Entretien exclusif avec Marian Vajda, co-entraîneur de Djokovic : “Sa domination est si grande que beaucoup sont jaloux de voir une telle perfection”
Marian Vajda, co-entraîneur de Novak Djokovic avec Goran Ivanisevic, s’est longuement confié à Sasa Ozmo pour Tennis Majors. Le 6e titre à Wimbledon la quête du Grand Chelem à l’US Open, la reconnaissance des médias et des fans de tennis : le technicien slovaque a évoqué tous les sujets.
Marian Vajda fait partie intégrante de la vie de Novak Djokovic depuis quinze ans. Ils ont débuté leur collaboration avant Roland-Garros 2006 et, en dehors d’une brève pause, ils sont restés ensemble depuis.
Vajda a participé à chacun des vingt titres du Grand Chelem de Djokovic, record de Roger Federer et Rafael Nadal égalé. Pour la dernière édition de Wimbledon, il n’était pas sur site, puisque l’autre co-entraîneur Goran Ivanisevic y était. Mais Vajda était tout aussi démonstratif dans son salon qu’il ne l’aurait été sur le Centre Court du All England Club.
Atteindre un total aussi symbolique est une excellente raison pour échanger avec l’un des entraîneurs les plus titrés de l’histoire du tennis. Depuis chez lui en Slovaquie, Vajda a évoqué pour Tennis Majors le sixième titre à Wimbledon de Djokovic, sa coopération avec Ivanisevic, le service en progrès du numéro 1 mondial et le traitement médiatique dont il fait l’objet.
Vajda est aussi revenu sur les moments les plus compliqués de la carrière de Djokovic et s’est projeté sur la pression qui sera la sienne à l’US Open, dans sa quête de Grand Chelem.
Tennis Majors : Pour commencer, j'aimerais recueillir vos impression sur le titre de Novak à Wimbledon. Il a semble à nombreux observateurs qu'il avait joué peut-être à 80% de ses capacités, et a tout de même gagné. Etes-vous d'accord ?
Marian Vajda : J’ai la sensation que personne n’a poussé Novak dans ses derniers retranchements. Pour la finale, j’ai dit à ma famille que ça se terminerait en quatre sets et qu’il y aurait un jeu décisif, mon pronostic était le bon. Novak joue intelligemment sur gazon et il a plu d’expérience. Il excelle depuis des années sur gazon, ce qui est un vrai avantage contre Berrettini. C’était vraiment difficile pour Matteo : pour sa première finale de Grand Chelem, il affrontait Novak à Wimbledon.
Tennis Majors : Quand je parle avec Goran (Ivanisevic), il dit toujours à quel point il aime travailler avec vous. Comment communiquez-vous pendant les tournois du Grand Chelem ?
Marian Vajda : Tout d’abord, en tant qu’équipe, nous partageons tout : la préparation pour les matchs, l’analyse, mais pas seulement, nous partageons la passion, des choses privées avec nos familles. Novak est un gars incroyable, parce qu’il amène toujours une énergie positive. C’est un bonheur de faire partie de son équipe.
Pour les Grands Chelems, Goran et moi communiquons tous les jours, par messages vocaux ou écrits. La veille du match, le jour du match, tous les jours. Le coach qui est présent sur le moment est celui qui donne la dernière information à Novak : Goran à Wimbledon, moi à Roland-Garros. C’est logique, parce que quand tu es là, tu sais tout ce qu’il se passe sur le tournoi et autour.
Vajda : “Parfois, les médias sont partiaux et ne voient pas la complexité de la personnalité de Novak”
Tennis Majors : L'amélioration de Novak au service ces dernières années fait beaucoup parler. Quel a été la clé pour y parvenir, qu'avez-vous changé ?
Marian Vajda : Les remarques de Goran étaient précieuses, c’est le chef dans cette partie de la cuisine. Le service n’est pas encore au niveau de celui de Goran (sourire), mais ses instructions étaient les mêmes que ce qu’il avait l’habitude de faire. Le lancer est plus bas et la mécanique est différente, Novak est maintenant plus rapide pour enchaîner sur son service. Il n’attend pas le bon moment, donc son service est plus fluide et énergique avant de frapper la balle.
Ça augmente la vitesse de la balle et ça lui permet de la taper avec plus de précision. Vous pouvez observer que Novak sert plus d’aces, et dans l’ensemble, son service est bien plus maîtrisé. La confiance est plus élevée et Novak est toujours tellement bon pour ajouter des choses. Ce que Goran est dit est simple et très efficace pour Novak.
Il a atteint un tel niveau que les fans se disent que son jeu est un miracle, mais ça n’en est pas un.
Marian Vajda
Tennis Majors : Quand nous avions parlé il y a trois ans à Paris, vous m'aviez dit avoir le sentiment que certains médias ne traitaient pas Novak comme le champion qu'il est. Avez-vous la sensation qu'il bénéficie désormais de la reconnaissance qu'il mérite ?
Marian Vajda : C’est très compliqué. Les médias écrivent ce qu’ils veulent, peut-être avec une idée derrière la tête ou en voulant influencer quelque chose. Parfois, ils sont partiaux et ne voient pas la complexité de la personnalité de Novak. Il est fantastique, c’est une personne très agréable et positive, ce qui apporte beaucoup d’énergie positive aux spectateurs.
Parfois, les gens soutiennent l’outsider, parce que Novak est tellement dominant et personne ne veut le voit gagner. Sa domination est si grande que beaucoup sont jaloux de voir une telle perfection, donc il se demandent : “Comment est-ce possible ? Comment peut-il gagner autant ?” Ils n’y croient pas.
Novak est un magnifique exemple pour la jeune génération d’athlètes et pour les gens en général. Il a atteint un tel niveau que les fans se disent que son jeu est un miracle, mais ça n’en est pas un. Il y a beaucoup de travail et d’efforts derrière.
D’une certaine manière, c’est normal dans le sport que les gens veuillent voir quelqu’un d’autre à la première place. J’espère que ça n’a à voir qu’avec le côté sportif, mais j’aimerais voir une approche plus équilibrée quand il est question de Novak. Les médias promeuvent Nadal et Federer, la jeune génération aussi. Des choses agréables sont écrites aussi au sujet de Novak, mais de mon point de vue, il mérite un traitement plus positif. C’est un vrai champion.
Vajda : “Novak adore jouer à New York, mais il est parfois difficile d’y rester calme”
Tennis Majors : Projetons-nous à New York. Novak a toujours très bien joué là-bas, mais il a gagné le titre "seulement" trois fois. Pourquoi ?
Marian Vajda : C’est un ensemble. Les résultats moyens ont été très bons à l’US Open, mais oui, il n’a gagné “que” trois fois. C’est très exigeant de gagner à New York. Parfois son énergie baissait en finale. New York est une ville très animée et remplie d’émotions, ça peut vous user.
Novak adore jouer à New York, mais il est parfois difficile de rester calme et de maîtriser vos émotions pendant les quatorze jour. Des matchs de jour et de nuit, l’humidité, la ville. Aussi, c’est le dernier Grand Chelem de la saison, vous avez dépensé beaucoup d’énergie avant d’en être là.
Tennis Majors : Novak vient d'attendre les 20 titres du Grand Chelem, ce qui est un accomplissement énorme. Il y a eu beaucoup de hauts, mais aussi des bas pour en arriver là. Dans la foulée de sa grande saison 2011, Novak a peiné les saisons suivantes pour se retrouver avec un bilan négatif en finale de Grand Chelem (6-7), avant d'inverser la dynamique en battant Federer à Wimbledon en 2014.
Marian Vajda : Ça faisait longtemps que j’étais avec lui. J’étais fatigué, un peu usé, donc il était à la recherche d’une étincelle. Novak recherchait un coach avec lequel il pourrait gagner d’autres grands titres, en collaboration avec moi.
Boris (Becker) est arrivé avec son expérience de grand champion, nous avons bien travaillé ensemble et Boris a apporté un souffle nouveau à l’équipe. Cette énergie différente a porté Novak, il a remporté six titres du Grand Chelem supplémentaires et a complété son Grand Chelem en carrière en 2016. Gagner Roland-Garros cette année-là, c’était incroyable.
Tennis Majors : Après avoir gagné ce titre, d'autres soucis se sont présentés : une blessure, un changement complet d'équipe, beaucoup de gens estimaient qu'il ne reviendrait plus à son niveau. Pensiez-vous qu'il pourrait revenir ?
Marian Vajda : C’était une période très difficile pour Novak et pour nous tous. La blessure était sérieuse, l’opération, il a quitté le Top 20, etc. (Djokovic était N°22 en juin 2018, ndlr). Il voulait une nouvelle dynamique, il a commencé à travailler avec (Andre) Agassi et (Radek) Stepanek. L’alchimie n’était visiblement pas si bonne, mais les circonstances étaient dures aussi, parce qu’il y avait cette blessure. Ce n’était pas le bon moment, malheureusement pour eux.
Il m’a rappelé, comme Miljan (Amanovic, kiné), et Gebhard Gritsch (préparateur physique). Nous avons démarré avec de la fraîcheur et nous avons travaillé extrêmement dur. Et ensuite est venu le titre à Wimbledon en 2018, avec cette demi-finale incroyable contre Rafa, suivi de l’US Open la même année.
De ce point de vue, cette période était probablement la plus grande leçon de sa vie. Il est revenu au top en partant d’une position très compliquée, seuls les grands champions en sont capables.
Tennis Majors : Après la victoire de Novak à Wimbledon, Ivanisevic a dit "nous sommes des Balkans, tout est possible". Comment décririez-vous cette mentalité ?
Marian Vajda : D’abord, je dois dire que Goran était un excellent choix, comme co-entraîneur. Nous avons la même mentalité, tout s’est mis en place dès le premier jour. Goran est très direct dans sa communication, c’est ce que j’aime le plus chez lui. Il dit toujours les choses telles qu’elles sont. Goran s’intègre très bien et Novak était satisfait du staff.
En ce qui concerne cet état d’esprit, nous n’oublions jamais d’où nous venons et nous apprécions chaque moment de nos vies qui nous ont menés à ce point. Nous sommes courageux, et le tennis est un combat entre deux personnes. Les personnes des Balkans sont très doués en sport et ils jouent avec leur coeur. Regardez en basketball, en volleyball, au football. Plus simplement, ils aiment se confronter aux autres et ont un gros coeur quand le moment est important.
Aussi il y a une fierté particulière quand il s’agit des pays des Balkans, vous pouvez vous en rendre compte dans la phrase de Goran.
Parfois Novak se met trop de pression, mais s’il ne le faisait pas, il ne serait pas le champion qu’il est.
Marian Vajda
Tennis Majors : Ivanisevic a évoqué le surplus de pression que représente travailler avec Novak. Comment décririez-vous la vie sur un Grand Chelem par exemple ?
Marian Vajda : Nous adaptons les entraînements en fonction du prochain adversaire, mais c’est plus sur l’aspect mental, pour être prêt. Vous ne voulez pas perdre, d’où la pression, mais s’il y a bien quelqu’un qui peut la gérer, c’est Novak. C’est marrant, la relation à la pression. Parfois Novak se met trop de pression, mais s’il ne le faisait pas, il ne serait pas le champion qu’il est.
Quand la situation est ainsi, vous ne pouvez pas lui dire “tais-toi” ou “sois sympa” ou “calme-toi”, parce que l’énergie qu’il consume au fond de lui, elle est positive. D’une certaine façon, la pression est une bonne chose, parce qu’elle fait ressortir le meilleur de vous.
Tennis Majors : A ce stade de la carrière de Novak, où il a tout vécu, mentalement, physiquement et tennistiquement, quel est votre rôle principal comme entraîneur ?
Marian Vajda : De le maintenir sur la bonne voie, de garder la même routine. Aussi d’apporter des vibrations positives et une bonne énergie. La préparation est très importante, il doit rester prêt. Bien sûr, mettre en place un bon programme d’entraînement, mais aussi le soutenir et lui donner confiance. Nous croyons en ce qu’il fait et ce que nous faisons. Novak est en excellente forme, j’ai la sensation qu’il n’a aucune limite.
Tennis Majors : Nous avons mentionné le mot "pression" quelques fois. A New York cette année, la pression sera monstrueuse sur les épaules de Novak. Que doit il faire pour la gérer au mieux ?
Marian Vajda : Il doit éviter les médias, parce que les médias créent la pression. Pas “éviter”, mais les gérer de la bonne façon, et Novak sait y faire. Il ne prendre pas des questions négatives personnellement, par exemple. Il a fait du chemin pour bien vivre cette relation. Sur le terrain, vous y allez et montrez votre meilleur visage. Le terrain, c’est le salon de Novak.
Tennis Majors : Je sais que la question vous est souvent posée, mais pour combien de temps imaginez-vous Novak maintenir ce niveau ?
Marian Vajda : Nous essayons de vivre le moment présent, parce que trop se projeter peut être contre-productif. Je dirais deux, trois ou quatre ans, qui sait. Tout ce que je sais est qu’il n’est pas près de s’arrêter. Je ne veux pas lui fixer de limites, juste le laisser jouer une autre année, puis une autre, et puis une autre.