Nadal aurait dû s’arrêter plus tôt ? Non, pas pour « partir en paix »

Nadal « aurait dû » prendre sa retraite à Roland-Garros en 2022. Avec du recul, ça a été la conclusion facile à tirer pour les observateurs. Mais si le principal intéressé avait opté pour ce choix, il serait parti avec le doute de l’avoir peut-être fait trop tôt.

Rafael Nadal, Roland-Garros 2021 Rafael Nadal, Roland-Garros 2021 (JB Autissier / Paoramic)

Il a trop tiré sur la corde, au point de pousser bon nombre d’amoureux du tennis à vouloir se la mettre autour du cou pendant son ultime match. Face à Botic van de Zandschulp dans l’après-midi du funeste mardi 19 novembre, le monument Rafael Nadal – devenu si lent, incapable d’être percutant dans ses frappes, donnant l’impression d’être soudainement pris de passion pour le mini-tennis tant il a joué dans les carrés – est apparu en ruine. De quoi conforter certains observateurs dans ce constat : « Il aurait dû arrêter plus tôt. » Comme en 2022, par exemple.

Cette année-là, une rumeur avait enflé au fur et à mesure de sa marche victorieuse vers son 14e titre à Roland-Garros, son 22e et dernier en Grand Chelem. Des apprentis oracles avaient avancé que l’Espagnol allait annoncer sa retraite à l’issue du tournoi. Que nenni. Au lieu de ça, il avait révélé avoir joué toute la quinzaine en anesthésiant son pied gauche pour lutter contre le syndrome de Müller-Weiss dont il est impacté depuis 2004. Une pathologie rare passée proche de priver le sport de l’un de ses héros les plus illustres : des médecins ayant dit, à l’époque, au Transpyrénéen que le haut niveau était très probablement terminé pour lui.

Roland-Garros 2022 aurait pu être la fin idéale, mais Nadal avait besoin de continuer jusqu’à la certitude d’être usé jusqu’à la corde

Dans la foulée de son sacre sur l’ocre de la porte d’Auteuil, il avait opté pour une opération, celle de la dernière chance, consistant à « brûler » deux nerfs de son panard pour le libérer définitivement des douleurs. Pari payant. Seul hic, d’autres blessures sont venues meurtrir son corps pour s’ajouter à toutes celles déjà collectionnées au fil des ans. Entre ses abdominaux et sa hanche gauche – plus précisément son muscle psoas-ilias – couinant autant qu’une vieille trappe de grenier, le Majorquin n’a quasiment plus joué entre Wimbledon 2022, où il avait dû renoncer avant sa demi-finale contre Nick Kyrgios, et sa retraite : 33 matchs (10 en 2022 après Wimbledon, 3 en 2023, 20 en 2024).

En regardant dans le rétroviseur, sa dernière couronne à Paris est donc apparue comme ce qui aurait pu être le moment et le lieu idoines pour clôturer sa saga. Là où “il aurait dû”, d’après certains, faire tomber le rideau sur carrière aussi mythique qu’anthologique – disons « mythanlogique », pour tenter un néologisme. Histoire de finir en beauté. Au sommet. Une fin tenant davantage de l’utopie que de la réalité. Certes, Pete Sampras avait réussi ce type de sortie en terminant sur un triomphe à l’US Open 2022 synonyme de14e Majeur, record à l’époque chez les hommes. Mais sans même l’avoir prévu. Après avoir repoussé plusieurs fois son retour à la compétition, il n’avait dit au revoir définitivement qu’un an plus tard, toujours à Flushing Meadows.

Je pars l’esprit tranquille, en sachant que j’ai tout donné, que j’ai fait tout ce que j’ai pu, et même un peu plus.

Alors, oui, voir le surnommé « Rafa » quitter définitivement la scène avec un fin pétaradante à la « Pistol Pete », en étant lui aussi à ce moment-là l’homme le plus doré en « GC », plutôt qu’à la Molière aurait eu de la gueule. Pour nous, le public. Mais pour lui, le sentiment d’inachevé aurait risqué de laisser un goût amer. La rengaine « et si j’avais continué encore un ou deux ans ? » aurait pu le tourmenter pendant quelques lustres avant de s’éteindre. Pour traverser en paix ce que beaucoup de sportifs ont appelé « la petite mort », il a opté pour ce qu’il a toujours fait : aller jusqu’au bout de ses limites.

« Les gens m’ont demandé : “Pourquoi tu ne t’es pas arrêté plus tôt” », a-t-il déclaré pour As fin octobre. « De l’extérieur, assis sur son canapé, derrière son téléphone ou son ordinateur, c’est facile à dire. Mais quand vous aimez ce que vous faites, que ça vous rend heureux et que votre famille l’est aussi, vous avez envie de continuer. (…) Ces dernières années, j’ai vécu le circuit d’une façon différente, avec ma famille (il est devenu père en octobre 2022), et ça a été une expérience inoubliable. Je pars l’esprit tranquille, en sachant que j’ai tout donné, que j’ai fait tout ce que j’ai pu, et même un peu plus (pour revenir). »

« Ça n’a plus de sens de continuer sachant que je ne peux plus être aussi compétitif que je le souhaite », a-t-il ajouté en amont de la Coupe Davis. « Parce que mon corps n’est plus que très rarement en mesure de m’offrir cette possibilité. » En ayant poussé le bouchon jusqu’à 2024, « Maurice » Nadal a apaisé son esprit en étant absolument certain que son physique était au bout du rouleau. Érodée par le poids des ans, la montagne de Majorque a eu la confirmation définitive de ne plus jamais pouvoir culminer aussi haut qu’elle le souhaitait. Après avoir connu des émotions que seule une infime poignée d’heureux élus ont pu ressentir dans l’histoire de l’humanité.

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Je ne crois pas aux fins de contes de fées.

« Beaucoup de gens travaillent très dur, font de leur mieux chaque jour », s’est-il exprimé, les yeux débordant d’émotions, lors de son discours d’adieux. « Je fais partie des très chanceux à qui la vie a offert la possibilité de vivre des choses incroyables. » Bien conscient que des fées se sont penchées sur son berceau, le gaucher des Baléares n’a pas pour autant gobé tous leurs récits. « Je ne crois pas aux fins de contes de fées », s’est-il exprimé, toujours dans As. « Quasiment personne ne part comme ça dans le sport. C’est difficile de finir au sommet ; à moins d’être en parfaite santé mais de s’arrêter parce que vous ne prenez plus de plaisir. Dans ce cas, vous pouvez partir alors que vous êtes encore capable de gagner. Mais quand vous êtes passionné, c’est compliqué de s’arrêter en étant encore à 100 %, alors que vous gagnez encore. »

En 1981, Björn Borg, 25 printemps, avait pris conscience d’avoir perdu la motivation, le plaisir d’être sur le terrain, de gagner. « Quand je me suis incliné contre John (Mcenroe) en finale à Wimbledon (1981), je n’étais même pas énervé alors que je détestais perdre », s’est-il rappelé pour The Guardian. « Ça a été pareil à l’US Open (1981). En perdant à nouveau contre John, j’ai été simplement soulagé que le match soit terminé. » Après ça, il n’a quasiment plus joué. Sept apparitions jusqu’à la fin de la saison, trois en 1982, deux en 1983, une en 1984. L’envie avait quitté le navire, laissant « Iceborg », qu’on croyait insubmersible, sombrer brutalement. Tel le Titanic.

Les fins de carrières se font le plus souvent sur la corde raide

Sept ans plus tard, il s’était renfloué au point de revenir sur le circuit. Il avait alors aligné douze défaites en autant d’empoignades, sans remporter le moindre set, avant de se retirer pour de bon à Moscou en 1993. Une sortie complètement manquée qui n’a en rien terni sa légende. D’ailleurs, aucun dénouement n’a rendu l’héritage d’un monument du tennis en quoi que ce soit moins prestigieux. Qui se souvient même du dernier match officiel en simple de – liste non exhaustive – John McEnroe, Ivan Lendl, Jimmy Connors, Mats Wilander, Steffi Graf, Monica Seles, Martina Navrátilová ou encore Martina Hingis ? En cherchant, vous auriez quelques surprises. Les mémoires ont déjà presque oublié que Roger Federer a terminé par une défaite en trois sets ponctuée d’un 6-0 contre Hubert Hurkacz sur le gazon du Center Court.

Rafael Nadal a pu s’adonner à sa passion jusqu’à 38 balais. Qui l’eut cru après ses premiers exploits, lorsque des analystes le voyaient ranger ses raquettes avant la trentaine en raison de son style de jeu, qu’il a su faire évoluer de façon épastrouillante, « trop éprouvant ». Et malgré une odysée jalonnée de blessures, il n’a jamais baissé les bras. Son mantra, que ce soit sûr ou en dehors du court. « Il y a eu plein de moments où il aurait été facile – et peut-être logique – de dire stop », a-t-il confié dans As. Après chaque coup dur, il avait toujours rebondi. Très haut. Au point de soulever de nouveaux trophées en Grand Chelem. Un historique qui l’a sans doute aussi conforté à se dire, après 2022, que le phœnix pouvait à encore renaître de ses cendres. Que l’homme au coup droit lasso emblématique avait encore quelques moments de gloire dans ses cordes.

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