Djokovic pressé d’ouvrir en grand son dossier médical avant même d’avoir foulé le sol australien
Novak Djokovic n’est pas totalement sorti d’affaire après son exemption médicale l’autorisant à jouer l’Open d’Australie. Le ministère de l’Intérieur laisse entendre qu’il pourrait refouler le joueur, pressé de toute part de prouver qu’il n’a pas fait l’objet d’un passe-droit.
Novak Djokovic a connu une saison 2021 sous très forte pression, avec sa quête historique d’un Grand Chelem calendaire, auquel il avait pensé pouvoir ajouter une récompense olympique. « Je suis content que ce soit enfin fini » avait-il fini par dire au soir de la finale (perdue) de l’US Open. Il n’a peut-être pas tout vu en terme de tennis sous tension.
Car ces épisodes semblent désormais désuets au moment où le numéro un mondial atterrit Melbourne après avoir officialisé sa participation à l’Open d’Australie suite à une exemption médicale l’autorisant à ne pas respecter la vaccination obligatoire pour entrer sur le territoire de l’île-continent.
Cette autorisation est aujourd’hui ouvertement contestée par le gouvernement central australien, qui semble prêt à en faire une affaire de politique intérieure. Celle-ci a pris une ampleur supplémentaire quand, mercredi à minuit heure locale (14 heures en France), un journaliste du quotidien de Melbourne The Age a constaté que Djokovic était bloqué à la frontière avec un mauvais visa, visa ne permettant aucune exemption vaccinale.
Les propos fermes du Premier ministre
Contactées par les douanes fédérales, les autorités de l’état du Victoria ont, choisi, toujours selon lui, de ne pas répondre favorablement à cette demande.
Cet épisode digne d’une série donne une force quasi prémonitoire aux propos du Premier ministre Scott Morrison tenus quelques heures plus tôt : “Il n’y aura aucune règle spéciale pour Novak Djokovic, d’aucune façon. Nous attendons son arrivée et qu’il nous fournisse des preuves à l’appui de dérogation. Si les preuves qu’il ne peut pas être vacciné pour raisons médicales sont insuffisantes, il retournera chez lui par le premier avion.”
Depuis mardi et son post sur les réseaux sociaux, Djokovic fait l’objet au mieux d’un débat, au pire d’un torrent de critiques, sur l’un des sujets les plus clivants dans les sociétés occidentales en proie au Covid-19 : la vaccination et la responsabilité sur la santé des autres des personnes qui refusent d’en faire l’objet.
Djokovic parmi les 5% de joueurs non vaccinés
En procédant à cette annonce mardi, Djokovic a fait céder une première digue. Officialiser le bénéfice d’une exemption signifie bien que le Serbe a eu un comportement individuel fidèle aux propos tenus en avril 2020 au New York Times, quand il avait indiqué être choqué à l’idée d’introduire un élément extérieur dans son corps pour avoir le droit d’exercer son métier.
Surnommé « Novax » par quelques provocateurs sur les réseaux sociaux, Djokovic fait partie des 5% de joueurs du Top 100 à l’ATP à ne pas avoir reçu de dose par choix personnel. Cette décision, il vient de la rendre publique contre sa propre aspiration au secret médical. Mais il n’a pas poussé les conséquences de son choix assez loin pour renoncer à l’Open d’Australie, comme l’ont fait Tennys Sandgren ou Pierre-Hugues Herbert, et c’est ce que ses opposants lui reprochent en présumant l’existence d’un traitement de faveur.
La participation de Djokovic a provoqué à Melbourne, et ailleurs, une émotion si puissante qu’elle le place désormais face à une quasi-obligation d’ouvrir son dossier médical et de prouver que son exemption n’est pas un passe-droit. Craig Tiley, Rod Laver et plusieurs responsables politiques de premier plan de l’état de Victoria l’y ont déjà encouragé.
Tennis Australia garantit la loyauté de Djokovic
Soucieuse de protéger son événement sportif du spectacle désastreux d’une foule de spectateurs (vaccinés) qui s’en prendrait au numéro un mondial avant, pendant et après chaque match, Tennis Australia a assuré la première vague de communication de crise pour aider Djokovic dans sa démarche. Il a fallu à peine plus d’une heure pour les organisateurs de l’Open d’Australie publient un texte certifiant la loyauté de la décision médicale.
« L’exemption est le résultat d’un processus rigoureux dans lequel interviennent deux panels indépendants d’experts médicaux. L’un d’eux est le Panel Médical Indépendant d’Instruction pour les exemptions mandaté par les autorités sanitaires de l’état du victoria. Tous les dossiers ont été traités en conformité avec des recommandations du Comité consultatif sur l’immunisation. »
Dit autrement : c’est l’état du Victoria qui a décidé de n’ouvrir son territoire qu’aux vaccinés, c’est lui aussi qui garantit que Djokovic est dans son bon droit. L’état du Victoria a confirmé par communiqué cette lecture des événements. Ceci a conduit des voix comme l’entraîneur néerlandais Sven Groeneveld, ouvertement pro-vax et entraîneur de Bianca Andresscu, absente de l’Open d’Australie pour raisons personnelles, à inviter les personnes choquées par la situation à s’en prendre aux autorités locales plutôt qu’à un Djokovic qui a déposé un dossier en bonne et due forme.
26 demandes d’exemption selon Tennis Australia
Tennis Australia a ensuite rendu public le nombre de 26 demandes d’exemption reçues – toutes populations confondues (joueurs, entraîneurs, officiels, personnel accrédité sur site). L’organisation de Craig Tiley n’a pas précisé la part de réponses négatives mais a fait comprendre que les demandes validées étaient très minoritaires. Sous-entendu : si le cas Djokovic est passé, c’est que son dossier était béton.
Ces informations ne font qu’accroître la pression mise sur Djokovic pour qu’il crée les conditions d’une transparence presque totale sur son cas. Car l’examen rapide des conditions susceptibles de valider une exemption laisse sceptique quant aux critères qui ont pu le favoriser.
L’étau se resserre autour d’un critère en apparence plus réaliste que les autres : avoir été infecté par le Covid-19 récemment.
Sur le papier, aucune des autres conditions n’est réaliste. Sans entrer dans des détails médicaux techniques, dont les termes sont publics et consultables ici, les autres critères présument soit que le demandeur a fait l’objet d’une première dose et d’une grave réaction, soit qu’il présente un état de santé trop fragile pour ne pas courir un risque sérieux en étant vacciné. C’est incompatible avec le régime d’un sportif de haut niveau qui sort d’une saison au sommet, sous l’œil quasi permanent des caméras.
Comme le dit le légendaire Rod Laver : “Le critère ne peut pas être physique, on te connaît, tu es un grand joueur et tu réalises en permanence de grandes performances. Alors quel est le problème ?”
Djokovic a-t-il été infecté par le Covid fin 2021 ?
Djokovic, donc, a-t-il été infecté par le COVID après le 31 juillet ? Si oui, il ne l’a pas dit. Il l’avait pourtant fait en juin 2020 après une première contamination. Et si oui, cela n’a pu avoir lieu qu’en août, octobre ou en décembre. Entre l’US Open et le Rolex Paris Masters, Djokovic a passé du temps aux Maldives en vacances, mais aussi à l’entraînement, a-t-il révélé récemment à L’Equipe. Après l’élimination de la Serbie en Coupe Davis le 4 décembre, Djokovic a passé du temps chez lui à Belgrade.
Interrogée par le quotidien The Age, la directrice de la commission médicale de Tennis Australia, Carolyn Broderick, a aussi laissé entendre qu’un Covid récent était le critère le plus vraisemblable.
« Je ne peux faire aucun commentaire sur notre groupe (de 26 demandeurs) mais si vous regardez les chiffres de toutes les personnes qui sollicitent une exemption pour venir en Australie, la grande majorité le font pour cause de Covid recent, surtout dans un contexte de grande prévalence du variant Omicron. Je présume que le groupe de 26 est un échantillon représentatif du reste de la population. »
Si vous regardez les chiffres de toutes les personnes qui sollicitent une exemption pour venir en Australie, la grande majorité le font pour cause de Covid recent.
Carolyn Broderick, Tennis Australia
Carolyn Broderick a aussi donné à The Age, malgré elle, une information de nature à jeter le doute sur la rigueur du processus d’exemption. Elle a indiqué que les experts mandatés l’ont été pour analyser les documents qui leur ont été fournis, mais qu’ils n’avaient pas mandat pour réaliser une authentique investigation pouvant les conduire à contacter les médecins étrangers des patients ou les laboratoires ayant mené les analyses. « Mais il a pu y avoir des demandes d’information complémentaire », précise-t-elle.
Il reste à établir si Novak Djokovic a fait l’objet d’une traitement anonyme de son dossier. Dans leurs communiqués, Tennis Australia et l’état de Victoria mentionnent des dispositifs de protection des données personnelles mais n’écrivant pas à la lettre que les demandes ont été traitées de façon anonymisée.
En attendant son inévitable prise de parole, Djokovic laisse les voix sceptiques s’exprimer. Le député australien Trent Zimmerman estime que l’arrivée d’un Djokovic non vacciné est « une honte, un camouflet à la face de tous les Australiens qui ont suivi les consignes sanitaires – surtout les expatriés qui ont pris le temps de se vacciner avant de rentrer ».
Le joueur britannique Jamie Murray, engagé à l’ATP Cup, a spontanément répondu que « si (lui-même) n’avait pas été vacciné, (il) n’aurait pas reçu d’exemption ». Le 391e mondial, Noah Rubin, a indiqué à L’Equipe qu’à ses yeux « les meilleurs sont toujours privilégiés ».
La plupart des joueurs interrogés depuis mardi, y compris ceux qui font partie de l’élite du tennis mondial, (De Minaur, Schwartzman) préfèrent écarter la question sans cacher que « le vestiaire » bruit de discussion sur le sujet.
Djokovic a dix jours pour trouver les mots justes susceptibles de le conduire à vivre un tournoi normal, exempt d’un rapport toxique avec le public australien. La population locale a accepté d’abandonner la stratégie zéro Covid et les lourdes restrictions qui l’accompagnaient en se vaccinant en masse. Des personnes le font savoir bruyamment depuis mardi sur les réseaux sociaux.
Encore faut-il qu’un nouvel orage ne s’abatte pas sur Djokovic. Car les autorités fédérales australiennes ont spontanément fait savoir qu’elles allaient intensifier leurs contrôles aux frontières, d’abord dans un communiqué qui prend ses distances avec les décisions de Tennis Australia et de l’état de Victoria.
Si les preuves qu’il ne peut pas être vacciné pour raisons médicales sont insuffisantes, il retournera chez lui par le premier avion.
Scott Morrison, Premier ministre
« Aucun des participants à l’Open d’Australie ne fera l’objet d’un traitement de faveur, indique le communiqué signé par la ministre de l’Intérieur Karen Andrew. Chaque personne désireuse d’entrer en Australie doit strictement remplir nos critères. Pendant que le gouvernement de Victoria et Tennis Australia sont susceptibles d’autoriser un joueur non vacciné à disputer le tournoi, le gouvernement central renforce son dispositif aux frontières de l’Australie. Depuis le 15 décembre, les détenteurs de visas vaccinés n’ont plus besoin d’exemption ni de s’isoler. Si un individu non vacciné se présente, il doit présenter une preuve irréfutable qu’il ne peut pas être vacciné pour raisons médicales. »
Les appels à détourner la colère vers les autorités plutôt vers le joueur semblent avoir été entendus. Mais rien ne dit que le pouvoir central en Australie est prêt à assumer cette bataille-là. C’est aussi leur intransigence qui, en 2021, avait reporté le tournoi de deux semaines et imposé aux joueurs deux semaines de quarantaine et un régime drastique de gestion des cas contacts.
Djokovic refoulé à la frontière ou retenu contre son gré à son arrivée à Melbourne ? Le feuilleton de sa participation à l’Open d’Australie toucherait alors le fond après deux mois d’une tension forte. La ministre de l’Intérieur, à la fin de son communiqué, renvoie pourtant l’état de Victoria à la seule responsabilité ultime qu’elle lui reconnaît : organiser les conditions de quarantaine des individus refoulés.