Djokovic : « Les limites sont celles que vous vous fixez, y compris les limites d’âge »
Novak Djokovic, mais aussi Rafael Nadal plus tôt dans la semaine à Turin, ont envoyé des messages clairs sur leur longévité. Comme Roger Federer, retraité à 41 ans, ils ne se fixent aucune limite.
Parmi les stats un peu dingues qui ont escorté la victoire de Novak Djokovic aux ATP Finals, il y a celle-ci : le Serbe est le seul joueur de l’histoire à avoir remporté le « Masters » au cours de trois décennies différentes. Entre son premier succès à Shanghaï en 2008 et celui de Turin en 2022, quatorze ans se sont écoulés. Et rien ne dit que l’histoire va s’arrêter là. À 35 ans, Djokovic est apparu plus affamé que jamais dans sa conquête de titres et de records après sa finale contre Casper Ruud. Il a toutes les raisons du monde de mesurer la chance qu’il possède de jouer au tennis à ce niveau et à ne rien lâcher.
En vrac : il est habité par ce jeu et son histoire, il a été privé de 40% de la saison en raison de son statut vaccinal, ses enfants adorent le suivre sur le Tour, et même l’argent (il vient de remporter le plus gros prize money de l’histoire du tennis à plus de 4 millions d’euros) n’est pas un facteur neutre pour quelqu’un « dont la famille a connu des moments avec zéro sur la table, vu le contexte (de guerre en Serbie, ndlr) dans lequel (il a) grandi ».
L’idée que la fin de sa domination et celle de Nadal sur le tennis masculin va prendre fin en raison de leur âge en a pris un coup cette semaine à Turin. Certes, la concurrence est plus dense qu’elle ne l’a jamais été. La barre a été placée très haut par les ados Carlos Alcaraz (vainqueur du dernier Grand Chelem en date) et Holger Rune (seul joueur à avoir privé Djokovic d’un trophée depuis Rafael Nadal à Roland-Garros), et le peloton qui les chasses a une densité rare. Certes, les deux hommes ne vont pas rajeunir. Mais, chacun à leur façon, ils nous invité à prendre nos distances avec de vieilles habitudes selon lesquelles les plus de 35 ans se rapprochaient rapidement des compétitions pour vétérans.
Djokovic et Nadal dans les pas de Federer
Jusqu’à cet automne, l’étalon du « comment fait-il » était porté par Roger Federer. Le Suisse aux 20 Grands Chelems a pris sa retraite à 41 ans, il a été compétitif au sommet jusqu’à 39, il a été en finale de Wimbledon à 38 et numéro un mondial à 36. Des temps de passage inouïs dans l’histoire du tennis professionnel, au XXIe siècle où gagner des Grands Chelems à 32 ans (comme Sampras) ou à 33 ans (comme Agassi) était plus rare que prendre sa retraite à 30 ou 31 ans.
L’entraîneur de Roger Federer disait à Tennis Majors en septembre : « Roger voulait jouer au tennis jusqu’à ses cents ans. Personne n’allait obtenir de lui qu’il s’arrête spontanément. Par conséquent, tout ce qui pouvait se passer, c’était qu’il joue jusqu’au moment où il en serait empêché par une blessure. »
Tout indique qu’il en ira de même pour Nadal et Djokovic. Federer a poussé la barre à une hauteur qu’ils ne s’interdisent pas de dépasser à leur tour. Nadal, qui a treize mois de plus que Djokovic, 36 ans et 5 mois à l’heure où nous écrivons, est celui des deux qui est le plus conscient des limites que son corps peut lui imposer, en raison de ses blessures récurrentes, notamment en deuxième partie de saison. « Je ne sais pas si je pourrai revenir à mon (meilleur niveau), mais je suis prêt à mourir pour cela » a-t-il indiqué au soir de son élimination contre Félix Auger-Aliassime en poules.
Je suis convaincu que les limites sont celles que votre esprit
Novak Djokovic
Nadal a plus conscience de jouer contre la montre que Djokovic, mais son attitude n’a jamais dévié d’une ligne « absolue », qui l’a conduit en 2022 à réaliser sa meilleure saison depuis 2019 : aussi longtemps qu’il sera compétitif au plus haut niveau, il jouera. Une ligne qui pourrait conduire l’actuel numéro deux mondial à entamer Roland-Garros 2023 comme un candidat crédible à un quinzième titre, à 37 ans. Plus âgé que Roger Federer à Melbourne en 2018. A peine plus jeune que Ken Rosewall à l’Open d’Australie 1972 – record du genre.
Djokovic, lui, ne valide pas cette idée. Le Serbe a accueilli loyalement les questions sur son état physique lors des derniers matches des Masters. Mais l’usure manifeste dans laquelle l’a placé Daniil Medvedev en phase de poules, son manque de vitesse contre Taylor Fritz en demi-finale, son souffle plus souvent coupé que d’habitude en finale contre Casper Ruud, tout ceci a davantage inquiété ceux qui l’ont vu avec les mains tremblantes aux changements de côté que Djokovic lui-même.
« On ne peut pas dire que j’ai pioché à chaque match. On peut dire que ça n’a pas été facile de récupérer après le match (de 3h20) contre Medvedev, ça oui. J’ai mes routines pour bien récupérer, un bon physio, je suis bien entouré et je crois que les seuls limites sont celles qu’on se fixe. C’est une sorte de dialogue interne entre votre bad guy et votre good guy. Le bad guy qui vous dit que vous avez mal, que ce matin-là c’est vraiment dur de se lever ; et le good guy qu’il faut conduire à prendre le dessus sur l’autre. Facile à dire et plus difficile à faire, je précise. Mais je suis convaincu que les limites sont celles que votre esprit, votre cœur, votre instinct de vie vous fixent. »
Djokovic n’a pas l’intention d’arrêter de sitôt
Sans que la moindre question ait été posée sur son âge, Djokovic a indiqué, interrogé sur la vision globale qu’il avait de sa carrière et sa vocation dans le tennis, considérer qu’il n’y avait « pas de fin sur le papier » pour lui, traduction que nous vous proposons pour « no end zone ». « Aucune idée ne me traverse qui soit liée de près ou loin à la fin de ma carrière, fin de carrière exprimée en terme de moment où je voudrais que ça s’arrête. Si j’avais en tête quelque chose comme ‘voici le but, et quand je l’aurai atteint, je poserai la raquette’, je vous le dirais. Mais je n’ai pas ça. »
Djokovic n’a fait que deux entorses à cette règle dans ses récentes déclarations. D’abord pour constater que la sortie de scène de Federer lui avait donné des idées sur le jour J de sa retraite. « J’aimerais moi aussi être entouré de mes plus grands rivaux » avait-il déclaré en septembre, une phrase qui avait alarmé le premier rang de ses fans, habitués à ce que Djokovic ne parle jamais de retraite.
Ensuite, dimanche après la finale, en référence à sa famille. « On ne sait jamais de quoi le futur est fait bien entendu. J’ai deux enfants de huit et cinq ans. Peut-être qu’à un moment ils exprimeront des attentes nouvelles à mon égard, auxquelles je devrai consacrer du temps, pour les soutenir dans moments de leur vie qui appelleront peut-être à moins de tennis chez moi. Mais à ce stade, même si on a tous nos mauvais jours et nos mauvaises semaines, mon feeling est excellent. »
Goran Ivanisevic a accueilli comme quasiment sans objet une question sur l’aménagement de l’entraînement auquel il devait procéder pour maintenir au top un athlète qui n’a plus 22 ans. « Novak s’entraîne encore plus dur que quand il avait 22 ans, c’est précisément la raison pour laquelle il est aussi compétitif. Il prend soin de son corps de façon inouïe et il est d’une fraicheur incroyable. » Djokovic vient de battre de cinq ans le record du vainqueur le plus âgé de l’histoire du tournoi qui rassemble les huit joueurs du monde. Il ne faudra pas s’étonner s’il duplique ce genre de records à l’avenir, ceux de Federer, ceux de Nadal, ou les siens propres.