Tsitsipas, le grand entretien : “Je n’ai aucune raison de me blinder, je suis authentique”

Stefanos Tsitsipas, vainqueur dimanche de son premier Masters 1000 en carrière, avait accordé un grand entretien au magazine grec DownTown début mars. Tennis Majors vous propose de lire en français cette interview passionnante, dans laquelle le 5e joueur mondial évoque ses aspirations à être un modèle pour le tennis dans son pays, son authenticité et son envie d’être un soutien dans la carrière de ses frères et soeurs.

Stefanos Tsitsipas Antoine Couvercelle/Panoramic

Régulier dans les grands tournois ces derniers mois (demi-finales à Roland-Garros et à l’Open d’Australie), Stefanos Tsitsipas se rapproche de son but ultime : remporter un Grand Chelem. Le Grec a passé une étape cruciale sur le chemin pour accomplir cet objectif, en accrochant dimanche un premier Masters 1000 à son palmarès, en battant Andrey Rublev en finale à Monte-Carlo. Début mars, il avait donné une longue interview à Vicky Georgatou, pour le magazine grec DownTown. Il y évoquait ses espoirs, ses doutes et ses rêves, sur le terrain comme en dehors. En voici la traduction, pour Tennis Majors.

Stefanos Tsitsipas, n’étiez-vous pas un peu injuste avec vous-même après votre défaite en demi-finale de l’Open d’Australie contre Daniil Medvedev, quand vous avez estime que vous n’étiez pas prêt à gagner un Grand Chelem ? Que vous manque-t-il ?

Du travail ! Je dois bâtir mon jeu pour être plus complet, sans les faiblesses que Medvedev a exposées sur le terrain, démontrant qu’il était supérieur durant tout le match. Je dois affronter ces joueurs pour en arriver à gagner un Grand Chelem. Je n’étais pas prêt ce jour-là, je n’étais pas capable de lui résister. Je sais que j’affronterai souvent Medvedev à l’avenir et c’est certain qu’on se retrouvera dans des matchs importants ou en Grand Chelem. Dès lors il faut que je progresse, pour que je puisse défier des joueurs de ce niveau. Quand j’affronte des joueurs comme Daniil, qui est si complet, mon propre niveau s’élève.

Vous projetez-vous avec le trophée quand vous allez loin dans un grand tournoi ? Ou préférez-vous ne pas trop vous emballer ?

Quand vous arrivez à ce stade de la compétition, vous avez toujours ça en tête, c’est difficile de bloquer cette idée. Parce que c’est le rêve d’une vie et vous réaliser d’un coup que vous êtes proche d’en faire une réalité; Pour moi, gagner l’Open d’Australie serait le summum, surtout parce que mon grand-père (Sergei Salnikov, un footballeur russe, ndlr) a gagné une médaille olympique à Melbourne en 1956, dans le stade qui est à 50 mètres de Melbourne Park. Malheureusement je ne l’ai jamais rencontré, il est mort jeune. J’aurais aimé avoir la chance de lui parler. Tous les matchs que je joue ici lui sont dédiés et ça me pousse à vouloir en montrer encore plus, à bien jouer à Melbourne.

Quand vous êtes dans les derniers tours d’un Grand Chelem ou d’un tournoi majeur, combien de temps mettez-vous à digérer une défaite ?

Certains défaites blessent davantage que les autres. Après avoir autant travaillé, en particulier en Grand Chelem, où il faut mettre plus d’énergie et de concentration, une défaite est plus amère. Il y a des tournois qui ont plus d’importance, qui se distinguent des autres. Ils valent plus de points, offrent un plus grand prize-money, c’est le top niveau. On n’a pas tant d’occasions d’en jouer, il n’y en a que quatre dans l’année.

Après l’Open d’Australie, combien de temps cela a pris pour que vous vous sentiez mieux ?

Je suis toujours un peu en colère, pour être honnête. Je n’ai pas encore oublié, c’est toujours dans un coin de ma tête. Le plus important est d’avancer et de le voir comme un moment positif dans ma carrière, dans ma progression au quotidien pour accomplir de grandes choses. Je me suis fixé des objectifs importants et je sais que j’aurai l’opportunité de faire mieux la prochaine fois. Tout ce que je dois faire, c’est aller sur le terrain tous les jours et m’entraîner, pour trouver des axes de progression et affronter mes adversaires sur un pied d’égalité, pour que ce soit moins difficile à l’avenir.

Stefanos Tsitsipas, Australian Open, 2021

Retrouver votre mère et votre famille a toutefois dû vous aider à passer outre cette défaite…

Absolument. Être avec eux me fait beaucoup de bien, ça me donne une perspective différente sur la vie. Je me sens aimé et protégé quand je suis auprès d’eux. Le plus important, c’est que nous passons du bon temps, on partage des moments magnifiques. Nous sommes très proches. Quand je suis avec eux, j’oublie tout ce qu’il s’est passé, ça me sort de l’esprit et je vis l’instant présent, ce qui ne m’arrive pas si souvent. Je suis en paix avec eux !

Tous vos frères et soeurs jouent au tennis, non ?

Oui, il y a même une petite rivalité qui se crée, parce que Pavlos commence à très bien jouer et je ne sais pas si je jouerai avec lui ou Petros aux Jeux Olympiques. J’aimerais aussi jouer le double mixte avec Elisavet, mais c’est un peu tôt pour elle. Rendez-vous aux prochains !

tefanos Tsitsipas, Petros Tsitsipas

Pensez-vous qu’être comparés à vous sera difficile pour eux ?

J’en ai parlé avec eux et je leur ai expliqué que chacun avait sa propre destinée. Tout le monde suit son chemin, avec sa vision des choses. Certainement que certains choses que j’ai accompli influeront sur la façon dont les gens les percevront. Mais je leur ai dit que ce que je fais sur le circuit ne doit pas influencer, qu’ils ont chacun leur chemin et qu’ils auront l’occasion de montrer au monde que c’est une réussite familiale ! On peut tous faire la même chose, se soutenir. Je suis très heureux quand je les vois progresser. Je veux être proche d’eux pour qu’ils aillent au bout de leurs possibilités, pour les accompagner dans leur réussite et dans tout ce qu’ils feront pendant leur parcours. J’espère que mon soutien leur sera utile et que tout ce que j’accomplis renforce leur amour pour ce sport.

Votre père est aussi votre entraîneur, votre mère voyage souvent avec vous. Vous avez néanmoins dit par le passé que ce n’est pas toujours facile d’avoir ses parents à ses côtés. Pouvez-vous en dire plus ?

Parfois je veux être seul, à l’écart des autres, et ne pas les avoir autour de moi tout le temps ! Je sais qu’ils m’aiment et leur soutien est magnifique. Je suis vraiment heureux que nous soyons si proches et ils ont jouent un rôle majeur dans ma vie, évidemment. C’est juste que ça peut devenir lassant. C’est plus qu’une question d’habitude. Quand tu suis toujours la même routine et quand t’entends les mêmes remarques, ça peut être un peu monotone. Le changement rend les choses plus spontanées.

Apostolos and Stefanos Tsitsipas at UTS

Vous êtes à la Mouratoglou Academy, près de Nice, avec toute votre famille. Quand vous êtes seul à Monte-Carlo, comment occupez-vous votre temps ?

En ce moment, je ne peux pas faire grand-chose, je reste à la maison. J’ai mes hobbies. Actuellement, je monte un vlog qui sortira demain ou après-demain (à l’époque de l’entretien, ndlr). Et j’ai une nouvelle passion pour la musique, depuis la quarantaine en Australie. En général, je suis indépendant. Je n’ai aucun problème à être seul, je trouve des idées pour faire bon usage de mon temps libre hors du terrain, pour créer, pour apporter quelque chose qui peut avoir un impact positif sur la vie des gens.

Vous tenez-vous informé de ce qu’il se passe en Grèce ?

Je me suis mis à regarder davantage les infos ces derniers temps. Par le passé, je regrettais de ne pas réellement savoir ce qu’il se passait dans mon pays. Mais maintenant je suis les infos. Je ne regardais rien avant, pas même l’actualité du tennis, et je n’allais jamais sur les sites de tennis pendant les tournois. Je voulais les éviter parce que j’avais entendu des joueurs sur qui ça avait eu un impact avant un match et je ne voulais pas que ça m’arrive. Plutôt que de voir quelque chose qui pourrait m’affecter, je préfère éviter tout ça tant que je peux. Je regarde généralement les infos en anglais, mais je vais aussi sur des sites grecs, pour voir ce qu’il se passe dans mon pays, comment les choses évoluent.

Avez-vous eu vent des accusations dans le monde du sport, mais aussi dans le domaine des arts et de la culture en Grèce (depuis janvier 2021, des dirigeants sportifs, des acteurs et des réalisateurs ont fait l’objet d’accusations d’agressions verbales, physiques et sexuelles, ndlr) ?

J’ai vu ça, surtout sur les réseaux sociaux, beaucoup de gens suivent le mouvement et font entendre leur voix. Toutes les victimes et les survivants doivent partager leur histoire, ce qui leur est arrivé et ce qui les a touchés comme êtres humains. Je les comprends et je les soutiens pleinement.

Toujours au sujet de la Grèce, avez-vous réalisé que vous étiez l’un des seuls joueurs bien classés à parler de son pays, après une grande victoire ou un beau parcours ?

J’emmène la Grèce partout avec moi ! J’ai une relation particulière avec mon pays, j’en suis un ambassadeur très loyal et je ressens une énorme fierté à essayer de bâtir un plus bel avenir avec mon tennis. C’est ainsi que je le vois. Avec mes résultats et mes performances, j’espère donner le déclic et l’inspiration aux jeunes pour se mettre au tennis. Et pas seulement le tennis, mais aussi se mettre au sport en général, parce que le sport, c’est merveilleux, et ça peut aider à des lendemains meilleurs pour le pays.

 

 
 
 
 
 
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En parlant d’inspiration, le tennis va de pair avec vous en Grèce, vous êtes un modèle pour les enfants. Ils idolâtraient Nadal ou Federer, maintenant ils disent qu’ils veulent être Tsitsipas. Est-ce une responsabilité agréable pour vous ?

C’est quelque chose de beau, que j’ai réussi à créer, avec l’aide de mes parents. Je me souviens qu’enfant, j’avais des idoles, des joueurs de tennis auxquels je voulais ressembler et j’étais triste qu’un pays comme la Grèce n’ait pas de grand joueur. Nous avions Konstantinos Economidis, que je soutenais quand j’étais jeune, mais nous n’avions pas de jouer dans le Top 100 ou dans le Top 50, quelqu’un qui pouvait faire des bons résultats en Grand Chelem et promouvoir le tennis dans le pays. Il y avait, bien sûr, Marcos Baghdatis, que je regardais et que j’aimais beaucoup. C’était mon joueur préféré, après (Roger) Federer, bien entendu, c’était mon idole et je voulais lui ressembler. Je voulais tellement qu’il se passe quelque chose en Grèce, pour qu’il y ait un bon joueur de tennis un jour et ça m’a probablement rendu plus fort. Je voulais prouver qu’on pouvait aussi jouer au tennis en Grèce. Donc j’y suis allé, j’ai réussi à obtenir de bons résultats et élever le niveau du tennis en Grèce. C’était un vrai rêve pour moi et une nécessité pour que le tennis soit davantage mis en lumière.

Qu’est-ce qui te manque le plus au sujet de la Grèce ?

La passion et la fierté du peuple grec. Pour moi, il n’y a aucun pays au monde avec autant d’histoire. Les gens y sont complètement différents, nous pouvons vivre tous les jours de passion et d’amour. Peut-être que nous n’en avons pas encore conscience, mais nous avons beaucoup de pouvoir et nous pouvons faire des choses incroyables.

L’année dernière, quand vous aviez plus de temps en raison de la pandémie, je vous ai vu en vacances à Mykonos avec vos amis et je me suis dit que c’était la première fois que vous vous amusiez vraiment comme un garçon de votre âge. Vous faites ce que vous aimez, mais regrettez-vous parfois de ne pas pouvoir mener une vie “normale” ?

Non, pas du tout. J’aimerais parfois avoir plus de temps pour créer des choses en dehors du terrain. Pour suivre des cours, pour apprendre de nouvelles choses, pour développer une nouvelle compétence. Pour devenir plus complet comme personne. Mais au-delà de ça, le tennis m’a amené là où je suis. Ça m’a offert des opportunités, pas seulement à moi, mais aussi à ma famille. Nous avons déménagé et on vit maintenant dans la Sud de la France, ce qui a permis à mes jeunes frères et soeurs d’avoir la chance de commencer à jouer au tennis, dans une structure globale qui les soutient. Nous avons beaucoup galéré financièrement il y a quelques années et le sport m’a aidé de manière incommensurable dans ce domaine. Nous sommes à l’aise désormais et nous n’avons plus à nous soucier de cela. En plus, le tennis a grandi dans le pays et ce n’est pas seulement grâce à moi, mais aussi à cause de Maria Sakkari, qui a accompli de grandes choses et est une personne fantastique. Elle donne beaucoup au sport grec, en tant que joueuse et en tant que femme.

Maria Sakkari & Stefanos Tsitsipas, Hopman Cup, 2019

Comment gérez-vous la notoriété ? Vous dérange-t-elle parfois ?

Non, je n’ai pas de problème avec ça. Si vous regardez le côté positif, vous votez que les gens vous soutiennent et vous respectent pour ce que vous avez réussi. C’est sympa de recevoir de l’amour pour quelque chose que vous avez créé de rien.

Novak Djokovic a expliqué récemment qu’il s’était blindé au fil des années pour pouvoir accepter la critique. Avec les commentaires à votre sujet récemment, est-ce votre cas aussi ou envisagez-vous de vous censurer à l’avenir ?

Je n’ai aucune raison de me blinder. Je suis authentique, je pense que les gens le voient bien. Je ne cherche pas à faire semblant, à faire des choses qui ne me ressemblent pas, qui ne sont pas dans ma nature. Il y a des joueurs qui ont été critiqués pour ça et ce n’est pas injuste, surtout quand ça vient d’une grande partie du public. Je pense que les gens veulent de l’honnêteté…

Vous continuez donc à être vous-même, sans penser à dire quelque chose simplement pour ne pas recevoir de critiques ?

Merci d’en parler, parce que j’y pensais récemment. Pour moi, la diplomatie devient ridicule à un moment donné. Répondre de manière détournée, juste pour paraître parfait aux yeux des autres, ça ne m’intéresse pas. Si je dois dire quelque chose sur lequel j’ai un avis tranché, je le ferai sans me restreindre. Ça m’est arrivé récemment sur Twitter et je ne le regrette pas. Je pense qu’exprimer une idée ou une opinion, c’est toujours bien, même si ça peut rendre les choses difficiles et créer du conflit avec les autres. Je n’y fais pas du tout attention, j’ai déjà dit que les réactions des gens me faisaient rire, parce que mes intentions sont bonnes et je ne cherche pas contrarier quiconque. Pour moi, être authentique est très important. Beaucoup de sportifs ces dernières années ont bien trop manié la diplomatie et ça a commencé à devenir ennuyeux. Ce sont toujours les mêmes réponses, les mêmes titres. Il faut que cela reste intéressant, il doit y avoir des moments de vérité.

Pouvez-vous nous dire quelques mots à propos de Theodora (Petalas) ? Comment vous êtes-vous rencontrés ?

On se connait depuis trois ans, à travers des amis de la famille. On s’est rencontrés pour la première fois à New York et je l’ai tout de suite beaucoup aimé, mais j’étais timide et je ne lui ai pas fait part de mes sentiments. Mais il y a deux ans, encore à New York, je lui ai donné un rendez-vous. Je lui ai proposé d’aller à Brooklyn pour prendre des photos et je pense qu’elle a apprécié. J’ai fait quelques clichés, et ce sont encore ceux que je préfère à ce jour. Elle me soutient énormément, elle m’a apporté un vrai équilibre et j’ai des sentiments forts pour elle. Je pense qu’elle ressent la même chose. Notre relation est très spéciale. Le fait que nous nous comprenions et nous ayons tant de choses en commun, au niveau de la personnalité, aide beaucoup.

La distance est-elle un problème ?

C’est un peu difficile pour nous, parce qu’elle vit à Londres, mais heureusement, ça n’a pas eu de répercussions ! Elle vient sur les tournois pour m’encourager et pour que nous puissions passer du temps ensemble. C’est ma meilleure amie ! On parle tous les jours, depuis deux ou trois ans. Je ne pense pas qu’un seul jour passe sans que nous parlions et on s’entend super bien. Elle joue aussi au tennis, et quand je joue avec elle, c’est mon moment préféré sur le terrain ! Ça me donne un grand sourire.

Quels sont les rêves pour le futur ? Et pas seulement l’évidence, de vouloir devenir N.1 mondial ou gagner des titres du Grand Chelem. Vous imaginez-vous, par exemple, jouer jusqu’à 40 ans ?

Personne ne sait ce qu’il adviendra, mais j’aimerais avoir une carrière comme Roger Federer. Je ne parle pas de ce qu’il a accompli, mais de sa longévité. Mon objectif, c’est de me créer les meilleurs souvenirs possibles, sur le court et en dehors. Mon espoir, c’est de me remémorer ces moments, et qu’ils m’apportent de la joie, que j’aurai le sentiment d’avoir donné mon meilleur, d’avoir pu chaque jour apprendre quelque chose de nouveau et grandir comme sportif.

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