Les night sessions de Roland-Garros en apportent une nouvelle preuve, l’inégalité hommes-femmes reste une réalité dans le tennis
Guy Forget a créé la polémique en ne se cachant pas de la priorité qui serait donnée par l’organisation de Roland-Garros aux rencontres du tournoi masculin pour le “match du jour”, nouveauté instaurée cette année et qui sera diffusé en prime-time. Une nouvelle preuve que l’égalité hommes-femmes n’est toujours pas une évidence dans le tennis.
Le tennis se gargarise depuis longtemps d’être le bon élève du sport mondial sur le sujet de l’égalité hommes-femmes. Mais il n’a pas vraiment fait honneur à ce statut ces derniers temps. Guy Forget et Roland-Garros n’ont rien fait pour arranger la situation avec leurs commentaires récents sur le choix du “match du jour” des night sessions de l’édition 2021.
Récemment, Venus Williams revenait sur des années de bataille pour l’égalité des sexes et un prize-money équivalent en Grand Chelem en ces termes :
“Il y a toujours cet a priori selon lequel le tennis féminin vaudrait moins que le tennis masculin. Je refuse de laisser cette vision dicter mon succès. Et nous ne devons pas la laisser influencer la marche de la société.”
Et pourtant, malgré un prize-money désormais équitable en Grand Chelem, les joueuses sont toujours traitées comme des citoyennes de seconde zone sur une foule de petits sujets.
Les femmes absentes de la photo de lancement de la PTPA
Souvenez-vous l’été dernier, quand l’Association des Joueurs de Tennis Professionnels (PTPA en VO) a annoncé son arrivée, avec l’intention de représenter tous les membres du circuit. Un groupe de joueurs masculins se tenait debout ensemble sur le court et a signé ensemble le premier courrier de l’Association, sans mentionner leurs homologues féminines (même si le co-créateur Vasek Pospisil a ensuite assuré à Tennis Majors qu’ils avaient bien l’intention d’inclure les joueuses dans leur projet à l’avenir). L’absence de femmes sur la photo de lancement avait fait réagir, notamment Andy Murray.
“Les femmes n’en sont pas et j’ai le sentiment que le message serait plus significatif, bien plus puissant, si la WTA était aussi concernée. Ce n’est pas le cas pour l’instant.”
La programmation sur les courts principaux en Grand Chelem est un bon baromètre pour ces questions. Les hommes se sont historiquement octroyés la part belle sur les créneaux de prime-time. Caroline Wozniacki s’en était plaint à Wimbledon en 2015 :
“Le but ultime, quand tu t’entraînes dur, c’est de jouer sur les grands courts. Les femmes n’ont pas vraiment l’opportunité de jouer sur les grands courts ici.”
Wozniacki était tête de série N.5 de cette édition, et a disputé un seul match sur le Centre Court, en clôture du programme le deuxième jour, pour son premier tour. Au deuxième tour, elle était sur le Court 12. Elle était sur le N.1 au troisième tour et sur le N.2 en huitième de finale. L’analyse poussée de la programmation avait rendu son mécontentement compréhensible. Sur les sept premiers ours du tournoi, il y avait eu quinze matchs masculins sur le court central, contre neuf du tournoi féminin.
Il n’y a pas de night-session à proprement parler à Wimbledon et c’est loin d’être le seul Grand Chelem à nourrir l’inégalité. L’Open d’Australie a, ces dernières années, programmé un match masculin et un match féminin en night-session sur la Rod Laver Arena pendant la première semaine de compétition. Mais cet équilibre ne s’étend pas à la deuxième partie de la quinzaine, quand les hommes gardent la priorité. En 2020, malgré la présence d’une Australienne en demi-finale (Ashleigh Barty), l’organisation avait programmé sa demi-finale en journée et privilégié la demi-finale opposant à Roger Federer à Novak Djokovic en soirée.
A son crédit, l’US Open fait ce qu’il faut pour s’assurer habituellement qu’un match masculin et un match féminin se disputent lors de chacune des deux sessions, sur le Arthur Ashe Stadium.
Au tour de Roland-Garros de raviver la plaie avec sa grande nouveauté de 2021 : un match de soirée, le “match du jour”, sur le court Philippe-Chatrier.
“On ne s’est pas interdit de jouer des matches de femmes”, mais…
RMC Sport a d’abord soufflé que ce grand moment de la journée serait réservé à des matchs masculins. Le tournoi a rapidement démenti l’information devenue controverse, dans un communiqué :
“La FFT rappelle qu’à Roland-Garros, il existe une parfaite équité entre les femmes et les hommes, notamment en termes de Prize Money. Dans cette continuité, deux matchs dames et deux matchs messieurs seront au programme sur l’ensemble de la journée sur le Court Philippe-Chatier. La journée se décomposera ainsi avec trois matchs en session journée et un match en session de soirée.”
Roland-Garros peut bien clamer traiter de la même manière les joueuses, le prix des billets montre l’inverse. Pour assister à la finale du tournoi de simples féminin, la billetterie en ligne annonce que la place la plus chère vaut 150 euros. Pour les hommes, ça s’élève à 260 euros. C’est encore pire pour les demi-finales.
Le lendemain de la publication du communiqué, Guy Forget a confirmé que les informations de RMC Sport avaient un fond de vérité, même s’il assure que rien n’est figé.
“Les premiers tours pour les têtes de série, ce sont souvent des matches à sens unique. On va plutôt favoriser des matches masculins sachant que même si Nadal gagne 6-1, 6-2, 6-3, il va jouer pendant 1h45 ou 2 heures. Si ça fait 6-1, 6-1 chez les femmes, ça peut durer 40 minutes.”
“On ne s’est pas interdit de jouer des matches de femmes. On ne s’est pas dit non plus qu’on ne fera que des matches d’hommes. Si, à un moment donné, il y a un match féminin qui est une confrontation formidable, ça pourrait être le match du jour, celui que les gens ont envie de voir en priorité. On aura envie de mettre ce match-là en session de soirée. On fera en sorte de mettre à chaque fois le match qui est vraiment attendu pour que les gens passent un très bon moment à Roland-Garros.”
Le Big 3, vraiment une garantie de spectacle ?
Il y a deux soucis majeurs dans la logique de Forget. Bien évidemment, un match de trois sets minimum devrait durer plus longtemps qu’un match de deux sets, mais ce n’est pas une garantie. L’un des joueurs pourrait abandonner sur blessure, comme Pablo Carreño Busta l’avait fait contre Nadal en 2017, après seulement 51 minutes. Ou vous pourriez avoir droit à un match en deux sets particulièrement long. Par exemple le deuxième tour entre Petra Kvitova et Leylah Fernandez l’année dernière. Personne ne s’attendait à ce que la jeune Canadienne bouscule la tête de série N.7. Mais la Tchèque avait eu besoin de deux heures pour gagner en deux manches (7-5, 6-3).
Aussi, un match à sens unique mérite-t-il le titre de “match du jour”, même s’il implique l’une des stars du jeu ? Assister à une démonstration de l’un des membres du Big 3 est excitant sur le papier, mais s’il déroule pour s’imposer 6-1, 6-2, 6-2 en une heure et 20 minutes, comme Novak Djokovic l’a fait contre Ricardas Berankis au deuxième tour en 2020, cela n’a rien à voir avec la promesse d’un tournoi exceptionnel. Au même tour dans le tableau féminin, Sara Errani et Kiki Bertens ont bataillé pendant trois sets et plus de trois heures, avec des temps morts médicaux, des invectives entre joueuses et un tie-break dans la manche décisive.
Ce qui fait la particularité des Grands Chelems, c’est leur incertitude. Roland-Garros pourrait bien regretter son parti-pris selon lequel le Big 3 masculin serait un vecteur de divertissement garanti. Il va falloir voir plus loin pour offrir aux fans de tennis des nuits parisiennes “un très bon moment”.
PS : Roland-Garros a annoncé mardi l’extension du tableau de qualifications des dames en simples à 128 joueuses, comme chez les hommes, au lieu de 96 les années précédentes. “Dans le contexte actuel, cette décision permettra également de soutenir une catégorie de joueuses particulièrement touchées financièrement par la crise liée au Covid-19”, a précisé l’organisation du tournoi dans un communiqué.