« En 2022, soit on pourra faire un tournoi normal, soit on n’existera plus »
Denis Naegelen, directeur des Internationaux de Strasbourg, s’est confié à Tennis Majors à un mois du début de son tournoi. Entre optimisme et réalisme, l’ancien 131e joueur mondial regrette que la WTA ne l’ait pas autorisé à se déplacer sur une autre période de la saison, mais fait contre mauvaise fortune bon coeur.
Denis Naegelen, comment s’est passé le processus de décision pour le report d’une semaine des Internationaux de Strasbourg, désormais programmés du 23 au 29 mai prochains ?
Ça s’est passé de façon assez simple, et en même temps très compliquée. On a appris que la Fédération repoussait Roland-Garros d’une semaine, pour essayer de prendre des précautions par rapport probablement aux informations qu’elle avait sur ses capacités d’ouvrir, en ces temps de crise. On avait aussi de notre côté des informations incertaines, voire négatives, sur la situation en Alsace. On est en contact quasi-quotidien avec l’Agence Régionale de Santé, qui nous disait que ce serait difficile. Quand on vous dit que c’est difficile, soit vous êtes optimiste et vous vous dites que ça ira, soit vous ne l’êtes pas et vous vous dites qu’ils ne vont pas vous donner l’autorisation. Dans un premier temps, on s’est dit qu’on devait respecter l’histoire du calendrier et rester à notre place, de préparation à Roland-Garros. On l’a fait aussi parce qu’on avait demandé au préalable à la WTA de nous trouver une solution qui nous paraissait meilleure, compte tenu de la situation sanitaire en France, et particulièrement dans la région Grand-Est.
Sur quelle période souhaitiez-vous bénéficier d’un nouveau créneau de la part de la WTA ?
On avait demandé en juillet ou en septembre. Juillet, ça ne paraissait pas possible, parce qu’il y avait déjà des semaines avec trois tournois. Septembre, c’était encore beaucoup trop tôt pour prendre une décision. Ça dépend des tournois chinois, qui sont très importants pour la WTA, parce qu’il y a beaucoup d’enjeux marketing avec la Chine. Ils ne pouvaient me proposer une date en septembre qu’à partir du moment où ils auraient une annulation de la Chine, et ils ne pensaient pas pouvoir en avoir une avant le mois de juillet. Difficile d’attendre juillet pour organiser le tournoi en mai. Donc on a suivi la demande de la WTA, qui poursuit l’objectif donner du travail à ses joueuses, parce que si on avait annulé ou repoussé, il y aurait une semaine de vide. La WTA nous a quand même imposé cette date, alors qu’on n’est pas encore en mesure de savoir si on pourra ouvrir. A l’heure où je vous parle, la position, c’est huis-clos.
Naegelen : “Je suis sur une semaine qui m’est imposée”
L’optimisme qui semble régner au gouvernement quant à une possible réouverture des terrasses et des lieux culturels à la mi-mai vous incite-t-il à positiver ?
On a vécu beaucoup d’allers-retours, vraiment beaucoup de changements de position, en 2020. Les rumeurs ne sont pour moi que des rumeurs. Depuis un an et demi, on a montré que tous les soi-disant experts se plantaient une fois sur deux, qu’ils soient médicaux ou économiques. On est dans une situation nouvelle, sur laquelle nous n’avons pas d’expérience. Personne ne peut savoir si on va ouvrir les terrasses. Je parle avec des médecins et des professeurs, dans les hôpitaux, à Strasbourg ou à Paris, ou dans les Agences Régionales de Santé, tout le monde prend des précautions. Personne ne dit qu’on pourra ouvrir le 15 mai en terrasse, ce n’est pas vrai. On attend que monsieur (Jean) Castex (le Premier Ministre, ndlr) prenne la parole ce jeudi, qu’il précise un certain nombre de choses. Elles nous permettront peut-être de refaire une demande qui va dans le bon sens pour nous, à l’Agence Régionale de Santé et à la préfecture.
Vous vous préparez au huis-clos, ça vous semble l’approche la plus raisonnable en l’état ?
Je n’ai pas d’autre solution, c’est la seule qui me reste. En France, on n’arrête pas de dire qu’on va tenir compte des aspects sanitaires en fonction des territoires, par département, et en fonction de la saisonnalité. Cette approche n’est pas celle de la WTA. Elle n’a pas la possibilité d’avoir une approche territoriale. C’est un organisme mondial, elle a besoin de gérer un calendrier, de respecter leurs engagements marketing et droits TV. C’est ce qui les anime en premier, et je peux le comprendre. Se dire aujourd’hui qu’à Strasbourg, la situation en réanimation est meilleure qu’à Paris ou dans le reste de la France, et qu’il faut qu’on en tienne en compte, ce n’est pas du tout comme ça que la WTA raisonne. Je suis sur une semaine qui m’est imposée. Mais comme beaucoup d’autres.
Naegelen : “On s’abrite un peu derrière Roland-Garros”
Étiez-vous en contact avec la Fédération française de tennis avant le report de Roland-Garros ?
Je suis en contact avec Gilles Moretton (président de la FFT, ndlr) et Amélie Oudéa-Castera (directrice générale de la FFT, ndlr), ils me donnent les informations qu’ils ont envie de me donner. Ils ont envie que le tournoi se passe bien, je n’ai aucun doute là-dessus. Mais ils ont aussi des précautions à prendre par rapport aux enjeux que représente Roland-Garros pour la Fédération. On s’abrite un peu derrière Roland-Garros, parce que c’est l’organisme de la Fédération.
Comment vous préparez-vous à la bulle sanitaire à mettre en place pour les joueuses ?
On l’a mise en place en 2020, on le fera plus facilement en 2021. Sauf que ç’a un coût très important : un centre de tests sur le site du tournoi, une semi-immobilisation du Hilton. L’année dernière, on a mis en place un protocole sanitaire de 70 pages, qu’on a respecté. Ç’a d’ailleurs été reconnu et félicité par la préfecture. Mais je n’ai pas le sentiment que ça nous aide particulièrement cette année. Le virus est toujours là, semblerait-il.
Naegelen : “Le tennis international pourra-t-il continuer à tenir comme ça ? Ça n’a pas de sens”
Dans quelle situation se trouve le tournoi, qui a eu « la chance » de pouvoir se dérouler en 2020 et est encore au calendrier en 2021, mais qui doit composer avec des recettes en baisse ?
On perd beaucoup, beaucoup d’argent. On passe pour des héros pour les 22 initiés qui ont compris ce que ça représentait d’organiser un tournoi dans ces moments de crise, et pour des imbéciles pour le reste. Tout le monde s’en fout en dehors de ça. Le grand public ne comprend pas combien c’est difficile d’organiser un tournoi dans cette période-là, toutes les précautions à prendre, les coûts que ça engendre, de protéger les joueuses, les bénévoles qui travaillent, les gens qui viennent si on ouvre au public.
Avez-vous le sentiment que le plus dur sera bientôt derrière vous ?
Je sens exactement le même optimisme que celui qu’on avait en 2020. Quand on a organisé notre tournoi en septembre, on s’est dit : « C’est formidable qu’on ait fait ça, on en a chié, on a perdu de l’argent, mais maintenant on va pouvoir passer à autre chose, et on pourra faire le prochain tournoi normalement. » Et voilà, la situation est toujours la même. Je reste prudent. En 2022, soit on pourra faire un tournoi normal, soit on n’existera plus, c’est à peu près ça. Le tennis international pourra-t-il continuer à tenir comme ça ? Ça n’a pas de sens. On ne peut pas tous perdre de l’argent toutes les semaines. On est en difficulté, réellement. Quand une entreprise perd de l’argent, elle a des réserves, elle peut continuer l’année d’après, et les réserves vont finir par s’épuiser. Et là, on ne peut plus avancer. Ce n’est pas propre au tennis.