Dans quel état va-t-on retrouver les joueurs à la reprise ?
Alors que le circuit espère repartir dans les mois qui viennent, le temps est arrivé de se demander dans quel état seront les joueurs à la reprise.
La plupart des joueuses et des joueurs n’ont pas pu s’entraîner normalement depuis début mars. Alors que certains pays commencent à déconfiner progressivement leurs concitoyens et que le circuit espère toujours pouvoir reprendre dans les mois à venir, le moment est venu de se demander dans quelle forme les joueurs seront à la reprise.
Ils ont l’habitude de taper pendant des heures tous les jours et de régler leurs séances d’entraînement à la minute chaque semaine. Une organisation qui dépend du programme de tournois. Depuis des semaines, la plupart d’entre eux sont coincés à l’intérieur de leurs logements, essayant de s’entraîner du mieux que possible. Mais en aucun cas avec la même intensité qu’à leurs habitudes de joueurs professionnels. Alors,que se passera-t-il une fois qu’ils seront à nouveau autorisés à jouer ? Seront-ils prêts rapidement pour la compétition ? Ou perdent-ils actuellement trop de leur condition physique pour pouvoir repartir rapidement à l’assaut des titres ?
Laffite : “Les capacités aérobies risquent de décroître très vite”
“Quand tu n’as plus ton activité normale, notamment au niveau cardio, les capacités aérobies vont diminuer très rapidement (4 à 5 jours)”, explique ainsi le préparateur physique français Laurent Laffite, qui a travaillé avec Garbine Muguruza par le passé. Donc passer deux mois ou plus sans cette activité normale peut potentiellement avoir des conséquences désastreuses pour les joueurs. C’est pourquoi, pendant ce confinement, Laffite isole deux domaines de travail qui doivent être maintenus sans tergiverser afin que les joueurs soient prêts à reprendre le travail dans les meilleures conditions possibles ensuite.
“La priorité, c’est garder des sollicitations aérobiques malgré le confinement. C’est assez facile d’en avoir à haute intensité sur des périodes courtes, avec les méthodes Tabata (20 secondes de travail à haute intensité, 10 secondes de repos, et ça pendant quatre minutes) ou les méthodes de CrossFit où il y a besoin de peu d’espace. Au travers de sauts, de burpees (mix de squats, pompes, gainage), de coups de poings, de sauts à la corde, et ça te demande 2m2. La chose la plus compliquée, c’est de travailler le cardio à moyenne et faible intensité si tu ne peux pas sortir par exemple. J’ai des jeunes qui ont acheté un vélo d’appartement.”
Une fois que cet aspect est assuré, Laffite conseille aux joueurs de ne pas oublier le travail de musculation.
“Il y a donc des mouvements qui doivent continuer à être faits. Le joueur va passer plus de temps assis, moins bouger, ses muscles ne seront pas sollicités comme d’habitude, donc l’idée est de travailler tout, tout le temps. Notamment dans les amplitudes articulaires et sur les groupes musculaires.”
Wim Fissette, l’entraîneur de Naomi Osaka, confirme la nécessité pour les joueurs de rester actifs tout au long de cette période afin d’être aussi en forme qu’il sera nécessaire une fois que le Tour sera de retour sur la bonne voie. Son astuce est de les sortir de leur routine habituelle, donc le plaisir reste au lieu d’un sourire au jour le jour pour les personnes qui venaient tout juste de sortir d’une intersaison.
“À un moment comme celui-ci où il n’y a pas de véritable objectif, ce qui est difficile pour les plus grands compétiteurs, il faut essayer de travailler un aspect de son jeu qu’on n’a jamais eu le temps d’améliorer, comme le jeu au filet peut-être, ou juste quelque chose hors de votre zone de confort. C’est une période qui peut être très utile, mais il faut s’y investir. Idem pour le travail physique, il faut essayer d’entreprendre des choses différentes, comme faire d’autres sports, du pilates, du yoga, de l’escalade. Il faut rester en forme tout en s’amusant.”
Ils ont beau être des joueurs de tennis professionnels, ils restent des gens comme tout le monde, et sont donc soumis au même stress, à la même frustration et aux mêmes contraintes que le reste du monde en ce moment. C’est pourquoi Darren Cahill n’a pas mis trop de pression sur les épaules de Simona Halep.
Cahill : “Rester en bonne santé mentale, ne pas s’épuiser”
“Simona fait l’essentiel de son entraînement physique à l’intérieur de la maison ou dans le garage. Les gymnases ne lui sont pas accessibles. Je ne pense pas qu’elle soit allée sur le terrain si souvent. Peut-être trois ou quatre fois, mais juste pour sentir la balle. Je lui ai dit de faire ce qu’elle pensait être suffisant pour se sentir bien dans sa peau et être en bonne santé physique et mentale. Je lui ai dit de ne pas se tuer à la tâche pendant cette période, car nous ne savons pas combien de temps cela va durer. Reste à l’intérieur, reste en sécurité, puis une fois que nous saurons ce qui va se passer, nous aurons beaucoup de temps pour commencer une préparation sérieuse. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous aurons une longue fenêtre de possibilité.”
Pour l’Australien, l’essentiel est de s’assurer que les joueurs ne se seront pas surmenés pendant ce temps de lockdown.
“C’est vraiment juste rester mentalement sain, de ne pas s’épuiser à travers ça. C’est difficile parce qu’au tennis, vous vous entraîner pour vous assurer que physiquement et mentalement vous êtes prêt pour un tournoi particulier. Mais quand vous ne savez pas quand ce tournoi se déroule, il est difficile de planifier la formation alors en ce moment on fait surtout de l’entretien physique, en particulier pour quelqu’un comme Simona, qui a de toute façon une grande base de condition physique.”
Fontang : “Il faut vraiment faire une reprise très progressive“
Quand il y aura enfin une date pour un premier tournoi officiel, de nombreux joueurs pourraient également hésiter à y aller tout de suite. Certains voudront peut-être l’ignorer et s’assurer qu’ils sont prêts à jouer afin d’éviter les blessures. “Je ne suis pas inquiet pour eux en ce qui concerne la reprise de l’entraînement, mais je suis plus inquiet pour les premiers tournois où il y aura un risque de voir des joueurs se blesser”, a confirmé Laffite.
Être confiné est une situation piège et stressante pour les joueurs mais trouver la bonne stratégie après tout cela ne sera pas facile non plus.
“Le gros risque quand on n’a pas joué depuis longtemps, c’est que les tendons et les articulations aient perdu un peu les tensions musculaires », explique Frédéric Fontang, entraîneur de Félix Auger-Aliassime. « Il faut vraiment faire une reprise très progressive, et il ne faudrait pas reprendre la compétition tout de suite pour quelqu’un qui n’a pas du tout pu frapper, car il y a un risque de blessure. Cela dépend aussi de ce qui a été fait auparavant: si le joueur a fait une bonne préparation physique, cela réduit les risques.”
Fontang : “Nous avons mis en place un programme de développement physique”
Fontang et le reste de l’équipe de FAA ont pris une décision intéressante pour cette période de confinement. Lorsque le Canadien est rentré chez lui après Indian Wells, il a été mis directement en quarantaine où il n’a fait là que le travail de conditionnement physique nécessaire pour maintenir la forme. Mais après de nombreuses discussions, ils ont tous décidé de changer d’orientation une fois la quarantaine terminée, et le confinement installé.
“Comme la situation n’est toujours pas ouverte, il ne peut toujours pas jouer au tennis ; Mais entre temps, il s’est constitué une salle de préparation physique et là on a pu passer à une phase, qui est toujours en cours, de développement de préparation physique. Il a tout le matériel qu’il faut pour pouvoir, à distance avec son préparateur physique Nicolas. On a mis en place un programme de développement physique.”
Ils regardent et analysent également les matchs afin que le cerveau de tout le monde reste sur la balle. L’essentiel étant : essayer d’utiliser cette période du mieux qu’ils peuvent pour Auger-Aliassime. “Il est jeune, il a des choses à développer physiquement et on n’a jamais le temps de le faire avec l’enchaînement des saisons. Et la qualité d’un athlète de haut niveau est aussi l’adaptation.” Lorsque le circuit reprendra, nous constaterons également la disparité des installations d’entraînement des joueurs : tout le monde ne peut pas avoir de gymnase personnel ni de terrain à côté de la maison. Les meilleurs joueurs, qui ont les plus grands comptes bancaires, pourraient recevoir un autre avantage et donc le fossé pourrait être encore se creuser.
Sumyk : “C’est là où on va savoir qui veut quoi dans la vie”
Pour Sam Sumyk, la différence de moyens n’expliquera pas à elle seule la différence à l’arrivée, il faudra aussi jeter un oeil du côté de l’état d’esprit.
“Tu peux toujours faire quelque chose, mais là être capable de bien planifier alors qu’on n’a pas de date de retour est très compliqué. Mais tu peux quand même t’entretenir physiquement, et je sais que certains et certaines peuvent encore un peu taper la balle.”
L’entraîneur français ne veut pas entendre parler de difficultés de motivation.
“Tu peux conserver ta rigueur et un mode de vie en accord avec ta profession. Pas besoin d’avoir une motivation spéciale : ta motivation personnelle, elle existe non ? Je sais qu’il y en qui seront prêts quand ça va reprendre, et d’autres qui pleureront en disant ‘merde, si j’avais su’. C’est là où on va savoir qui veut quoi dans la vie, c’est tout. On va voir ceux qui ont cette résilience. Personne ne jouera bien au tennis tout de suite, mais le but n’est pas là, le but est d’être prêt. Djokovic en deux mois, il n’aura pas pris 4kg. Je pense aussi que les meilleurs en ce moment en font beaucoup plus que ce qu’ils disent ou montrent. Je ne peux pas croire qu’ils ne fassent rien.”
Hay que animarse y seguir!!!! 💪🏻💪🏻💪🏻 #yomequedoencasa #iorestoacasa#istayhome #jerestechezmoi pic.twitter.com/3uX6pc4ubo
— Rafa Nadal (@RafaelNadal) April 2, 2020
Cahill pense même que les meilleurs, qui sont sur le circuit depuis une décennie ou plus, pourraient vraiment bénéficier de cette pause.
“Il y a beaucoup de joueurs qui avaient besoin de cette pause. Les plus âgés par exemple. Vous regardez Novak, Rafa, et je sais pour Simona, jouer sur le circuit a été usant pendant des années. C’est éreintant, ça vous rince. Donc beaucoup de joueurs ont eu l’occasion de donner à leur corps une pause bien méritée. Il y a donc des points positifs à en tirer.”
Et c’est pourquoi Cahill ne pense pas qu’il faudra trop de temps afin que les joueurs soient à nouveau compétitifs.
“Je ne pense pas que ça va prendre longtemps. Seulement quelques semaines une fois le feu vert donné pour le retour des joueurs sur le terrain. Les bases physiques seront toujours là car ils sont tous assez athlétiques de toute façon. Et tout le monde fait un peu de travail physique.”
Le secret devrait être de trouver le bon équilibre. Comme le croit Laurent Laffite, les joueurs qui sortiront le mieux de cette épreuve seront ceux qui résoudront une énigme délicate pour trouver comment ne pas en faire trop tout de suite, et ne pas en faire beaucoup trop non plus.
“Ce qui peut être problématique, c’est de commencer à douter du programme mis en place pour la reprise du tennis. Si vous commencez à douter, il sera difficile au quotidien de vous entraîner et de vous investir. Mais si vous êtes convaincu que cela vous permettra de retrouver le même niveau qu’avant la pause, alors ça vaut le coup.”
Laffite : “Vous risquez de vous lasser de courir après l’inconnu”
La motivation sera alors la clé.
“Ceux qui seront démotivés seront ceux qui ne feront pas confiance à leur programme. Ensuite, la difficulté pour tous est que maintenant nous leur demandons à nouveau les mêmes efforts que pendant l’intersaison, et ce sans même toucher la raquette. Cela va être difficile, mais ça peut aussi avoir un côté bénéfique sur certains points : certains corps vont se reposer, d’autres s’entraîner à ce qu’ils ne peuvent pas faire d’habitude. Et même pour ceux qui ont un terrain de tennis, c’est compliqué de s’entraîner dans un but très flou. Garder le contact avec la raquette, c’est super, mais pour donner du sens derrière, il faut s’accrocher. Tu risques de te fatiguer à courir après quelque chose que tu ignores, or quand tu vas reprendre le circuit, il faudra être à 100% de ta motivation.”
Les joueurs qui pourraient sortir de ce tunnel Covid-19 dans la meilleure forme pourraient enfin être ceux dont la vie ne tourne pas à 100% autour de la balle jaune. Wim Fissette en est convaincu, et c’est pourquoi il est heureux qu’Osaka ait développé d’autres intérêts ces dernières années.
“Elle a développé d’autres intérêts dans sa vie, comme le design. Elle est très créative. Ce sera plus difficile pour celles et ceux qui n’ont peut-être que le tennis dans leur vie. Naomi va pouvoir passer un peu plus de temps sur ses projets de design avec des marques de vêtements et ça va l’aider.”
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Nous avons appris qu’Alizé Cornet écrivait un livre, nous avons vu Rafael Nadal occupé dans la cuisine, et de nombreux joueurs consacrent désormais à coup sûr du temps à des passe-temps dont nous n’avions aucune idée. Ils ont également trouvé une sorte de routine désormais pendant ce confinement, de sorte que le stress des deux premières semaines a peut-être pu diminuer. Pourtant, pour ceux qui commencent à manquer d’argent, c’est peut-être le contraire.
Et donc encore une fois, nous verrons dans les semaines ou les mois à venir à quel point les disparités du monde du tennis ont été amplifiées, ou non, par la pandémie. Nous verrons également quelle équipe a trouvé un moyen de faire suivre au joueur le programme établi avec la meilleure éthique de travail. La compétition ne s’arrête jamais vraiment et il ne fait aucun doute que ce confinement en est un type plus discret, mais toujours très réel.