Juillet 1998 : Federer, bientôt 17 ans, débutait sa carrière dans un monde qui n’est plus le nôtre
Vingt-quatre années passées sur le circuit : la vie de Roger Federer se confond avec le tennis et son évolution.
Juillet 1998. Un jeune joueur suisse de presque dix-sept ans, Roger Federer, dispute son premier tournoi de tennis professionnel à Gstaad, à plus de deux heures de route de chez lui. Il perd face au 88e joueur mondial, Lucas Arnold Ker (6-4, 6-4 en 1h20). L’Argentin ne sait pas encore qu’il est au sommet de sa carrière en simple, bientôt 77e, et qu’il restera dans les grimoires comme un bon joueur de double (15 titres ATP).
Le futur montrera que son jeune adversaire apprend vite. Federer sera en quart de finale de son deuxième tournoi, à Toulouse, en septembre de la même année. Vingt quart ans plus tard, le natif de Bâle vient d’annoncer sa retraite, avec 20 titres du Grand Chelem au compteur et après 1251 matchs gagnés sur 1526 disputés.
Consulter sur le site de l’ATP tous les matchs de la carrière de Federer
Pour ses 40 ans l’an dernier, nous nous étions projetés sur ce qui lui restait à vivre dans le tennis, dans un premier article qui explorait les rares succès de quadra dans le tennis professionnel. Nous allons ici nous plonger dans ce qu’était le tennis à l’été 1998, afin de mesurer, entre ses seize ans et ses quarante ans, quelles multitudes d’histoires Federer a vécues et, bien évidemment, écrites.
Quand Federer débute, le débat sur le G.O.A.T. n’existe pas
Ado, Roger Federer rêve de devenir comme Boris Becker ou Stefan Edberg, l’un et l’autre vainqueurs de six tournois du Grand Chelem entre 1985 et 1996. La question du “G.O.A.T.” (Greatest Of All Time) n’existe pour personne et n’anime pas les réseaux sociaux : ceux-ci n’existent pas et Internet reste un privilège de geeks.
Quand les experts de l’histoire du tennis sont consultés sur le plus grand joueur de tous les temps, les noms de Björn Borg et Rod Laver sont le plus souvent cités. Laver est – et il le reste aujourd’hui – le seul joueur à avoir réalisé deux Grands Chelems en 1962 et 1969 (soit… moins de trente ans plus tôt). Borg a remporté onze majeurs, réussi trois doublés Roland-Garros – Wimbledon et est devenu la première star globale du tennis. Roy Emerson, avec son record de 12 titres du Grand Chelem, reste cependant le joueur à avoir soulevé le plus de trophées majeurs.
Pete Sampras, incontestable numéro un mondial depuis 1993, est en passe de prendre part à cette discussion mais n’a encore remporté “que” 11 majeurs. Il gagnera encore deux Wimbledon (1999, 2000) et un US Open (2002) pour donner un début de corps à ce statut de meilleur joueur de tous les temps, que lui confèreront ses 14 trophées de Grand Chelem entre 2002 et 2009, date du doublé Roland-Garros – Us Open de Federer, alors vainqueur de 15 trophées.
En 1998, c’est encore Ivan Lendl qui possède le record de longévité à la place de numéro un mondial avec 270 semaines en cumulé. Jimmy Connors le talonne de près avec 268 semaines. Pete Sampras en est à 233 semaines. Roger Federer portera ce record à 310 semaines puis Novak Djokovic à 332 semaines (série en cours).
Le débat sur le GOAT – évoqué ici dans notre podcast The Volley (en anglais) – est aujourd’hui animé autour de noms de Federer, Nadal et Djokovic.
Quand Federer débute, le tennis suisse repose sur Martina Hingis
Au moment du premier tournoi de Roger Federer, le 6 juillet 1998, un seul joueur suisse figure dans le top 100 au classement ATP. Il s’agit de Marc Rosset, champion olympique à Barcelone en 1992. Il a déjà remporté 12 titres sur le circuit, se place au 36e rang mondial et prendra vite sous son aile le jeune Roger Federer en Coupe Davis. Cela viendra vite : Federer, 301e mondial fin 1998, est le cinquième joueur suisse. Le meilleur joueur suisse de tous les temps est alors Jakob Hlasek, qualifié pour le Masters en 1988 et septième mondial en avril 1989.
Le tennis suisse est en train de découvrir le très haut niveau international chez les femmes avec Martina Hingis. Hingis, prodige identifié comme tel depuis son enfance, n’a qu’un an de plus que Federer mais elle est déjà deuxième joueuse mondiale, a déjà remporté 18 titres (à seulement 18 ans), dont quatre titres du Grand Chelem (Open d’Australie 1997, Wimbledon 1997, US Open 1997, Open d’Australie 1998). Elle est même devenue, en 1997, la plus jeune numéro une mondiale de l’histoire, à 16 ans et 152 jours et la plus jeune joueuse à gagner un Majeur – ce record tient toujours.
Hingis arrêtera sa carrière deux fois, en 2003 puis 2007. Au moment où Federer dispute ses premières balles sur le circuit ATP, aucune des deux sœurs Williams n’a gagné un Grand Chelem et personne n’imagine que l’irruption soudaine de leur incroyable puissance va rapidement fragiliser le jeu en toucher de Hingis.
Quand Federer débute, presque personne n’a entendu parler de Nadal et Djokovic
Roger Federer doit sa wild-card à Gstaad à sa victoire à Wimbledon Juniors 1998, qui lui vaut légitimement d’être considéré comme un futur espoir du tennis mondial. Ses futurs rivaux présumés s’appellent Lleyton Hewitt, Fernando Gonzales, Guillermo Coria, Paul-Henri Mathieu, Julien Jeanpierre, Daniel Elsner, Arnaud di Pasquale. Une vague de jeunes Espagnols (Moya, Costa, Vicente, Blanco) et d’Allemands (Haas, Kiefer) déboule au classement ATP et semble promise à mener bataille avec les jeunes Kuerten et Rios pour les plus grands titres.
Personne n’a jamais entendu parler des deux seuls joueurs dont le tennis sera à la hauteur de celui de Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic.
En août 1998, Rafael Nadal vient de fêter ses douze ans. Il remporte l’Open Super 12 d’Auray, en France, alors qu’il hésite encore entre le football et le tennis. C’est à cette date que Rafael Nadal dit aujourd’hui avoir commencé sa trajectoire vers le tennis de haut niveau. Ses deux célèbres apparitions aux Petits As de Tarbes, le Mondial présumé des moins de 14 ans, n’ont pas encore eu lieu, notamment celle de 1999 en quart de finale contre Richard Gasquet.
Novak Djokovic, lui, a onze ans et les idées plus claires sur le tennis. Mais sa notoriété n’a pas encore dépassé les frontières de l’ex-Yougoslavie, toujours empêtrée dans le conflit interethnique débuté en 1991. Djokovic n’a pas encore subi le bombardement de Belgrade qui le marquera à vie, décidé par l’OTAN et appliqué du 23 mars au 10 juin 1999 après le massacre de 45 civils albanais du Kosovo à Račak.
Quatre ans plus tôt, il avait été interviewé à la télévision serbe et il avait annoncé la couleur. Le tennis est pour lui “une obligation” et il y “joue la nuit” parce que, dans la journée, il a école. “Quand j’avais sept ans, j’ai osé dire à tout le monde que je pouvais devenir le meilleur du monde. Ce désir était si puissant qu’il s’est manifesté contre toutes les difficultés que j’ai rencontrées”, a écrit Djokovic sur Instagram.
L’année où Federer débute, un tennisman de 30 ans est un pré-retraité
Au moment de jouer son premier match ATP à Gstaad, en juillet 1998, Pete Sampras, 27 ans, est installé en tête du classement ATP. Suivent, dans l’ordre, Marcelo Rios, Petr Korda (père de Sebastien Korda, 45e mondial, et Nelly Korda, championne olympique de golf), Carlos Moya et Patrick Rafter. La semaine qui suit son entrée en lice à Gstaad, Roger Federer est classé 693e joueur mondial.
En 1998, il est encore moins envisageable qu’aujourd’hui d’être performant en tennis après 30 ans. Même si la demi-finale de Jimmy Connors à l’US Open 1991 à 39 ans est de fraîche mémoire, c’est une époque où Lendl arrête sa carrière à 34 ans, McEnroe à 33 ans, Leconte à 32 ans, Becker et Wilander à 31 ans, Edberg et Noah à 30 ans. Borg a pris sa première retraite à 26 ans.
Au moment de l’entrée en lice de Federer à Gstaad, le plus vieux joueur de simple dans le Top 100 est l’Italien Gianluca Pozzi. Il a 33 ans. Il y a seulement huit trentenaires dans le Top 100 et aucun joueur de plus de 36 ans dans le top 500. Roger Federer, ado prometteur devenu quadra légendaire.