Entretien avec Wim Fissette – Dans son jeu et dans sa tête : tout est question d’équilibre pour Osaka avant Roland-Garros
Pas en réussite à Roland-Garros jusqu’à maintenant dans sa carrière, Naomi Osaka aborde l’édition 2021 sans beaucoup plus de repères positifs sur terre battue. Mais ce n’est pas pour autant que Wim Fissette, son coach qui s’est confié à Tennis Majors, part battu d’avance. A condition que tout se mette en place au fil des matchs.
La meilleure joueuse du monde sur dur, c’est Naomi Osaka. Elle a déjà quatre titres du Grand Chelem à son palmarès, à seulement 23 ans, et est tenante du titre de l’US Open et de l’Open d’Australie. A Roland-Garros, ce dimanche, elle débute une phase cruciale de sa carrière, celle qui doit lui permettre de viser le titre suprême sur d’autres surfaces. La terre battue pour commencer.
Dans la soirée de mercredi, la Japonaise a annoncé qu’elle ne participerait pas cette année aux conférences de presse normalement obligatoires à Roland-Garros. Elle estime que leur format, en particulier après une défaite, est préjudiciable pour sa santé mentale et favorise l’apparition de doutes.
Cette sortie étonnante était peut-être une indice sur l’état d’esprit d’Osaka à l’approche d’un tournoi du Grand Chelem où elle n’a jamais dépassé le troisième tour en quatre tentatives. Elle a aussi affiché une petite forme sur terre battue. Elle n’a gagné que deux matchs sur trois à Madrid et Rome.
Dans un entretien accordé à Tennis Majors avant l’annonce d’Osaka, son coach Wim Fissette a assuré qu’il ne ressentait pas de pression supplémentaire pour réussir à Paris. Même s’il a admis que les attentes sont bien plus faibles qu’elles ne le seraient sur dur, où Osaka règne en maîtresse.
Je n’ai pas l’impression qu’il y ait tant de pression sur elle.
Wim Fissette
La dernière fois qu’Osaka a joué à Roland-Garros, elle avait reconnu que la pression d’être numéro 1 mondiale était un fardeau trop lourd à apporter, même en arrivant à Paris avec la confiance engrangée en ayant remporté les deux tournois du Grand Chelem précédents.
Elle avait été éliminée dès le troisième tour par Katerina Siniakova. Mais Fissette estime que la situation est incomparable avec 2019, en raison de la maturité d’Osaka et de sa plus grande sérénité par rapport à son entourage.
“Je n’ai pas l’impression qu’il y ait tant de pression sur elle, souffle le technicien belge. A l’époque, elle était plus jeune. Je pense qu’elle a énormément appris pour savoir comment gérer la pression.”
“Bien évidemment, les gens croient en les chances de Naomi et nous y croyons aussi. Mais nous sommes aussi réalistes, nous savons que ce sera difficile, Naomi également. Mais c’est aussi une année très spéciale. Peut-être que dans une année normale, nous nous serions encore davantage focalisés sur la terre battue.”
“Avec cette saison, ce programme si resserré entre l’Open d’Australie retardé en février, Roland-Garros aussi et la transition très rapide vers Wimbledon, et des Jeux Olympiques très importants, les deux mois à venir sont énormes. Il y aura beaucoup de choses à accomplir. Donc il n’y a pas cette pression de devoir absolument gagner à Paris. Ce ne sera pas le cas, vraiment.”
Une préparation “vraiment pas idéale” pour Osaka
La numéro 2 mondiale aurait certainement repris la place de numéro 1 sans le passage temporaire du classement à un calcul sur deux ans à l’heure où le tennis doit encore composer avec le coronavirus. Mais la terre battue, c’est une autre histoire pour la Japonaise.
Osaka avait zappé le Roland-Garros, décalé à l’automne l’année dernière, après sa victoire à l’US Open, et sa forme sur terre en 2021 a encore déçu. Mais Fissette pense qu’elle peut réussir sur les deux surfaces, et dès cette année à Roland-Garros.
“Dans l’idéal, nous aurions empoché au moins quelques victoires de plus, reconnaît Fissette. Naomi avait besoin d’une coupure après Miami, mais à Madrid, nous avions le sentiment de bien progresser et j’avais la sensations que nous avions fait de très bons entraînements à Rome. Nous nous sommes tous projetés sur son match contre Jessica Pegula avec un état d’esprit positif, mais la façon dont elle jouait à l’entraînement n’était pas encore la même qu’en match.”
“Ce n’est qu’un manque de matchs, pour que sa prise de décision soit automatique, vienne du coeur. Et les choses que nous mettions en place dans son jeu à l’entraînement n’étaient pas encore là. Donc ce n’est vraiment pas idéal.”
Trouver le bon équilibre attaque-défense
Osaka s’entraînait à Paris ce mercredi avec la numéro 1 mondiale Ashleigh Barty, victorieuse à Roland-Garros en 2019. Difficile de trouver meilleure partenaire d’entraînement pour s’habituer aux variations nécessaires à la réussite sur terre, la surface la plus lente.
Quiet, please. Two queens playing chess 🤫
No. 1 @ashbarty vs. No. 2 @naomiosaka #RolandGarros pic.twitter.com/8OMBkgjhTT
— Roland-Garros (@rolandgarros) May 26, 2021
Beaucoup a été dit sur ses déplacements sur terre. Mais Fissette, qui a entraîné de nombreuses vainqueures de Grand Chelem comme Kim Clijsters, Victoria Azarenka ou Angelique Kerber, estime que le plus gros challenge consister à amener Osaka à trouver l’équilibre requis entre l’attaque et la défense.
“Je pense que c’est plus tactique. On sait que c’est une bonne athlète. Elle est forte mentalement. Elle le veut vraiment. Mais en l’état, j’ai la sensation qu’elle n’a pas encore trouvé l’équilibre.”
“D’abord elle doit utiliser ses armes, ses forces. C’est évident pour elle, je parle de son jeu offensif. Mais sur la terre battue, vous devez aussi vous attendre à jouer un coup de plus et vous devez vous ajuster, parce que les rebonds sont différents.”
“Vous devez davantage construire le point, vous ouvrir le court et jouer dans l’espace libre. Elle est excellente sur dur pour construire le point. Mais il est surtout question de frapper fort sur l’adversaire, ensuite vous avez une balle plus facile et vous jouez après du côté ouvert du court. Sur terre battue, il faut plus construire, un angle profond, jouer du côté ouvert, et s’attendre à voir la balle revenir plus souvent.”
Osaka est naturellement “trop passive” sur terre battue
De la même manière que Daniil Medvedev, le numéro 2 mondial masculin qui a ouvertement fait part de son désamour pour le jeu sur terre battue, Osaka s’est parfois retrouvée contrainte à appliquer un plan de jeu qui ne lui correspond pas, en oubliant d’utiliser ses armes à son avantage.
Fissette juge qu’elle doit le faire, mais avec intelligence.
“La dernière fois où je me suis retrouvée coach contre elle, c’était avec Vika (Azarenka) en 2019 quand nous avons joué Roland-Garros. J’avais la sensation pendant la première heure qu’elle était bien trop passive, et derrière elle a simplement commencé à jouer sur ses forces. Et si elle y parvient, je pense qu’elle devrait être très dangereuse aussi sur terre battue. Mais elle doit trouver cet équilibre entre la patience et l’attaque. Et c’est piégeux. Vous avez besoin de matchs pour vraiment le sentir.”
Sur terre battue, il faut faire un plus gros travail mental
Contrairement aux courts en dur, sur lesquels les joueurs peuvent se fier au rebond quasiment à 100%, la terre battue est une surface qui évolue, avec de possibles faux-rebonds et les lignes qui peuvent causer des changements de trajectoire. Si les joueurs qui ont grandi sur terre battue apprennent vite à les accepter, c’est plus difficile pour les autres, comme Osaka. La frustration transparait ainsi de temps à autre sur le court.
Fissette admet sans mal qu’il faut qu’Osaka l’intègre pour faire avec. Le Belge pense que ça va encore plus loin.
“Je pense qu’elle doit accepter des choses comme le fait que sur une balle de break contre vous, vous pouvez frapper votre meilleur service, il y a une très grande chance que la balle revienne et que vous deviez jouer un nouveau rallye.”
“Sur dur, comme on le sait tous, c’est une experte pour jouer ces points importants très bien et distribuer ses meilleurs services au moment opportun. Sur terre battue, la balle revient et c’est mental. Vous pouvez frapper à 200 kilomètres par heure, mais la balle revient. C’est cet aspect tactique et mental du jeu sur lequel elle a besoin d’un déclic, pour le comprendre. Et nous avons de besoin de matchs pour cela.”
“Si Naomi peut passer quelques tours à Paris, elle pourrait être très dangereuse”
Osaka a tellement d’expérience à haut niveau, que quand elle aura trouvé l’équilibre et le déclic, la réussite pourrait vite suivre.
“J’ai le sentiment que si Naomi peut passer quelques tours à Paris, elle pourrait être très dangereuse. Vraiment. Nous sommes réalistes sur le fait que ça va être un tournoi très difficile. Mais si nous pouvons faire une bonne semaine à Paris et réaliser de bonnes séances d’entraînement, où elle a de bonnes sensations, je suis très confiant sur le fait qu’elle peut être une joueuse dangereuse.”
Les JO aux Japon, un objectif énorme
Avoir les Jeux Olympiques dans son pays en fera un objectif majeur pour Osaka, sans doute. Jouer à la maison est toujours un plaisir, mais le faire sous les couleurs de votre pays dans le plus grand événement sportif possible sera une source de fierté pour elle.
Fissette ne s’en cache pas, trouver l’équilibre entre les engagements d’Osaka et maintenir sa concentration sur les prochains mois sera crucial. Mais sa joueuse est si professionnelle que ça ne devrait pas être difficile.
“Evidemment que les Jeux Olympiques au Japon, c’est énorme. Déjà l’année dernière elle avait hâte d’y être et elle adore jouer au Japon, donc elle était vraiment impatiente.”
“Mais nous devons être dans le moment. Je me souviens lui avoir parlé en début d’année, en Australie, et je lui ai dit de me citer ses trois plus gros objectifs de l’année. Et elle m’a répondu qu’elle était en Australie, que toute sa concentration était dirigée vers l’Australie, qu’elle voulait rester dans le moment.”
“J’ai pensé que c’était une super façon de voir les choses et c’est ce que nous devrions faire pour l’instant. Les Jeux Olympiques, c’est bientôt. Il y a Roland-Garros, nous devons être intelligents dans nos prises de décision et trouver l’équilibre entre les temps de repos, les phases d’entraînement et se préparer du mieux possible. Mais ça doit partir de Paris et on verra après.”