Toujours là et plus tout à fait là : Tsitsipas, la saison de tous les paradoxes
L’abandon de Stefanos Tsitsipas lors de son deuxième match de poule face à Holger Rune, cet après-midi, est le symbole d’une saison paradoxale, lors de laquelle le Grec est resté au contact des meilleurs sans jamais réellement s’inviter à leur table. Inquiétant ?
A-t-on perdu Stefanos Tsitsipas ? Pour ce Masters et pour cette saison 2023, c’est une certitude. Blessé au dos, le Grec a jeté l’éponge, cet après-midi à Turin, après seulement trois jeux lors de son deuxième match de poules des ATP Finals contre Holger Rune, renonçant aussi au reste d’une compétition pour laquelle il sera remplacé par Hubert Hurkacz. Qui jouera pour l’honneur (et le chèque), étant donné qu’il n’a plus la moindre chance de qualification.
« J’ai déjà enduré quelques douleurs sur certains matchs dans le passé mais là, c’était trop. J’ai senti dès l’échauffement au service que ça allait être compliqué », a expliqué Stefanos, apparu très touché lors de sa conférence de presse. « J’ai flirté avec les limites ces derniers temps, j’ai beaucoup chassé les points au classement. J’imagine que cette blessure est liée à un manque de repos combinée à une préparation qui n’était pas si bonne. » L’un étant, évidemment, liée à l’autre.
C’est la deuxième fois que Tsitsipas doit renoncer en cours de route au Masters de fin d’année. Fin novembre 2021, il avait en effet déclaré forfait après une défaite face à Andrey Rublev, avant de subir quelques semaines plus tard une petite intervention au coude. A l’époque, celle-ci avait soulevé l’inquiétude, mais le Grec était reparti comme en 40. Début 2023, quand il a atteint la finale de l’Open d’Australie contre Novak Djokovic, on le croyait prêt, enfin, à escalader cette dernière marche qui allait le mener à son premier titre du Grand Chelem. C’est sans doute un peu dur de l’écrire mais cela reste peut-être, dix mois plus tard, son dernier résultat vraiment marquant.
Le reste de sa saison ? Faite de hauts et de bas. Pas grand-chose entre l’Australie et le printemps. Puis un bloc solide sur terre battue, malgré la perte de son (double) titre à Monte Carlo (finale à Barcelone, demie à Rome, quart à Madrid et Roland Garros). Une déliquescence de résultats en Grand Chelem avec une élimination en huitième à Wimbledon puis au deuxième tour de l’US Open. Un titre remporté à Los Cabos au cœur de l’été, un peu égaré au cœur d’une série noire jusqu’à la saison indoor, où il s’est soudainement ressaisi avec un brelan de demi-finales à Anvers, Vienne et Bercy. Jusqu’à cette casse moteur, donc, à Turin.
Son plus faible total de points ATP depuis cinq ans
Evidemment, on en connaît plus d’un qui se contenterait d’un tel bilan. Mais l’exigence qui sied à l’analyse des résultats d’un champion de sa trempe oblige à dire qu’il n’est pas si fameux que ça. Surtout à la lecture de ses précédents exercices. Il existe d’ailleurs un indicateur de performance tout bête pour les comparer : le nombre de points ATP. Stefanos Tsitsipas va finir la saison 2023 avec 4 235 points au compteur, soit son plus faible total depuis son éclosion parmi les meilleurs en 2019 :
- Fin 2023 : 4 235 pts ATP
- Fin 2022 : 5 550 pts (4e)
- Fin 2021 : 6 540 pts (4e)
- Fin 2020 (année du Covid, points partiellement gelés) : 5 925 pts (6e)
- Fin 2019 : 5 300 pts (6e)
- Fin 2018 : 2 095 pts (15e)
Actuellement 6e mondial, Tsitsipas pourrait rétrograder d’un rang si Alexander Zverev ou Holger Rune atteignent la finale du Masters. Et même deux si l’Allemand et le Danois venaient à s’affronter à ce stade. Ce serait son moins bon classement en fin d’année depuis cinq ans.
Des relents de burn-out ?
L’impression selon laquelle Tsitsipas aurait stagné voire régressé en 2023 n’est donc pas fausse : elle est du moins corrélée par les chiffres, par les résultats et certains diraient par une impression visuelle moins impressionnante sur le court, où le rayonnement charismatique de statut grecque qu’il avait à ses débuts a perdu de son éclat. On a plutôt vu, ces derniers temps, la démarche hésitante d’un garçon moins sûr de ses choix, moins sûr de son fait, moins sûr de son destin. Et ce ne sont pas différentes déclarations d’allégeance faites notamment à Carlos Alcaraz, contre lequel il s’est incliné cinq fois sur cinq, qui ont rassuré sur ses ambitions.
Hors court, la saison 2023 de l’Athénien a été aussi sinusoïdale que ses résultats. Il y a eu bien sûr l’officialisation de son idylle avec Paula Badosa, qui a fait au moins autant le bonheur des réseaux que des deux tourtereaux. C’est déjà ça. Mais on sait que pour un sportif (ou une sportive) de haut niveau, l’amour est à double tranchant. Dans le cas présent, Cupidon semble avoir replié les ailes de Stefanos et carrément coupé celles de l’Espagnole, que l’on n’a plus vue sur un terrain (du moins en compétition) depuis Wimbledon en raison d’une blessure… au dos.
Le principal intéressé a toujours réfuté cette théorie, tout en flirtant – sans jamais prononcer le mot – avec l’idée que sa relation aurait éveillé des relents de burn-out enfouis en lui. « Ma rencontre avec Paula m’a donné une nouvelle vision de la vie en général, expliquait-il récemment à Anvers. « Avant, c’était toujours tennis, tennis, tennis. C’était tout ce qui comptait, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Et durant cette période , je n’ai pas passé assez de temps avec ma famille. » L’année dernière, il avait d’ailleurs mis en garde Holger Rune contre les méfaits d’un possible retour de bâton quand on est trop habité par son sport. Ce dernier l’a renvoyé dans ses 22 en mode : « C’est celui qui le dit qui est… » Sans doute n’a-t-il pas tort.
Avec un peu de recul, Stefanos Tsitsipas a renvoyé l’impression cette année de chercher à grandir en tant qu’homme, ce qui est tout à fait sain et compréhensible, tout en peinant à trouver l’équilibre avec sa vie de sportif. Ses multiples volte-face sur sa structure – je vire Mark Philippoussis en mai pour le reprendre pendant l’été, je vire mon père à ce moment-là pour le rappeler à la rescousse au début de l’automne – témoignent certainement d’un esprit tourmenté.
Lors du Rolex Paris Masters, Tsitsipas disait s’être retrouvé en renouant avec son père au sortir d’une période où il s’était senti « un peu perdu » sur le terrain, oubliant peut-être un peu vite que son seul titre de la saison, il l’aura finalement remporté avec Philippoussis à ses côtés. Dur à suivre. Parce que chez lui, rien n’est jamais simple. Il est vrai qu’on parle d’un jeune homme qui, dans son enfance, a souffert de harcèlement scolaire et qui a frôlé la mort par noyade en pleine mer, sauvé in extremis par son père. Il faut, dès lors, comprendre aussi les fortes connexions qui le relient à Apostolos, parfois réduit de manière un peu injuste au moulin à paroles qu’il est incontestablement au bord d’un court.
Reste que durant cette période chargée de nuages, le jeu de Stefanos Tsitsipas – tout comme son image – en a pris un petit coup. Le tennis enchanteur, résolument percutant et créatif que tout le monde louait à ses débuts a laissé place à quelques errements techniques, notamment côté revers, qui ont été beaucoup soulignées. A juste titre, sans doute. Mais dans le cas d’un joueur au bagage aussi épais que le sien, ces micro-fissures apparues sur le plan tennistique sont certainement moins la cause de la baisse de ses résultats que la conséquence de ses atermoiements intérieurs.
La conséquence aussi d’un investissement moindre à l’entraînement ces derniers mois. L’éternel dilemme du juste milieu entre une nécessaire prise de distance et la continuité d’une rigueur totale dans le travail. “Ces derniers mois, je pensais pouvoir réussir en mettant un peu la discipline de côté et en me reposant un peu plus sur mon talent », déclarait-il également à Anvers. Mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Désormais, j’ai très faim à nouveau et je sens que je veux changer les choses. »
Et c’est vrai que ces dernières semaines, on a bien cru qu’on était en train de retrouver Stefanos Tsitispas, le vrai. Une impression qui demandait à être validée par le truchement d’un gros résultat, ou a minima d’une grosse victoire – aucun top 8 battu cette année. Il faudra finalement attendre 2024 pour en avoir confirmation. D’ici là, c’est plutôt un sentiment de doute qui va continuer de flotter.