“Pas sûr de jouer” pour “ne pas trop pousser la machine” : Federer n’exclut pas de sacrifier Roland-Garros
Il était 2 heures du matin, dans la nuit de samedi à dimanche, quand Roger Federer a explicitement reconnu qu’il envisageait de ne pas jouer son huitième de finale à Roland-Garros pour ne pas trop tirer sur son corps avant la saison sur gazon.
Voir un champion de 39 ans se dépecer sur un central vide pour se qualifier pour les huitièmes de finale d’un Grand Chelem a été, samedi, une expérience rare et unique pour tous ceux qui y ont assisté. Assez moyenne sur le plan tennistique, en tout cas très inégale, la performance de Roger Federer contre Dominik Koepfer au 3e tour (7-6, 6-7, 7-6, 7-5 en 3h35) a été assez inspirante pour voir Andy Murray émettre un tweet à la hauteur de ce spectacle :
« Ce qui ressort de ce match ne me pose aucun souci. Cela m’inspire de voir Roger Federer, 39 ans, se dépouiller après deux opérations dans un stade vide à 0h30 avec le même feu intérieur. Faîtes ce que vous aimez. »
Le « J’aime jouer au tennis » que Federer avait lancé avec une inouïe fraîcheur, sur le court au micro de Marion Bartoli, pour expliquer sa combativité intacte, aurait pu être la phase de la soirée. La conférence de presse d’après-match a eu vite fait de créer une autre actualité en laissant planer le doute sur la suite de la compétition.
J’ai besoin de décider si je continue à jouer ou non, si c’est un trop gros risque pour moi de continuer à pousser la machine ou si c’est juste le bon moment de me reposer.
Roger Federer
Une demi-heure après avoir quitté le court, le Suisse, tête de série numéro 8, a placé lui-même sur le tapis la possibilité d’un forfait pour son huitième de finale contre Matteo Berrettini. A une question sur l’absence de certitude qu’il pouvait avoir sur le court quant à la capacité de ses genoux et de son corps à répondre à autant de sollicitations, Federer a replacé Roland-Garros dans ce qu’il est pour lui : un outil pour arriver compétitif à Wimbledon le 28 juin et réussir son come-back à l’échelle de la saison.
« Chaque match est une nouvelle étape pour nous (lui et son équipe d’entraîneurs, ndlr), on les analyse en détail et on se projette sur la suite. Celui-ci n’échappera pas à la règle. Maintenant j’ai besoin de décider si je continue à jouer ou non, si c’est un trop gros risque pour moi de continuer à pousser la machine ou si c’est juste le bon moment de me reposer.
« Je n’ai pas, cette fois, de semaine de repos (entre Roland-Garros et) Halle. Je dois voir ce qu’il y a de mieux par rapport à la suite, Wimbledon et tout ça. » Le tournoi sur gazon de Halle est programmé du 14 au 20 juin, au lendemain de la finale de Roland-Garros.
Conscient de la portée de ses propos et de cette alternative probablement sans précédent, Federer les a replacés dans le contexte de son retour très progressif sur les courts après deux opérations au genou droit en février puis en juin 2020. En allemand, il a dit, à la presse suisse : “La question est : dois-je prendre un risque si celui-ci n’est pas nécessaire. J’ai besoin de revenir à la racine : pourquoi suis-je ici à Paris ? Et quel mon but cette saison ? Ce n’est pas de gagner Roland-Garros. »
Juste avant il avait dit : « Depuis Genève (son seul tournoi sur terre battue cette saison, la semaine du 16 mai, ndlr), je dois tout remettre sur le tapis chaque matin vous voyez ? Voir comment le genou se sent. Je ne me suis même pas entraîné 3 heures 30 (ces derniers mois). Jouer 3 heures et demies n’est pas quelque chose de normal pour moi. Tous ceux qui ont eu cette opération peuvent comprendre ça. »
Roger Federer a plusieurs fois répété qu’il ne s’attendait pas à passer trois tours à Roland-Garros. Il l’a fait en disputant onze sets (dont quatre tie breaks) en cinq jours et en passant 7 heures 43 minutes sur le court. Depuis mars, il n’avait disputé que trois rencontres et neuf sets sur le circuit ATP.
Chaque match est une étape pour moi, vers quelque chose de très important
Roger Federer
Plus tôt dans sa conférence de presse, il avait donné l’impression de vivre avec philosophie et intérêt cette situation, lui qui se décrivait comme « un nouveau sur le Tour nouvelle formule », après son match contre Cilic. Avant de se raviser et d’insister sur sa reconstruction et ses nombreuses incertitudes.
« Quelque part c’est assez sympa de ne pas savoir. Comme (quand il est revenu de six mois d’absence pour blessure au genou gauche) en 2017, ou personne ne savait, pas même moi, ce qui était possible. Mais je préfèrerais qu’il en aille différemment pour être honnête. Je préférerais être dans les pompes de Novak (Djokovic) ou Rafa (Nadal) et être en mode ‘Je suis prêt et je sais que si je joue bien, je gagne’. Mais ce n’est pas le cas, chaque match est une étape pour moi, vers quelque chose de très important (Wimbledon, ndlr). »
Et s’il restait un moindre doute sur l’importance capitale des vingt-quatre heures à venir pour le numéro 8 mondial, Federer s’est lui-même auto-saisi du dossier en s’adressant à un confrère italien avant de quitter la salle de la conférence de presse. « Tu voulais que je te parle de Berrettini (son prochain adversaire) mais je viens de te dire que je n’étais pas sûr de jouer. Je dois en parler avec mon équipe. »
L’un des enjeux de son troisième tour contre Dominik Koepfer était de ne pas voir Federer lâcher Roland-Garros dans un match à huis clos susceptible de saboter d’éventuels adieux au public parisien. Le Suisse semble prêt à ce sacrifice s’il estime qu’il a eu sa dose de matches au meilleurs des cinq sets avant Wimbledon.