24 janvier 1995 : Le jour où Pete Sampras a fondu en larmes en plein match
Chaque jour, Tennis Majors remonte le temps pour revenir sur un événement marquant pour la planète tennis. Aujourd’hui, nous retournons en 1995 pour voir comment Pete Sampras n’a pu retenir ses larmes lors du cinquième set de son match contre Jim Courier, en quart de finale de l’Open d’Australie. Ce match a changé l’image du numéro 1 mondial aux yeux du grand public, qui le voyait auparavant comme un joueur froid et ennuyeux.
Ce quI s’est passé ce jour-là et pourquoi c’est historique : Sampras craque émotionnellement
Ce jour-là, le 24 janvier 1995, après avoir remonté un handicap de deux manches à rien face à son compatriote Jim Courier en quart de finale de l’Open d’Australie, Pete Sampras ne peut plus contenir son émotion et se met à pleurer à l’entame du cinquième set. Le numéro un mondial, déjà épuisé après avoir joué cinq sets contre Magnus Larsson au tour précédent, traverse une période difficile car son entraîneur de longue date, Tim Gullikson, vient de se faire diagnostiquer une tumeur au cerveau et a été renvoyé aux États-Unis pour y être soigné.
Les personnages : Pete Sampras et Jim Courier
- Pete Sampras, le patron du circuit
Pete Sampras est né en 1971. Bien qu’il fasse partie de la génération dorée américaine, avec Agassi, Chang et Courier, il est le dernier d’entre eux à atteindre le plus haut niveau. Fin 1989, alors que ses rivaux ont tous déjà remporté des titres et réalisé des performances remarquables en Grand Chelem, Sampras n’est que 81e mondial. Cependant, en septembre 1990, il surprend tout le monde en devenant le plus jeune joueur à avoir jamais triomphé à l’US Open, en battant Agassi en finale (6-4, 6-3, 6-2).
Grâce à cette grande victoire, il entre dans le top 10, mais en 1991 et 1992, Sampras peine à confirmer son nouveau statut. Il subit plusieurs grandes déceptions, comme notamment ses deux défaites en finale de la Coupe Davis 1991 (contre les Français Henri Leconte et Guy Forget), et une cruelle défait en finale de l’US Open contre Stefan Edberg (3-6, 6-4, 7-6, 6-2). Il dira plus tard que cet échec lui a fait réaliser qu’être le numéro 2 ne pourrait jamais le satisfaire. Il devient n°1 mondial le 12 avril 1993, et il est alors critiqué pour n’avoir pas gagné de tournoi majeur depuis plus de deux ans, mais lors de la deuxième partie de la saison, il est clairement au-dessus du lot.
Il s’impose d’abord à Wimbledon (en battant son compatriote Jim Courier en finale, 7-6, 7-6, 3-6, 6-3), puis à l’US Open (où il domine le Français Cédric Pioline, 6-4, 6-4, 6-3), et il accumule 8 titres au cours de la saison. Son emprise sur le circuit se renforce en 1994, lorsqu’il remporte un troisième Grand Chelem consécutif à Melbourne (en battant Todd Martin, 7-5, 6-4, 6-4), puis parvient à défendre son titre à Wimbledon aux dépens de Goran Ivanisevic (7-6, 7-6, 6-0). Après une défaite précoce à l’US Open (contre Jaime Yzaga, en huitièmes de finale, 3-6, 6-3, 4-6, 7-6, 7-5), il termine en beauté en battant Boris Becker en finale du Masters (4-6, 6-3, 7-5, 6-4).
- Jim Courier, 11e mondial en plein doute
Né en 1970, Jim Courier est l’un des nombreux joueurs formés à l’académie de Nick Bollettieri dans les années 1980. Il développe un jeu atypique, avec des prises fermées et des préparations courtes semblables à celles d’un joueur de base-ball, dont il porte d’ailleurs toujours la casquette. S’appuyant principalement sur son service et son coup droit de décalage, il est connu pour son ardeur au travail, son engagement et sa forme physique.
Courier, lui, remporte son premier titre en 1989, à Bâle en battant le numéro 3 mondial, Stefan Edberg, en finale (7-6, 3-6, 2-6, 6-0, 7-5). Bien que personne n’imagine alors Jim Courier en leader d’une génération américaine exceptionnelle, il se révèle à son tour en Grand Chelem en 1991, en s’imposant à Roland-Garros face à Andre Agassi (3-6, 6-4, 2-6, 6-1, 6-4). C’est le début de sa domination. Après une lourde défaite face à Stefan Edberg en finale de l’US Open 1991 (6-2, 6-4, 6-0), il prend sa revanche sur le Suédois en finale de l’Open d’Australie 1992 (6-3, 3-6, 6-4, 6-2), et il lui dérobe la première place dès le mois de février.
Quelques mois plus tard, il confirme son emprise sur le circuit en battant Petr Korda pour conserver son titre à Roland-Garros (7-5, 6-2, 6-1), et il termine 1992 en tant que n°1 mondial. En 1993, il conserve son titre à l’Open d’Australie, ce qui restera son quatrième et dernier titre majeur. Au cours des mois suivants, Courier s’incline dans deux finales de Grand Chelem : après avoir perdu contre Sergi Bruguera à l’issue d’une finale serrée à Roland-Garros (6-4, 2-6, 6-2, 3-6, 6-3), il est battu par Pete Sampras en finale de Wimbledon (7-6, 7-6, 3-6, 6-3).
Bien qu’il vienne de devenir, à 22 ans, le plus jeune joueur de l’histoire du tennis à avoir atteint la finale de tous les tournois du Grand Chelem, c’est le début de son déclin. En 1994, malgré quelques bons résultats, dont une demi-finale à Roland-Garros (battu une nouvelle fois par Bruguera), sa motivation est au plus bas pendant l’été et il envisage de s’éloigner temporairement du circuit. En janvier 1995, il est 11e mondial.
Le lieu : Open d’Australie, Melbourne
Contrairement aux autres tournois du Grand Chelem, l’Open d’Australie (d’abord appelé Championnat d’Australasie puis Championnat d’Australie) a changé plusieurs fois de lieu au fil des ans. L’épreuve changeait même de ville chaque année avant de s’installer à Melbourne en 1972, et pas moins de cinq villes australiennes l’ont accueillie à au moins trois reprises : Melbourne, Sydney, Adelaïde, Brisbane et Perth. Ses dates ont été assez mouvantes également, entre début décembre et fin janvier, faisant de l’Open d’Australie parfois le premier, parfois le dernier Grand Chelem de la saison.
Jusqu’en 1982, la plupart des meilleurs joueurs font l’impasse sur l’épreuve en raison de son éloignement et des prix insuffisants, mais à partir de la victoire de Mats Wilander, la dynamique change. Pour rendre le tournoi plus attractif, le comité du tournoi déploie d’énormes efforts qui mènent au déménagement de l’épreuve vers un nouveau site, Flinders Park (qui sera plus tard renommé Melbourne Park), à l’abandon du gazon pour des courts en dur, et à la construction du premier court central doté d’un toit rétractable. La dotation augmente également, et il ne faut alors que quelques années pour que l’Open d’Australie devienne le Grand Chelem préféré de nombreux joueurs.
L’histoire : Sampras fond en larmes et renverse Courier
En janvier 1995, lorsque Pete Sampras et Jim Courier s’affrontent en quart de finale de l’Open d’Australie, les deux joueurs se sont déjà croisés à 13 reprises sur le circuit. Cependant, même s’ils ont déjà disputé l’un contre l’autre une finale à Wimbledon, le match qu’ils jouent ce jour-là restera leur rencontre la plus mémorable.
Sur le papier, Sampras est largement favori. Il mène 10-3 dans leur face-à-face et, après une brillante saison 1994, il semble que sur surface rapide, personne ne puisse lui disputer la place de numéro un mondial, à l’exception d’Andre Agassi. Pendant ce temps, le classement de Courier a chuté au 11e rang mondial et il n’est plus le même joueur que dans les années 1991-1993.
Cependant, le numéro 1 mondial traverse une période difficile. Son entraîneur de longue date, Tim Gullikson, dont il est très proche, est malade depuis plusieurs mois déjà et, après qu’on lui a découvert une tumeur au cerveau dû quitter l’Australie en urgence pour effectuer d’autres examens et commencer un traitement. En huitièmes de finale, Pistol Pete a déjà puisé dans ses réserves pour revenir de deux sets à zéro contre Magnus Larsson (4-6, 6-7, 7-5, 6-4, 6-4).
Courier, qui n’a pas perdu un seul set lors de ses quatre premiers matchs, commence en trombe et se détache deux sets à rien, 7-6, 7-6, sans toutefois parvenir à prendre le service de son adversaire. Le numéro un mondial s’accroche et remporte le troisième set, 6-3, mais il finit tout de même par perdre son service et se retrouve dans une situation désespérée, mené 4-2 au quatrième set. Sampras réalise un effort incroyable pour gagner les quatre jeux suivants et remporter le set 6-4, mais cet effort met ses nerfs à rude épreuve.
Je n’avais pas de crampes. J’étais simplement à bout de forces.
Pete Sampras
Alors qu’il s’apprête à servir pour entamer le set décisif, le numéro 1 mondial ne peut plus contrôler ses émotions et des larmes commencent à couler le long de son visage.
“Ça va, Pete ? On peut remettre ça à demain, tu sais”, dit Courier depuis l’autre côté du court.
Mais Sampras se ressaisit et s’appuie sur son service pour se tirer d’affaire lors de ce premier jeu. Au changement de côté qui s’ensuit, le numéro 1 mondial fond littéralement en larmes sous sa serviette ; et à 1-1, 30-0, il se remet encore à pleurer, devant 15 000 spectateurs médusés.
Pistol Pete se concentre sur son service jusqu’à ce que Courier finisse par craquer, touché par des crampes. À la stupéfaction générale, malgré la tempête émotionnelle qu’il traverse, Sampras remporte finalement le set décisif, 6-4, et se qualifie pour les demi-finales.
“Nous avons tous deux montré beaucoup de courage”, déclare par la suite Sampras, selon le New York Times. “Je n’avais pas de crampes. J’étais simplement à bout de forces.”
“Je n’ai pas vu le match, et je n’ai pas quitté l’Australie par choix”, commente Tim Gullikson. “Si je ne suis pas en bonne santé, je ne peux pas l’aider. Pete mérite beaucoup de respect pour être remonté contre un grand joueur tel que Jim. Je suis très fier de lui.”
La postérité du moment : Sampras s’inclinera en finale et perdra Gullikson l’année suivante
Pete Sampras battra encore Michael Chang en demi-finale (6-7, 6-3, 6-4, 6-4) mais en finale, son plus grand rival de l’époque, Andre Agassi, se montrera trop fort (4-6, 6-1, 7-6, 6-4). Cependant, bien qu’il n’ait pas remporté le tournoi, Sampras y a gagné l’estime de nombreux fans de tennis qui avaient auparavant eu du mal à s’identifier à un numéro 1 mondial aussi introverti.
Tim Gullikson succombera à sa maladie l’année suivante, le 3 mai 1996. Quelques semaines après son décès, Sampras réalisera le meilleur Roland-Garros de sa carrière, où il battra deux anciens vainqueurs du tournoi (Jim Courier et Sergi Bruguera) avant de s’incliner en demi-finale face à Yevgeny Kafelnikov.