3 juin 1995 : Le jour où Novotna a mené 5-0, 40-0 dans le troisième set avant de s’incliner
Jana Novotna menait 5-0, 40-0 au troisième set de son troisième tour contre Chandra Rubin à Roland-Garros le 3 juin 1995. Mais la Tchèque, coutumière du fait, allait finir par s’incliner contre l’Américaine, ayant vendangé neuf balles de match au passage.
Ce qui s’est passé ce jour-là et pourquoi cela a marqué l’histoire du tennis : Le craquage de Novotna
Le 3 juin 1995, au troisième tour de Roland-Garros, Jana Novotna, alors numéro 5 mondiale, est victime de l’une des plus incroyables remontées de l’histoire du tennis : après avoir mené 5-0, 40-0 dans le set décisif, elle manque 9 balles de match avant d’être finalement battue par Chanda Rubin (7-6, 4-6, 8-6). Pour la plupart des observateurs, deux ans après sa fameuse défaillance face à Steffi Graf en finale de Wimbledon, c’est un nouveau signe que, malgré son talent, elle n’a pas le mental pour gagner un tournoi du Grand Chelem.
Les personnages : Jana Novotna et Chanda Rubin
- Jana Novotna, une Top 10 avec des fragilités psychologiques
En 1995, Jana Novotna, avec son jeu de service-volée, est probablement la meilleure joueuse en activité à n’avoir jamais remporté de titre du Grand Chelem. La Tchèque, née en 1968, a fait son entrée dans le Top 100 dès 1987, avant de remporter son premier titre WTA en 1988 à Adélaïde, en battant Jana Pospisilova en finale (7-6, 6-4). Elle a obtenu son premier résultat remarquable en Grand Chelem à Roland-Garros en 1989 (battue en quart de finale par Arantxa Sanchez, 6-2, 6-2). Au cours des années suivantes, elle s’installe confortablement dans le Top 10. Malgré sa régularité au plus haut niveau, elle a souvent du mal à contrôler ses émotions lorsque les enjeux sont importants, et elle est défaite lors de ses deux apparitions en finale d’un Grand Chelem : la première à l’Open d’Australie en 1991 (contre Monica Seles, 5-7, 6-3, 6-1), puis à Wimbledon en 1993 (contre Steffi Graf, 7-5, 1-6, 6-4).
Au cours de ce dernier match, elle passe aussi près que possible de la victoire, menant 4-1, balle de 5-1, mais elle commet alors une double faute et s’effondre ensuite. La cérémonie de remise des prix qui s’ensuit marque les esprits, notamment l’instant où Novotna fond en larmes sur l’épaule de la duchesse de Kent. Cela ne l’empêche pas de rester l’une des meilleures joueuses du monde. En juin 1995, elle est numéro 5 mondiale.
- Chandra Rubin, aux portes du Top 50
Chanda Rubin est née en 1976. Elle participe à ses premiers tournois internationaux en 1990 et obtient son premier résultat remarquable à la fin de 1991. Issue des qualifications, elle parvient en finale à Scottsdale (battue par Sabine Appelmans 7-5, 6-1). Ce résultat la propulse dans le Top 100, mais ce n’est qu’en 1994 qu’elle s’installe dans le Top 50. Cette année-là, elle dispute sa deuxième finale WTA, à Chicago (défaite par Natasha Zvereva, 6-3, 7-5). En juin 1995, elle est 53e mondiale.
Le lieu : Roland-Garros
Cette histoire a lieu à Roland-Garros. Le stade, situé dans l’ouest parisien, à la lisière du bois de Boulogne, accueille les Internationaux de France depuis 1928. Ce fut le premier et désormais le seul tournoi du Grand Chelem sur terre battue, la surface la plus lente, ce qui en fait le tournoi le plus difficile à gagner sur le plan physique. Pour les adeptes du service-volée, comme Jana Novotna, c’est le tournoi le moins favorable, et aucune joueuse n’a d’ailleurs remporté le tournoi en montant systématiquement au filet depuis Martina Navratilova, en 1984.
L’histoire : Novotna, la mauvaise réputation
Le 3 juin 1995, lorsque Jana Novotna, 5e joueuse mondiale, affronte Chanda Rubin, qui pointe à la 53e place, au troisième tour de Roland-Garros, elle est largement favorite. Après tout, même si la terre battue n’est pas sa surface préférée, elle a déjà atteint les demi-finales à Paris (en 1990) et elle a été très régulière dans les grands tournois ces dernières années.
Cependant, sa jeune adversaire (19 ans) n’est pas du même avis. Rubin, faisant preuve d’une grande précision dans ses passings, empoche le premier set 7-6, obligeant Novotna à élever son niveau de jeu dans le deuxième set. La finaliste de Wimbledon 1993 remporte le deuxième set 6-4. Au troisième set, elle déroule au point de se détacher 5-0, 40-0.
À ce moment-là, Lindsay Davenport, qui joue juste après sur le Central, s’apprête à quitter les vestiaires pour se diriger vers l’entrée du court, s’attendant à être bientôt appelée. Cependant, l’appel tarde à venir. À la surprise générale, Novotna manque ses trois balles de match consécutives et Rubin commence à remonter. 5-1, 5-2, 5-3…
“Je me tenais à l’extérieur pour regarder et je n’en croyais pas mes yeux”, déclarera Davenport au Los Angeles Times. “J’allais et venais dans les vestiaires. J’ai fini par regarder le dernier jeu à l’étage. Tous les joueurs devenaient fous.”
Au total, la numéro 5 mondiale gâche neuf balles de match pour finalement voir son adversaire l’emporter, 8-6. Près de deux ans après sa fameuse occasion manquée face à Steffi Graf, Novotna entretient sa réputation de joueuse qui a du mal à conclure, qui a d’ailleurs aidé Rubin lorsqu’elle était menée 5-0 dans le dernier set.
“Je pense que tout le monde a regardé cette finale (de Wimbledon), et c’était assez douloureux à voir”, déclare Rubin, selon le New York Times. “J’ai commencé à y penser pendant le match et, bien sûr, avant le match, je voulais juste rester mentalement forte et continuer à me battre, quel que soit le score”.
“J’avais une balle de match et puis j’ai perdu”, déclare Novotna, non sans amertume, lors de la conférence de presse. “Mais il ne faut pas oublier que cela arrive à tout le monde”.
En regardant les titres dans la presse le lendemain, Novotna n’a pas convaincu beaucoup de journalistes en minimisant son effondrement : “Novotna s’effondre encore, et gâche 9 balles de match ” (New York Times), “Novotna transforme encore une victoire en défaite” (The Los Angeles Times), “Novotna craque encore” (The Independent).
La postérité du moment : Novotna s’imposera à Wimbledon en 1998
Dans la foulée de cette remontée miraculeuse, Chanda Rubin poursuivra son chemin jusqu’en quarts de finale, où elle sera éliminée par Arantxa Sanchez (6-3, 6-1). A l’Open d’Australie 1996, elle réalisera sa meilleure performance en Grand Chelem en remportant le plus long match de l’histoire du tournoi féminin, contre Sanchez, en quart de finale (6-4, 2-6, 16-14, en trois heures et 22 minutes) avant d’être battue par Monica Seles en demi-finale (6-7, 6-1, 7-5). Peu après cet exploit, elle se hissera à la 6e place mondiale, le meilleur classement de sa carrière, au cours de laquelle elle remportera 7 titres. Elle retrouvera les quarts de finale de Roland-Garros à deux reprises, en 2000 puis en 2003.
Jana Novotna perdra une nouvelle fois la finale de Wimbledon en 1997 (battue par Martina Hingis, après avoir une nouvelle fois remporté le premier set, 2-6, 6-3, 6-3). Cependant, quelques mois plus tard, elle triomphera au Masters Cup (en battant Mary Pierce en finale, 7-6, 6-2, 6-3). La confiance accumulée grâce à ce succès l’aidera probablement à conquérir son premier et unique titre du Grand Chelem six mois plus tard, à Wimbledon 1998, en battant Nathalie Tauziat en finale (6-4, 7-6). Peu de temps après, à la fin de 1999, Novotna prendra sa retraite. Elle décédera d’un cancer à l’âge de 49 ans, le 19 novembre 2017.