Gauff : “Ce n’est que du tennis, des choses bien plus graves se passent dans le monde”
Après sa qualification pour la la finale de Roland-Garros, Cori Gauff, 18 ans, a longuement répondu aux journalistes pour les éclairer sur le message laissé sur la caméra à la sortie du court, et son état d’esprit, désormais sans pression, vis-à-vis du tennis.
18 ans. Il est préférable d’annoncer l’âge de Cori Gauff d’entrée, parce qu’en cours d’article vous risquez de vite l’oublier tant la jeune femme démontre une sagesse habituellement caractéristique de ceux dont l’expérience grandit en même temps que les rides se creusent. Une maturité et une conscience du monde d’autant plus bluffante quand on sait que bon nombre de sportifs de haut niveau sont déconnectés de la réalité. Dans leurs bulles afin que rien ne puisse les perturber, par souci d’optimisation de la performance.
Quatre ans après son titre chez les juniors, la prodige américaine s’est qualifiée pour la finale de Roland-Garros – sa première en Grand Chelem – en écartant Martina Trevisan (6-3, 6-1) ce jeudi après-midi. A la sortie du court, au moment de la traditionnelle signature de caméra, elle a tenu à faire passer un message : “Peace. End gun violence ❤️“. Une semaine après la fusillade d’Ulvade, au Texas, une de plus a eu lieu au sein d’un hôpital de Tulsa, dans l’Oklahoma.
“Non, je ne savais pas ce que j’allais écrire avant de marcher vers la caméra”, a confié Gauff en conférence de presse. “Puis, en m’avançant, ça m’a semblé être le bon moment pour le faire. En me réveillant ce matin, j’ai vu qu’l y avait encore eu une tuerie. Il faut définitivement mettre des réformes en place. Espérons que mon message puisse atteindre les décideurs dans les bureaux, et entrer dans leurs têtes pour que les choses changent.”
Espérons que mon message puisse atteindre les décideurs dans les bureaux.
Cori Gauff
“Ça fait des années que ça dure”, a-t-elle poursuivi. “Certains de mes amis ont vécu la fusillade de Parkland (en février 2018), heureusement ils ont réussi à s’en tirer. J’avais 13 ou 14 ans, (elle était à uns moi de fêter son 14e anniversaire), et depuis rien n’a changé.” D’après le site Gun Violence Archive, 119 personnes par jour, en moyenne, ont été tuées par balle aux États-Unis depuis le début de l’année 2022.
En 2020, après de la mort de George Floyd sous le genou d’un policier, la native d’Atlanta, 16 ans à l’époque, avait tenu un discours poignant pour s’exprimer contre le racisme lors d’un rassemblement pacifique à Delray Beach. “J’essaie, d’autant plus maintenant que j’ai 18 ans, de m’éduquer au sujet de certaines situations, parce que j’ai désormais le droit de vote et je veux l’utiliser avec sagesse”, a-t-elle déclaré devant les journalistes ce jeudi à Paris.
Devenue, malgré son très jeune âge, une figure charismatique, elle a pris la décision d’user de sa notoriété pour pointer du doigt certains problèmes du monde. “Si je veux parler de quelque chose, je le fais”, a-t-elle expliqué. “La plupart du temps, je réfléchis beaucoup à ce que je vais dire, et comment je vais le dire. Mon père m’a toujours dit que je pouvais changer le monde avec ma raquette. Pas dans le sens ‘en jouant au tennis’, mais en utilisant mon statut pour parler des problèmes de société. La première chose que mon père m’a dite quand je suis sortie du court, c’était qu’il était fier de moi et ce que que j’ai écrit sur la caméra.”
Ma grand-mère dit toujours : ‘Il y a plus quue ça (le tennis) dans la vie.’
Cori Gauff
Cette ouverture au monde, cette conscience des difficultés que peuvent traverser les moins lotis, ceux qui, par exemple, n’ont pas eu le “privilège d’être sportifs de haut niveau” comme elle, s’est aussi avérée bénéfique pour son jeu. “Avant, je m’étais mise dans une bulle au point d’en arriver au stade où ce n’était plus que tennis, tennis, tennis”, a-t-elle ajouté. “Puis je me suis rendu compte qu’il y avait autre chose, en parlant à ma famille et notamment à ma grand-mère.
“Elle dit toujours : ‘Il y a plus que ça (le tennis) dans la vie, tu n’as pas besoin d’être si tendue quand tu joues.’, a poursuivi la 23e du classement WTA. “J’ai toujours balayé ça en disant que c’était impossible d’être relâchée. Maintenant, je me dis qu’elle a raison. Je peux être détendue sur le terrain. Evidemment, être nerveuse, c’est naturel, mais j’ai pris du recul. Ce n’est que du tennis, ce n’est pas la fin du monde (de perdre). Tellement de gens vivent des épreuves bien plus graves.”
Huitième-de-finaliste de Wimbledon à 15 printemps, en ayant éliminé Venus Williams, l’une de ses idoles, au premier tour, puis quart-de-finaliste de Roland-Garros deux années plus tard, la surnommée “Coco” était alors devenue très dure avec elle-même. “Oui, je pense que la version de moi-même des dernières années était prête à gagner un titre du Grand Chelem”, a-t-elle répondu devant la presse. “Mais je le voulais tellement que je me mettais trop de pression.”
Evidemment, j’ai envie de gagner, mais je sais que ce ne sera pas la fin du monde si je n’y parviens pas.
Cori Gauff
“Maintenant, je ne m’en mets plus”, a-t-elle complété. “Je pense que la frontière est mince entre croire en soi-même et être trop exigeante avec soi-même. Avant, je me poussais tellement à avoir des résultats, que lorsque j’arrivais en quarts de finale je ne prenais même pas de plaisir. Maintenant, je profite. Evidemment, j’ai toujours envie de gagner, mais je sais que ce n’est pas la fin du monde si je n’y parviens pas.” Un état d’esprit qu’elle s’est dite confiante de pouvoir conserver lors du match le plus important, jusqu’à présent, de sa carrière.
Détendue, de son propre aveu, sur le court face à Trevisan, – dégustant même tranquillement une salade de fruit à la fin du premier set pendant que l’Italienne recevait un traitement médical -, Gauff a désormais rendez-vous avec Iga Świątek. La femme invincible. La numéro 1 mondiale restant sur 34 victoires et quatre titres consécutifs (trois WTA 100 et un WTA 500). “Iga est sur une série incroyable, elle est la grande favorite, je n’ai rien a perdre”, a-t-elle analysé.
Mes parents sont avant tout attachés à ma personnalité, et pas tellement aux résultats.
Cori Gauff
“Je pense que je vais jouer libérée et pouvoir proposer mon meilleur tennis”, a-t-elle complété. “Dans une finale de Grand Chelem, tout peut arriver. Si je soulève le trophée, honnêtement, je ne pense pas que ma vie va changer. Je sais que les personnes qui m’aiment vont continuer à m’aimer que je gagne ou non. Evidemment, l’attention (de la part des médias et du public) grandirait autour de moi. Mais globalement je me m’inquiète dela façon dont ma vie pourrait changer, parce que je pense vraiment qu’elle ne changera pas.”
En deux duels face à la Polonaise, la native de l’Etat de Géorgie s’est toujours inclinée. 6-3, 6-1 sur le dur de Miami cette saison ; 7-6, 6-3 sur l’ocre de Rome l’an passé, en demi-finale. Pas de quoi la faire douter outre mesure. “Parmi les critiques, je suis moi-même celle qui me donne les plus sévères”, a-t-elle raconté. “J’ai la chance d’avoir des proches qui n’ont jamais considéré les résultats comme la seule chose qui comptait. Ils se soucient de mon comportement sur et en dehors du court.”
“Par exemple, l’an dernier, quand j’ai perdu en quarts de finale, j’ai fracassé ma raquette.”, a-t-elle relaté. “Mon père (qui est aussi son coach) n’était pas très content de ça (sourire). Il n’était même pas énervé par la défaite. Il était énervé parque j’avais cassé ma raquette. C’est l’une des choses qui m’ont ouvert les yeux sur le fait que mes parents sont avant tout attachés à ma personnalité, et pas tellement aux résultats.” Et si Coco Gauff parle autant de ses parents et de son éducation, c’est parce qu’elle n’a que 18 ans. Il était préférable de le rappeler. En raison de tout cette sagesse, vous l’aviez peut-être oublié.