Entretien exclusif : Schwartzman, déjà au-delà de ses espérances
Depuis ses débuts, Diego Schwartzman, engagé pour la première fois au Masters, a lutté pendant la plus grande partie de sa vie. Mais, comme il le dit à Simon Cambers, c’est ce qui l’a mené là où il est aujourd’hui.
Le chemin qui mène au monde du tennis professionnel est parsemé de tant d’embuches qu’il est parfois étonnant que quelqu’un y arrive. Pour la plupart des familles, le coût financier et le temps qu’elles doivent consacrer à leurs enfants sont tels que l’ambition de devenir un joueur professionnel est déjà impossible à formuler. Pour d’autres, elles doivent contracter des prêts, hypothéquer leur maison ou trouver un juteux sponsor. Même dans ce cas, rien ne garantit que ce sera une réussite.
Pour Diego Schwartzman, qui a grandi à Buenos Aires, jouer au tennis était un rêve. Contraint de jouer chez lui à ses débuts, ou dans les pays sud-américains voisins, en raison du coût élevé des voyages, il était limité dans sa progression, même s’il y avait beaucoup de Futures et Challenger en Amérique du Sud. Mais cette semaine, le joueur de 28 ans change de dimension. Il fera ses débuts ce lundi lors du Masters de Londres, les ATP Nitto Finals. L’événement le plus prestigieux du circuit ATP, en dehors des quatre Grands Chelems.
“Tout désavantage a un avantage”
Pour y parvenir, il a constamment progressé. Il est passé de la 88e place mondiale en 2015 au 52e rang en 2016, à la 26e place en 2017, à la 17e place en 2018, à la 14e place l’année dernière. Pour enfin glaner une place dans le top 10 mondial cette saison.
Un succès dû en partie à son dévouement, à ses qualités athlétiques et à son esprit de battant. D’innombrables fois dans sa vie, il a certainement entendu qu’il était trop petit (en-dessous du mètre 70, il est l’un des joueurs les plus petits du circuit). Mais il a refusé de céder, convaincu qu’il était suffisamment bon pour s’imposer, et que s’il travaillait assez dur, il serait récompensé.
“Au début de l’année, je voulais me rapprocher du Top 10, et pourquoi pas l’intégrer”, a expliqué Schwartzman dans une interview à Tennis Majors. “C’était mon objectif, et je ne pensais pas à Londres. Quand le circuit a repris après plusieurs mois d’arrêt, je n’étais pas dans ma meilleure forme les trois ou quatre premières semaines, et je ne pensais toujours pas à Londres il y a deux mois. Mais après, tout allait bien et je jouais de mieux en mieux, semaine après semaine. Et après Rome, je me disais : “OK, si je fais un bon résultat à Roland-Garros, j’ai la possibilité d’être à Londres et d’être dans le top 10.” Alors, oui, nous y voilà”.
En remontant quelques mois en arrière, le chemin parcouru par Schwartzman est étonnant. À l’US Open, il s’est incliné après avoir mené deux sets à zéro et obtenu deux balles de match au premier tour contre le Britannique Cameron Norrie. Mais il est arrivé à Rome peu après et a joué l’un de ses meilleurs tournois, battant Rafael Nadal pour la première fois, à sa 11e tentative, avant de bousculer le numéro un mondial Novak Djokovic en finale. À Roland-Garros, il a fallu que Nadal l’arrête en demi-finales et, après avoir atteint la finale à Cologne, il a composté son ticket pour Londres grâce à deux victoires au Rolex Paris Masters.
Felicitaciones @dieschwartzman por la clasificación al Masters de #Londres #PequeMaestro❤️❤️@disneyplusla pic.twitter.com/Pf1EW4mvBu
— mariano zabaleta (@zabala7) November 6, 2020
Sa taille est toujours un problème et il doit se lasser de répondre à des questions à ce sujet. Mais comme le grand footballeur néerlandais Johan Cruyff aimait à le dire : “Tout désavantage a un avantage”. Ce qui lui manque en centimètres, il le compense avec ses autres atouts.
“Je pense que cela me donne beaucoup d’autres avantages : la façon dont je bouge, ma force au niveau mental, le fait d’essayer de saisir les opportunités, la façon dont je travaille chaque jour”, a-t-il déclaré. “J’ai beaucoup d’atouts différents ; peut-être que les gens qui mesurent deux mètres peuvent faire d’autres choses. Je pense que je joue un jeu différent et que j’ai une pratique différente au quotidien.”
Zabaleta et Monaco, les soutiens de Schwartzman
Prénommé en Diego en référence au légendaire footballeur argentin Diego Maradona, Schwartzman avait l’intention de devenir lui-même footballeur. Mais il est vite devenu évident que le tennis était son destin. Le football est une religion en Argentine. Lais le tennis n’est pas loin derrière et le pays a enfanté de nombreux champions au fil des ans, dont Guillermo Vilas, Gabriela Sabatini et, plus récemment, Juan Martin Del Potro.
“C’est toujours un grand sport ici”, a-t-il déclaré. “Je pense que le football est le premier. Et puis il y a beaucoup de sports, pas que le football. Je pense que le tennis, c’est l’un des plus populaires après le football. Peut-être que vous avez le rugby, le hockey féminin et quelques autres sports qui sont vraiment populaires. Mais les Argentins aiment faire du sport, ils aiment regarder le sport professionnel. Nous sommes des gens vraiment passionnés. Je pense qu’il est vraiment difficile de commencer une carrière de tennis à cause des conditions financières, parce que nous sommes vraiment loin. Mais nous avons beaucoup, beaucoup de gens qui commencent le tennis chaque année.”
Del Potro, qui se remet d’une nouvelle opération, a été un grand supporter de Schwartzman en 2020 et le numéro 9 mondial a été aidé par un certain nombre de joueurs au fil des années.
“Il (Del Potro) m’envoie toujours des messages quand je joue bien”, a déclaré Schwartzman. “Nous avons une bonne relation. Nous sommes des amis sur le circuit. C’est triste qu’il ait beaucoup de blessures. Nous n’avons pas partagé tant de tournois. Mais ceux qui m’ont vraiment aidé dans ma carrière, ce sont les anciens joueurs que sont (Mariano) Zabaleta et (Juan) Monaco, ils sont comme mes grands frères. Quand j’avais 15 ans, ils ont commencé à m’aider, nous avons fait beaucoup de pré-saisons, d’entraînements. Ces deux gars m’ont beaucoup aidé dans ma carrière.”
Roland-Garros, sa meilleure chance
La vie de Schwartzman est bien connue. L’histoire de son arrière-grand-père s’échappant d’un train à destination d’un camp de concentration dans l’Allemagne nazie est désormais légendaire sur le Tour. Lorsque l’entreprise de son père est tombée à l’eau, la famille a fabriqué et vendu des bijoux pour tenter de gagner sa vie. Ce fut une éducation difficile, qui se reflète dans l’éthique de travail de Schwartzman, ses efforts sur le terrain et son attitude de battant.
S’il veut gagner un Grand Chelem, il pense que cela se passera plus probablement à Roland-Garros, même s’il a souri en admettant qu’il faudrait sûrement attendre que Nadal prenne sa retraite. Rafa et Djokovic ont remporté deux des trois tournois du Grand Chelem de l’année. Mais la victoire de Dominic Thiem à l’US Open offre aux autres une lueur d’espoir.
“Dominic (Thiem) aide beaucoup de gars. (Alexander) Zverev aussi, en jouant la finale à l’US Open. On se dit qu’on peut le faire. Mais c’est vraiment difficile, vous savez, ce que vous voyez, c’est ce que nous voyons aussi. C’est donc très difficile de battre ces gars en cinq sets et en Grand Chelem. Ils sont vraiment, vraiment bons.”
Il débutera son Masters de Londres contre le numéro un mondial Novak Djokovic lundi. Mais Schwartzman ne craint rien ni personne. Il a déjà accompli plus que ce qu’il pensait possible. Il est allé trop haut pour s’arrêter maintenant.
Traduction : Victor Lengronne