Djokovic veut remplacer les juges de ligne – mais ce n’est pas si simple
Pour Novak Djokovic, tôt ou tard, il faudra remplacer les juges de lignes par la technologie. Pourtant, l’idée n’est pas aussi simple à mettre en place.
Pour marquer le passage à la nouvelle année, Tennis Majors propose une série de six articles à propos des sujets majeurs ayant fait réagir le monde du tennis ces derniers mois.
Dimanche 3 janvier – Pourquoi la suggestion, reprise par Novak Djokovic, de remplacer les juges de lignes par la technologie n’est pas aussi simple qu’elle paraît.
Son commentaire a fait parler. En conférence de presse après sa qualification pour les huitièmes de finale de Roland-Garros, Novak Djokovic a estimé que le temps était peut-être venu de remplacer les juges de lignes humains par la vidéo, comme ce fut le cas quelques semaines en amont à New York.
Convaincu par la technologie utilisée pour le Masters 1000 de Cincinnati et l’US Open en raison du nombre réduit de personnes autorisées sur le court par le protocole sanitaire, le Serbe se projette sans complexe à l’ère des machines.
“Quel que soit mon respect de la tradition et la culture ancestrale du sport, et pour les gens qui sont sur le court, je ne vois pas pourquoi les tournois, dans le monde entier, n’utiliseraient pas la technique mise en place à New York. La technologie est tellement avancée à l’heure actuelle que je ne vois pas pourquoi on devrait se reposer sur des juges de ligne sur le court. C’est mon avis.”
Quand le numéro 1 mondial s’exprime, tout le monde écoute. Mais son idée n’est sans doute pas aussi simple à mettre en place qu’il le suggère.
Ça tape dans le porte-monnaie
Tout d’abord, se pose la question logistique. Installer tout le matériel nécessaire sur chaque terrain, pour chaque tournoi du monde, aurait certainement un coût exorbitant. Le prix est estimé autour de 20 000 $ par court.
Un souci dont Djokovic a bien conscience.
“C’est une technologie onéreuse, donc il y a un problème économique, mais je pense que c’est le sens de l’histoire. Je ne vois pas de raisons de conserver les juges de lignes. Tôt ou tard, nous y viendrons.”
L’avis de Djokovic est peut-être, en partie, influencé par sa “fameuse” mésaventure de Flushing Meadows où, après avoir involontairement balancé une balle contre la gorge d’une juge de ligne, il avait connu les affres de la disqualification.
Un évènement que le Belgradois n’a pas manqué de rappeler, dans une note d’humour teintée d’auto-dérision.
“Garder les ramasseurs de balles, oui, évidemment, mais les juges de lignes, je ne vois pas pourquoi. Et, sans eux, j’aurais moins de chance de commettre ce que j’ai fait à New York (sourire).”
D’ailleurs, à l’US Open, si le huitième de finale face à Pablo Carreño Busta n’avait pas eu lieu sur le court central mais une annexe, il n’aurait touché aucun juge de lignes. En raison des règles de distanciation sociale, les petits terrains étaient régis par la vidéo pour épauler l’arbitre de chaise.
Certains jeunes gravissant les échelons du classement ATP sont eux habitués aux annonces automatisées : depuis 2017, le Masters NextGen se dispute sans juge de lignes.
La tradition
Evidemment, le sujet divise. Tout le monde, y compris au sein des meilleurs joueurs et joueuses de la planète, n’est pas d’accord avec “l’homme élastique”.
Garbiñe Muguruza, deux fois sacrée en Grand Chelem, a déclaré aimer être entourée par d’autres personnes sur le court.
“Ils peuvent aussi mettre le Hawk-Eye sur terre battue. Ça résoudrait beaucoup de problèmes. Mais je me sens plutôt traditionaliste sur ce sujet. J’aime avoir des juges de lignes et un arbitre de chaise. J’aime les choses à l’ancienne,” a déclaré la native de Caracas.
“Vous pouvez instaurer le Haw-Eye (à la place des juges de lignes) et des haut-parleurs pour annoncer les balles ‘in’ ou ‘out’ et aller vers la modernisation, mais je préfère ne pas être une ‘machine’ sur le court. Avec uniquement les joueurs sur le terrain, ce sport deviendrait encore plus solitaire.
Cela étant dit, le respect de la tradition ne signifie pas la condamnation de l’évolution.
Avantages du Hawk Eye
Le Hawk-Eye ne fait partie du tennis que depuis les vingt dernières années. Le premier tournoi du Grand Chelem à l’avoir utilisé fut l’US Open, en 2006. Il a été introduit en tant que coup de pouce pour l’arbitre, afin de se prémunir contre l’éventuelle colère de joueurs se sentant lésés par une décision.
Le Dr. Rob Lake, historien du tennis, nous rappelle que le tennis a appris à se soustraire à certaines traditions dès les années 1970 en adoptant le tie break. Une décision vivement critiquée à l’époque. Elle faisait le jeu des diffuseurs et non des spectateurs, disaient ses détracteurs.
“Au final, la balance a penché en faveur du tie-break. Les joueurs de ce temps auraient apprécié préserver leurs corps de façon à pouvoir prolonger leurs carrières. Ça leur aurait également permis de satisfaire le contentement des diffuseurs et organisateurs de tournois, qui leurs auraient rendu la pareille en offrant des prize money plus élevés. Ce qu’ils ont fait par la suite. Les fans ont aussi apprécié le suspense engendré par les jeux décisifs.”
“J’ai la sensation que le Hawk-Eye offre des avantages similaires, mais je pense pas qu’on puisse tirer une quelconque bénéfice de la suppression des juges de lignes”, a ajouté le Dr. Lake. Ça pourrait permettre à certains tournois de faire des économies sur le paiement des salaires des juges de lignes, mais ce serait dérisoire par rapport au coût global et ce n’est certainement pas une bonne raison pour se passer d’eux.”
Le Dr. Lake a aussi pointé du doigt le fait que se reposer sur la vidéo pour chaque point ralentirait sensiblement le jeu. De quoi frustrer tout le monde. Il a cité l’exemple de l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) du football ayant démonté que la technologie était loin d’accélérer les choses et de mettre tout le monde d’accord.
“Les décisions sont le plus souvent justes, mais c’est au détriment des émotions que peuvent procurer les erreurs humaines. Et il pourrait également y avoir des contestations des décisions, même avec la suppression du jugement humain par l’éviction des juges de lignes.”
“Si l’arbitre fait toutes les annonces cela peut mener potentiellement à plus de décisions incorrectes, donc à des contestations. Faudrait-il avoir un nombre infini de ‘challenges’, ce qui ralentirait considérablement le déroulement d’un match ? Pour moi, les deux options nuiraient au plaisir du spectacle.”
Comment devenir arbitre ?
La question de la précision de la technologie mérite aussi d’être challengée. La marge d’erreur à zéro n’existe pas. La décision 100 % juste ne peut être garantie, sans compter les possibles pannes des onéreux appareils.
Contactés par Tennis Majors, des arbitres ont exprimé – sous couvert d’anonymat – leur crainte de voir la réserve de talent arbitral diminuer de façon significative en cas de suppression des juges de lignes. La plupart d’entre eux ont commencé par ce rôle, puis ont progressé au fil des années pour venir s’asseoir sur la chaise dominante. Et, avec la réduction des opportunités d’exercer, moins d’officiels seront financièrement capables de poursuivre leurs carrières à plein temps, à moins d’une source de revenus extérieure. Le nombre d’arbitres disponibles risque donc de chuter.
Alors que le monde du tennis est encore secoué par l’impact de la pandémie, que le calendrier est en perpétuel ajustement, un changement radical, tel la disparition des juges de lignes, semble peu probable. Ils ont encore quelques beaux jours devant eux. Et les joueurs devront veiller à maîtriser leurs nerfs, de façon à n’envoyer aucune balle sur la gorge d’un officiel.