Osaka : “J’aimerais jouer assez longtemps pour affronter une fille dont j’étais la joueuse favorite”
Maîtresse de son sujet sur le court pendant l’Open d’Australie, remportée samedi aux dépens de Jennifer Brady en finale, Naomi Osaka gère aussi bien l’exercice de la conférence de presse. La Japonaise en a encore apporté la démonstration après son titre, se confiant en profondeur et avec pudeur sur sa vision du tennis comme un sport individuel et son rôle de modèle pour les jeunes.
Naomi Osaka, pouvez-vous nous décrire ce que vous ressentez après ce titre à l’Open d’Australie ?
N.O. : Un peu pompette après cette gorgée de champagne (sourire). Je suis très heureuse. C’est une victoire pour laquelle j’ai travaillé pendant toute la pré-saison. Vous savez, c’est vraiment bizarre, quand vous arrivez à ce dernier, vous commencez à trembler en pensant à ce qu’il se pourrait se passer. Je n’ai pas encore réalisé pour l’instant.
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Si votre demi-finale contre Jennifer Brady à l’US Open était l’un de vos meilleures en termes de qualité, comment décririez celui de ce samedi ?
C’était plus une bataille psychologique. Je pense qu’on était toutes les deux nerveuses. Enfin, je ne peux pas parler pour elle, mais j’étais extrêmement tendue. Je me suis même fait à l’idée avant le match que je ne jouerais probablement pas très bien. Il ne faut que je mette la pression de jouer à la perfection, mais juste aller sur le terrain et me battre sur chaque point. Le résultat est ce qu’il est, mais je peux l’accepter si j’ai tout donné.
Pourquoi étiez-vous si tendue, alors que c’était elle qui disputait sa première finale en Grand Chelem ?
Je ne sais pas (sourire). Demandez à mes nerfs. Pourquoi étais-je si nerveuse ? Je pense qu’on veut juste gagner un Grand Chelem. Vous ne voulez pas atteindre une finale pour être battue. J’ai le sentiment que chaque opportunité de disputer un Grand Chelem est aussi l’occasion d’en gagner, donc peut-être que je me mets trop de pression. Mais honnêtement, ça me réussit bien pour l’instant.
Osaka : “Je résiste toujours à l’envie de crier avant d’entrer sur le court”
Pour trois premières finales de Grand Chelem, vous étiez opposée à des joueurs très expérimentées qui avaient gagné des Majeurs. Etiez-vous consciente que la dynamique était différente cette fois face à Brady ?
J’y pensais justement ce matin. J’ai déjà été dans sa position, à disputer une première finale en Grand Chelem. Bien sûr que je sais la pression qui accompagne un tel moment. Mais après je réfléchissais au fait que j’étais de l’autre côté, je me demandais si on attendait de moi que je gagne parce que j’avais déjà finaliste en Grand Chelem. Donc il y avait beaucoup de pression. J’avais ça à l’esprit.
Comment gérez-vous cette pression ? Comment parvenez à faire en sorte qu’elle ne vous empêche de jouer comme vous le voulez ?
Comment je la gère ? Je résiste toujours à l’envie de crier avant d’entrer sur le court. Je suppose que ma solution maintenant, c’est d’en discuter avec son équipe. On parle une heure avant le match de ce qu’on veut réaliser, ce que son mes objectifs, et des intentions que je veux avoir sur le terrain.
Avec ce succès, vous vous rapprochez de la place de numéro 1 mondiale. A quel point cela vous motive, en plus des titres que vous avez obtenu en Grand Chelem ?
Honnêtement, je ne pense pas du tout au classement. Je ne suis pas celle qui jour le plus de tournois sur le circuit. Je veux simplement performer dans tous les tournois sur lesquels je m’aligne. C’est mon objectif d’être régulière cette année, de ne pas avoir une grosse baisse de performance en milieu de saison, en juin-juillet, comme ça m’arrive habituellement. Mais je ne veux pas me focaliser sur le classement. Ça viendra si je joue bien, c’est ce que je me dis.
Osaka : “Ce n’est pas grave de douter de soi-même”
Quel est ton plus grand rêve que tu n’as pas encore réalisé, sur le court ou en dehors ?
Je pense que ce serait, même si ça va paraître bizarre, de pouvoir jouer assez longtemps pour affronter une fille que dirait que j’étais sa joueuse favorite à une période de sa vie. Je pense que c’est la chose la plus cool qui pourrait m’arriver. J’ai cette satisfaction de pouvoir côtoyer mes joueuses favorites. Malheureusement je n’ai pas pu affronter Li Na. Mais oui, je pense que c’est l’évolution naturelle du sport.
Votre titre à l’US Open était associé au mouvement Black Lives Matter avec vos masques et les noms dessus. Y’a-t-il une cause dont vous voulez parler après ce nouveau succès ?
C’est très gentil à vous de demander cela, merci. Honnêtement, quand tout ça s’est passé à New York, ça m’a effrayé, parce que j’ai eu le sentiment que ça projetait sur moi une lumière qui n’avait rien à voir avec le sport et je n’avais jamais connu ça auparavant. Donc il y a beaucoup de sujets dont les gens ont commencé à me parler sur lesquels je ne savais absolument rien. Je ne réponds que quand je connais mon sujet, ou au moins quand j’ai une petite idée de ce dont je parle. Je me suis présenté sur ce tournoi en ne pensant qu’au tennis.
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Deux ans et demi se sont écoulés depuis votre premier titre majeur. Quelles sont les plus grandes leçons que vous avez apprises à votre sujet sur le court et en dehors ?
Que ce n’est pas grave de douter de soi-même. J’ai le sentiment de m’être toujours forcé à être “forte”. Je pense qu’il n’y a pas de problème à ne pas se sentir bien. Mais tu dois te recentrer sur toi et trouver des solutions. C’est ce que j’ai fait pendant la quarantaine avant l’US Open l’année dernière. Et c’est ce que j’ai fait quand j’étais en quarantaine ici, aussi.
Osaka: “J’ai beaucoup de mal à considérer le tennis comme un sport individuel”
Ça passe par des échanges avec votre staff, des discussions avec votre famille ?
Evidemment que je parle avec mon staff. Ils sont avec moi, ils voient comment je m’entraîne, comme je réagis à différentes choses. J’appelle ma famille, ma maman. Elle est très s drôle. A chaque fois que je joue un match, elle me dit qu’elle aimerait bien que je mette plus de balles dans le court. Pour elle, la solution pour gagner, c’est de mettre des balles dans le court. Elle s’en fiche du rythme et du reste (sourire). Mais ma maman me fait toujours rire, comme ma soeur. C’est bien de les appeler. Ma mère est juste contente que j’aie gagné. Elle est difficile à contenter.
Vous êtes invaincue en quatre finales de Grand Chelem. Vous souvenez-vous d’un match ou d’un moment en particulier qui vous a fait comprendre que vous seriez solide dans ces matchs importants ? Pensez-vous que c’est une qualité innée ou que vous l’avez développée au cours de votre carrière ?
Je ne sais pas si c’est quelque chose avec laquelle tu nais. Mais je sais que je ne jouais pas beaucoup de tournois quand j’étais petite, donc je voulais toujours saisir l’opportunité de bien jouer quand il y avait du public, j’avais l’impression que c’était plus plaisant. C’est peut-être comme ça que je me suis habitué à vouloir évoluer devant du public, devant toujours plus de spectateurs. Mais je pense aussi que c’est parce que j’ai regardé beaucoup de tournois du Grand Chelem en grandissant et voir le public, le stade Arthur Ashe, l’ambiance en Australie et dans la Rod Laver, j’ai développé cette envie de jouer devant des gens et d’être la personne qui soulèverait le trophée.
Les autres joueurs disent souvent ressentir le besoin d’être égoïste pour réussir dans ce sport. Au contraire, vous avez expliqué que vous vouliez concrétiser tout le travail entrepris par les gens autour de vous. Comment expliquez-vous cette différence d’approche ?
J’ai beaucoup de mal à considérer le tennis comme un sport individuel. Je sais que tout le monde dit que c’en est un, mais j’ai toujours entouré de gens qui travaillent pendant des heures, on fait tout ensemble. Je ne dirais pas que c’est égoïste ou pas. Je dirais que mon envie derrière tout ça, c’est de vouloir tout faire ensemble et de vouloir partager chaque expérience avec ces gens.
Osaka: “There is 500 other tennis players if you want to pick to be your role model”
Vous avez énormément d’enfants pour lesquels vous êtes une idole. Envisagez-vous cela comme une responsabilité ou une chance ? Avez-vous à l’esprit d’un modèle pour eux et en quoi cela influence votre vie quotidienne ?
Par le passé, je voyais ça comme une très forte responsabilité, et j’étais très nerveuse à ce propos, parce que les gens ne me voient que sur le court. C’est là que je suis médiatisé, la plupart du temps. Quand je cassais ma raquette pendant un match, je m’inquiétais de la suite, parce que je ne savais pas si la presse me critiquerait pour ne pas bien jouer mon rôle de modèle. Mais au fil des années, j’ai réalisé que tout ce que j’ai à faire, c’est d’être moi-même. Il y a 500 autres joueurs de tennis qui peuvent des modèles. C’est un grand honneur que des petits m’apprécient, qu’ils viennent me voir et m’encouragent. Mais en même temps, je ne veux pas que ça pèse trop sur moi, parce que j’ai le sentiment de toujours grandir et j’espère qu’ils grandiront avec moi, peut-être (sourire).
A quel point vivez-vous les attentes autour de vous comme un fardeau ?
Ce qui est marrant, c’est que je ne vois plus les attentes comme un fardeau. J’ai le sentiment d’être au stade où j’ai travaillé pour être. Les gens n’attendent pas des choses de moi que je n’ai pas déjà accompli, si c’est plus clair. Personne n’attendant rien de moi quand j’étais plus jeune, et maintenant que je suis monté au classement, bien évidemment qu’il y a plus de pression. Mais je prends ça aussi comme de la motivation, parce que moi-même je veux être meilleure, tout simplement.
En quoi ces attentes vous profitent du coup ?
Elles me motivent, elles me poussent à faire toujours mieux. Si quelqu’un s’attend à ce que je fasse quelque chose, je vise moi-même quelque chose mieux que ce qu’ils attendent. Pour moi, c’est un défi.
Ça fait plus d’un an que vous n’avez pas perdu de match. Que se passerait-il si ça devait vous arriver de nouveau ?
Je ne m’attends pas à remporter tous mes matchs cette année. On pourrait me donner une médaille si j’y arrivais, mais je ne pense pas que ce soit possible. Nous, joueurs de tennis, passons par des hauts et des bas. Pour moi, j’espère juste que la courbe oscillera moins cette saison. Je me rappelle ce que ça fait de perdre un match, très bien même. Je m’en rappelle ici, je me souviens de comment je me sentais et de ce que je ressentais. Pour être honnête, ça me rend encore triste aujourd’hui, c’est un souvenir qui marque.