INTERVIEW – Vasek Pospisil : Pourquoi le moment était venu de former la PTPA
En compagnie du numéro 1 mondial Novak Djokovic, Vasek Pospisil est à l’origine de la création de la PTPA, une nouvelle association visant à défendre les intérêts des joueurs de tennis professionnels.
La PTPA (Association des joueurs de tennis professionnels, Professional Tennis Players Association en VO) s’est constituée à la veille de l’US Open. Interrogé par Tennis Majors, Vasek Pospisil nous explique comment l’idée a émergé, quels sont les effets pour les joueurs, en confirmant que les joueuses féminines y seront intégrées. ll souhaiterait également que Roger Federer et Rafael Nadal se joignent au mouvement.
Quelles sont les principales raisons qui ont motivé le lancement de la PTPA ?
La raison principale est un combat permanent que les joueurs mènent depuis 30 ans et un constat clair : nous ne sommes pas assez représentés. Nous ne sommes pas unis, nous ne pouvons pas influencer les décisions qui affectent nos carrières et nos vies. Le problème vient de la structure de l’ATP et les acteurs du tennis réclament autre chose dont ils ont besoin depuis plus de 30 ans. D’autres sports l’ont, mais pas le tennis. J’ai eu l’impression que c’était vraiment le bon moment, qu’il fallait agir maintenant. L’année dernière, lorsque j’ai lancé ce mouvement avec Norton Rose, puis Novak Djokovic et d’autres joueuses, nous avions réuni plus de 70 des 100 meilleures joueuses et près de 80 des 100 meilleurs joueurs. C’était une approche un peu différente, nous nous dirigions vers les Grands Chelems et nous voulions négocier un partage des revenus plus équitable en les partageant avec le circuit Challenger. La deuxième phase consistait toujours à créer une association de joueurs, c’était toujours l’objectif. Cette fois-ci, nous avons directement essayé d’organiser les joueurs. Ce n’est pas un mouvement combatif.
Il s'agit donc de la structure unique de l'ATP (trois représentants de tournois, trois représentants de joueurs) que vous ne pouvez pas changer ?
Absolument. La plus grande rumeur qui circule est que la création de cette structure serait préjudiciable à notre sport et à la stratégie que l’ATP a mise en place. C’est complètement faux. J’aime beaucoup Massimo (Calvelli, le directeur général de l’ATP) et Andrea (Gaudenzi, le président), je pense que ce sont vraiment des gars géniaux, des hommes de principes, compétents, intelligents. Il est certain que certaines choses auraient pu être gérées différemment, mais c’est une pandémie. Pour être honnête, je ne les ai jamais blâmés pour ce qui s’est passé au cours des cinq derniers mois. Cela n’a rien à voir avec la gestion actuelle.
Nous essayons simplement de nous organiser, entre joueurs, ce qui sera toujours nécessaire. Même s’ils réalisent leurs idées, les joueurs auront toujours besoin d’une représentation plus importante et d’être un peu plus entendus. Pour l’instant, nous nous organisons de l’intérieur et nous leur donnerons le temps pour mettre en œuvre leur vision de la situation. Cet argument est donc totalement hors de propos et non factuel, il ne devrait pas être utilisé pour s’opposer à notre nouvelle association. Nous aimons la confrontation donc nous leur dirons simplement : « Pourquoi ne pas commencer à essayer de s’organiser, parce que si ce n’est pas un succès, au moins nous aurons avancé du côté des joueurs ».
Quand vous dites représentation, vous parlez de représentation juridique, pour vous défendre contre des choses que vous n'aimez pas ?
Oui. Je parle d’être traité comme des partenaires commerciaux. En ce moment, ce n’est pas le cas. Nous devrions pouvoir débattre avec les joueurs et les tournois, où les deux parties ont l’impression d’avoir fait des compromis et où tout le monde s’accorde un minimum. C’est comme ça qu’il faut procéder, parce que nous apportons évidemment une énorme valeur aux tournois. Ce sont eux qui mènent le jeu et c’est nous qui jouons. Ce n’est pas une union, mais être soudés permet au moins d’avoir des discussions d’affaires en tant que partenaires et pas seulement comme de simples joueurs à qui l’on dit : « Ok, faites comme on vous dit, ce sont nos décisions, que vous les aimiez ou non. C’est l’essentiel. » Non, ce que nous voulons, c’est construire une véritable équipe professionnelle d’hommes d’affaires, afin que nous puissions avoir accès aux chiffres, aux finances de ces événements, ce que nous n’avons pas. Nous ne savons rien, nous sommes dans le noir. Il y a aussi d’autres questions, le calendrier des joueurs, la pension, les assurances, pleins de sujets qui placent le tennis en dessous d’autres sports. Il y a des tonnes de choses qui doivent être revues et discutées et c’est pour cela que la PTPA a été crée.
Lorsque nous avions discuté à Wimbledon l'année dernière, vous aviez mentionné que l'ATP allait vous permettre de voir les détails financiers des tournois. Cela s’est confirmé ?
No question found!
Oui, à l’époque, ils disaient que les Masters 1000 avaient accepté de montrer leurs comptes. Mais ils ne l’ont finalement pas fait.
Combien de personnes ont adhéré à la PTPA ? Novak Djokovic a déclaré dans la presse qu'il y en avait environ 150…
Je ne savais pas qu’il avait déjà communiqué sur le nombre, c’est bon à savoir. Nous en sommes à 200, mais le nombre va encore augmenter au moment où les joueuses féminines vont être intégrées.
Au moment où la création de la PTPA a été communiquée, il semblait que les femmes aient été mises de côté ?
Nous ne les avons pas oubliées. Il ne fait de doute pour personne, si on se souvient du meeting que nous avons initié l’année dernière (Pospisil, avec d’autres joueurs, avait aidé à faire adopter une réforme pour protéger les intérêts des joueurs sur le circuit, y compris les femmes, ndlr), que nous respectons le tennis féminin et que nous apprécions son apport au jeu. Nous avons le même cabinet d’avocats, les mêmes leaders, il n’y avait donc aucune raison pour que nous changions soudainement d’avis. Il n’a jamais été question de ne pas les intégrer à la discussion. Nous avions déjà tout mis en place. Mais pour ce qui est de contacter les joueuses et de leur dire « OK, maintenant nous allons créer ça et obtenir les signatures », cela s’est fait assez rapidement.
Je travaillais toute la journée pour obtenir les numéros de téléphone (des joueurs ATP), et à côté je parlais à Sloane Stephens en lui confirmant que les joueuses seraient contactées juste après. J’aurais aimé avoir quelques jours de plus pour préparer cette initiative, la photo aurait été très différente. Malheureusement, la réalité a pris le dessus et c’était malgré tout un bon moment pour avancer car tout le monde, côté joueurs, était là avant le début de l’US Open. Une fois le tournoi parti, ce n’était pas possible de s’y remettre. Ceux qui perdent rentrent chez eux. J’aurais peut-être aimé 48 heures de plus pour faire avancer les choses. Mais je suis presque sûr que dans sept jours, vous entendrez une histoire très différente.
Avez-vous discuté de tout ça avec l'ATP ?
J’ai parlé à Massimo quand la nouvelle est sortie. J’ai une très bonne relation avec lui, j’espère qu’elle est toujours bonne, je les aime beaucoup (à l’ATP). J’ai eu une discussion avec eux. Ils sont évidemment super déçus, j’ai rassuré Massimo sur nos intentions. Mais il y a beaucoup de points d’interrogation, d’incertitude, et cela les met mal à l’aise parce qu’ils essaient de faire leur travail et de le faire bien. Je comprends cette déception, surtout pour leur réputation. On ne veut surtout pas leur créer des problèmes. Pour l’instant, ils peuvent le voir ainsi. Mais je pense que dans quelques mois, ils se rendront compte de notre réelle intention.
Vous ne leur parlez donc plus de façon récurrente ?
Non, pas en ce moment. J’ai eu cette discussion d’une heure avec Massimo quand la PTPA s’est lancée mais, depuis, nous n’avons pas discuté. Je pense que ça arrivera Roland-Garros, une fois que nous serons mieux structurés et organisés de l’intérieur. Ce serait un moment plus pertinent pour reparler de tout ça.
Les inscriptions à la PTPA, est-ce une promesse de faire partie de l'association ?
Ce n’était pas un contrat, c’était en fait une promesse de soutien, qui nous aiderait à aller de l’avant dans la construction de l’association. Le document contenait les grandes lignes de la manière dont nous voulions structurer l’association. Ensuite, les joueurs et joueuses ont essentiellement lu et signé le document, en s’engageant à soutenir l’association s’il était créée. Cela nous a permis d’avoir une idée de l’ampleur du soutien afin d’éviter le supplice de commencer à travailler sans savoir qui serait derrière nous. Aujourd’hui, on avance parce que le soutien est indéniable.
Comment fonctionne-t-elle ?
Il s’agira d’une structure de conseil d’administration, de sept à neuf administrateurs. Je pense que nous avons vraiment besoin de personnes en dehors du tennis. C’est l’un des problèmes que nous avons. Au sein de l’ATP, les conflits d’intérêts sont juste fous et nous voulons vraiment l’éviter. Nous allons essayer de la structurer de manière un peu plus professionnelle que ce que nous faisons actuellement au sein de l’ATP. L’objectif sera clair : pas de conflit d’intérêts, et ce sera déjà une grande chose, avec des personnes en dehors du tennis qui connaissent les affaires.
Votre principal moyen de pression est-il la possibilité de faire grève ?
L’idée est de montrer à quel point nous sommes organisés et unifiés, de sorte que les organisateurs des tournois, lorsque nous entrons en négociation et que nous amenons nos négociateurs, que le tournoi apprécie notre organisation et qu’ensuite nous trouvons un terrain d’entente. Il ne devrait jamais y avoir de raison de faire la grève. S’il y en a une, elle sera entièrement liée aux tournois, parce que cela reviendrait à essayer de bluffer, un peu comme ils le faisaient les années précédentes, lorsque nous n’avions pas la structure nécessaire pour créer une autre association. Mais une fois que nous serons dans la position où nous pourrons le faire, je ne pense pas que nous devrons en arriver là. Si nous avons en face de nous des hommes d’affaires intelligents, ce que nous sommes, je pense que nous aurons des négociations, avec des discussions construites, et nous passerons des accords. Rien de dramatique ne devrait se produire. Mais le fait que nous puissions potentiellement boycotter nous donne un quelconque moyen de pression.
L'année dernière, vous aviez évoqué un boycott en Australie. N'était-ce pas une option dans le passé parce que vous n'aviez pas de protection juridique ?
Oui, jusqu’à l’année dernière, quand j’avais ramené Norton Rose. Ils nous avaient protégés en s’occupant de tous les frais juridiques. C’est la raison pour laquelle nous étions assez proches, même si nous avons finalement décidé de ne pas le faire. Cela aurait pu être une période de boycott réussie, parce que nous avions le soutien d’un grand cabinet d’avocats et les joueurs se sentaient en sécurité. Mais finalement, nous avons choisi de ne pas le faire, nous avons choisi de se structurer et d’adopter une approche différente. Et ce n’est toujours pas le but de la PTPA. J’espère que cela n’arrivera jamais, je ne veux pas que cela arrive et honnêtement, je ne pense pas que ça se produira.
Vous avez été critiqué pour le timing de l'annonce, en pleine situation de pandémie…
Cela ne fait aucune différence. Si cela avait un impact négatif sur l’ATP et rendait leur vie plus difficile… Si nous arrivions d’un coup, en plein boycott, ce serait fou. À l’ATP, on pourrait se dire : « Ces joueurs sont fous parce que nous sommes dans une pandémie, on essaie à peine de s’organiser pour retrouver une normalité dans les évènements et ils viennent essayer de nous perturber » Ce n’est pas le cas.
Certaines personnes ont affirmé, s'il y avait une nouvelle direction, que les joueurs de double et les joueurs moins bien classés pourraient être écartés…
Ce n’est pas vrai. Nous avons réuni les 500 meilleurs joueurs de simple et je suis presque sûr que ces derniers seraient contre cette potentielle éviction. Nous voulons représenter tout le monde. Je pense que le meeting que nous avons initié l’année dernière reflète le fait que l’on voulait faire profiter tout le monde. Je voulais que les joueurs de la 100e à la 300e place mondiale gagnent aussi bien leur vie. C’est l’une des raisons principales pour laquelle nous avons également lancé ce mouvement, qui devrait se refléter immédiatement dans les premières réformes qui tomberont. C’est notre intention, nous voulons développer le sport et la richesse des joueurs de niveau inférieur, y compris les joueurs de double et ceux loin au classement ATP.
Vous n'avez pas Roger Federer et Rafael Nadal avec vous, est-ce compliqué ?
C’est difficile. Ça n’aide pas, c’est sûr. J’aurais aimé qu’ils nous parlent avant leurs déclarations, mais peut-être qu’ils ne le voulaient pas . J’ai le sentiment qu’il y a une mauvaise interprétation de ce que nous essayons de faire et j’ai l’impression que c’est le principal contre-argument contre cela. Si on supprime cette mauvaise interprétation, alors il n’y a plus aucun contre-argument qui a sens.
Allez-vous essayer de leur parler ?
J’aimerais pouvoir leur parler, s’ils le souhaitent. Je pense qu’historiquement, Nadal est un super joueur et il s’est beaucoup exprimé, donc je suis optimiste qu’au moins un de ces deux-là se joindra à nous. Mais ce n’est pas non plus le sport, ce sont seulement deux joueurs. Et c’est là qu’ils ont presque trop de mérite pour leur importance dans le monde du tennis. Que vont faire deux joueurs si 500 autres sont réunis et qu’eux ne le sont pas ? Évidemment, ils ont tellement de pouvoir qu’ils peuvent persuader certains joueurs ou en influencer d’autres grâce à leur statut de star. Mais honnêtement, le sport est bien plus important que quelques noms.
Justin Gimelstob est-il impliqué dans cette nouvelle association ?
Il n’est pas du tout impliqué. J’ai eu tellement de questions et je confirme qu’il n’est pas impliqué. Je n’ai pas eu de conversation avec lui depuis. Je suppose qu’il a quitté l’ATP. Il n’est pas du tout impliqué. Demandez à Novak (Djokovic), mais en tout cas, je ne suis pas au courant. Je n’en vois pas la raison ni la valeur. Je ne comprendrais même pas pourquoi il le serait. Donc, pour y répondre directement, non.