (sans anesthésie, ndlr). Si vous me demandez si je serai à Wimbledon, la réponse est ‘je ne sais pas’. Si vous me demandez si j’ai envie de gagner Wimbledon, la réponse est oui, mais on doit voir comment le nouveau traitement fait effet ».
Nadal s’est dit prêt à jouer à Londres « sous anti-inflammatoires », mais pas sous anesthésie.
« J’ai toujours été un gars positif et j’ai toujours pensé que les choses prendraient la bonne direction. » Si cela ne devrait pas être le cas, personne n’a d’indice sur le contenu du « another stuff » que ferait Nadal dans sa vie.