Medvedev : « Le jour où j’ai décidé de m’entraîner seulement avec Gilles… »
Daniil Medvedev et Gilles Cervara nous racontent les ressorts de leur travail commun depuis 2017. Ou comment deux hommes que personne n’attendait se sont trouvés grâce à leur intuition, leur courage et leur envie de réussite.
C’est un matin de novembre 2022 comme il en arrive parfois sur la Côte d’Azur, ces jours assez rares où l’hiver n’est pas un concept abstrait. Le ciel gris semble lécher la terre battue, il fait 4 degrés ressentis, et l’air est si traître qu’un homme enrhumé, au fond de la cafétéria bien chauffée de l’académie Mouratoglou, a conservé sa doudoune, ses mains dans les poches et sa capuche comme s’il s’apprêtait à faire une rando-raquette au sommet des Alpes.
Cet homme est Daniil Medvedev. Il manie plutôt pas mal un autre type de raquette – il était encore n°1 mondial il y a trois mois et a privé Novak Djokovic d’un Grand Chelem calendaire en 2021 – et il échange paisiblement avec son coach Gilles Cervara et son préparateur physique Eric Hernandez.
Medvedev a quitté les ATP Finals de Turin les nerfs à vif à peine dix jours plus tôt. Il est enfin mûr pour regarder à froid cet échec de fin de saison et poser les bases de la suivante.
Cervara : « Daniil j’ai besoin d’infos, j’ai besoin de ton feedback sur le Masters. »
Medvedev : « J’ai merdé, c’est aussi simple que ça. Je sers deux fois pour le match… »
Cervara : « Oui mais tu te souviens comment tu as merdé ? Voilà ce que j’ai constaté, dis moi si tu es d’accord… »
Cervara pratique alors l’un de ses trois sports favoris avec le tennis et la boxe : la chasse aux infos. Étape cruciale avant de basculer vers 2023 aussi documenté qu’il le souhaite.
Medvedev : “Pas facile de lui demander”
C’est la sixième fois que Medvedev et Cervara préparent ensemble une saison par ce type d’introspection. La première fois, Medvedev était 65e mondial et avait 21 ans. Il doutait de pouvoir un jour dépasser la 30e place mais venait alors de prendre sa carrière en main en demandant à un Français inconnu de 36 ans, aperçu sur quelques Futures au milieu des années 2000, de devenir son entraîneur à temps plein. Pour voir. Pour tenter le coup. Pour tester ses limites sans regret.
Ça s’est joué au cours d’un autre début de journée, moins frisquet. A l’automne 2017, à Cannes. L’un et l’autre se souviennent de cette séance de musculation comme si elle avait eu lieu la veille. A l’époque, Cervara était un des trois entraineurs que Medvedev avait côtoyés à l’Elite Tennis Center, après le Français Julien Jeanpierre (jusqu’en 2016) et le Monégasque Jean-René « JR » Lisnard, co-fondateur de ce centre d’entraînement avec Cervara quatre ans plus tôt.
Avant, je n’étais pas trop responsable de mes actions, il y avait toujours quelqu’un pour décider à ma place. Mes entraîneurs, mes parents, mes professeurs.
Daniil Medvedev
Ce jour de 2017, Medvedev décide d’entrer dans sa vie d’adulte en sondant Cervara sur la possibilité qu’il puisse devenir son coach à temps plein.
« Ce n’était pas facile de lui demander, je ne savais pas quelle réaction cela allait susciter, raconte Medvedev à Tennis Majors. Je me souviens de cette période comme d’une époque où je grandissais en tant qu’homme, où je prenais enfin mes décisions. Avant, je n’étais pas trop responsable de mes actions, il y avait toujours quelqu’un pour décider à ma place. Mes entraîneurs, mes parents, mes professeurs. Nous n’étions, de façon inhabituelle, que deux à cette séance et je lui ai demandé si ça lui disait de me suivre au maximum l’année d’après, de fonctionner à deux, de voir comment ça marcherait. »
Ça marchera : Medvedev finira la saison 2018 à la 16e place mondiale. Mais avant de lancer l’aventure, il faut lever deux conditions : d’abord que Cervara accepte, ensuite que son partenaire de l’ETC Cannes prenne acte de la volonté du joueur.
“Gilles, je veux que tu saches…”
Côté Cervara, la surprise est aussi forte que sa décision est rapide. « Ce jour-là, je me souviens que Daniil me parle de sa vie privée, de sa rencontre avec celle qui deviendra sa femme et il finit par me dire, sans que je le vois venir : “Gilles je veux que tu saches que je ne veux plus que Jean-René soit mon entraîneur en binôme avec toi et j’aimerais que tu sois mon seul coach si tu l’acceptes”. Instantanément, je trouve ça génial. Il me demande si c’est possible ; dans ma tête je me dis que même s’il y avait un obstacle avec l’association, j’accepterais. C’était une opportunité que j’étais prêt à accepter quoi qu’il arrive. »
« Malgré tout, poursuit Cervara, maintenant que je sais ça, je lui demande d’en parler très rapidement à Jean-René. Daniil le fait dans la journée en nous réunissant tous les trois au déjeuner. Jean-René accepte sans montrer grand chose. Ça se fait comme ça. » « JR a bien réagi, développe Medvedev. Il sentait aussi que c’était une période où ça se passait un peu moins bien entre lui et moi, il ressentait la même chose. »
Personne ne peut alors se douter que l’association entre Medvedev et Cervara va déboucher sur des sommets ; et une première finale en Grand Chelem âprement disputée à Rafael Nadal moins de deux ans après (US Open 2019).
D’un côté, un joueur russe auquel personne ne croit vraiment malgré de régulières fulgurances. Il est grand certes, mais son service est inconstant, il pète souvent les plombs, sa position de retour très reculée est lunaire et sa technique ne figure dans aucun guide du geste d’école. De l’autre un entraîneur qui n’a jamais entraîné sur l’ATP et la WTA Tour, est resté à la porte de sa carrière rêvée de joueur pro et bosse en silence pour atteindre le plus haut niveau sans être certain que cela arrivera un jour.
Cervara : “Est-ce l’ado dégingandé que j’ai croisé plusieurs fois ?”
Cervara sourit en racontant l’histoire de sa première séance avec Medvedev en avril 2014 : « On a rendez-vous à 14 heures mais je ne vois personne qui ressemble à un 13e mondial juniors âgé de 18 ans. Et puis, je finis par me dire que c’est peut être l’ado dégingandé que j’ai croisé plusieurs fois dans le club avec son père et qui ressemble à un jeune qui viendrait faire le stage des vacances de Pâques… C’est lui ! Remarquez, il a dû ce dire ce jour-là en me croisant que je ne ressemblais pas à un coach. »
« Notre système à Cannes laissait le choix aux joueurs de leur entraîneur-référent, reprend Cervara. Daniil avait choisi Julien Jeanpierre (171e mondial en 2006) en premier, ensuite Jean-René, puis éventuellement moi. Il voulait quelqu’un qui avait de l’expérience du haut niveau. J’étais déçu mais je le comprenais et je m’étais dit: ‘C’est pas grave, je vais continuer à travailler’. Sur le terrain, j’aimais ce que je faisais mais ce n’était pas toujours facile, car si tu n’es pas solide, si tu n’as pas d’impact dans ce que tu dégages et représentes face aux jeunes joueurs, au-delà même des résultats, certains peuvent vite te remettre en question. »
Dans le cas de Medvedev, c’est plutôt le contraire qui se produit. Le joueur russe au tempérament si imprévisible perçoit que la sensibilité de ce Cervara produit des résultats sur lui, et que les semaines passées ensemble sont parmi les plus agréables et fertiles en performances de sa jeune carrière, malgré des disputes qui peuvent vite grimper dans les tours. Interrogés séparément pour les besoins de cet article, les deux hommes conservent le même souvenir du jour où la glace s’est brisée et où ils ont pu « se connecter » de façon irréversible, pour reprendre une expression centrale dans le vocabulaire de Cervara.
Le trajet Washington – Montreal
« Cet été 2017, il n’y avait pas d’avion entre Washington et Montréal le lendemain de mon élimination au Citi Open, donc on a fait 12 heures de route et on avait discuté de beaucoup de choses, de la vie, du tennis et j’ai aimé sa façon d’être et de parler, raconte Medvedev. A ce moment-là, ça commençait à me travailler d’essayer une année avec un entraîneur privé. Là, j’ai eu l’intuition que ça pouvait être lui. »
« On arrive à 2 heures du matin au Canada, se souvient le coach. A partir de 22 heures, je m’arrête toutes les heures pour faire des pompes et courir pour m’activer, car je suis fatigué de la route et du voyage transatlantique qui m’a fait arriver la veille… Je suis complètement jet-lagué. Là on apprend à se connaître dans notre fonctionnement. Je fais ce que je sais faire, je guide, j’écoute, je relance par des questions, je dis ce que je pense sans prétendre que j’ai la vérité. J’entraîne avec conviction et réflexion. J’ai une vision à 360 degrés de la perf, je m’éclate à essayer de lui apporter des choses et à le rendre plus pro. Car je sais que tout ce qui entoure le terrain lui est quasiment étranger à l’époque et que son identité, son jeu n’ont pas pas encore le volume et la densité qu’il fallait construire quotidiennement. Sans parler de son intériorité, forte et fragile à la fois.”
Sur le moment, cela débouche sur des impasses mais qui, sur le fond, renforcent l’évidence du travail commun. Au Canada, Medvedev ne prend que quatre jeux au premier tour à Adrian Mannarino. Et les conseils de Cervara ont d’abord le don de le décontenancer. « Je lui parle nutrition et lui dis que, tant d’heures avant le match, ça serait bien qu’il consomme tel aliment. Lui avait l’habitude de manger des pâtes très peu de temps avant de rentrer sur le court, ce qui n’est pas bon parce que ça le fait digérer pendant qu’il joue. Il accepte parce que Daniil est quelqu’un qui cherche à écouter. Il mange ce que je lui propose quand je lui demande, mais le match est interrompu à cause de la pluie et là, il me dit d’un air un peu paniqué qu’il sent qu’il n’a pas assez mangé. »
« Moi, poursuit Cervara, je sais qu’il a les réserves glucidiques nécessaires. Simplement son cerveau n’était pas rassasié, il n’avait pas eu assez de “solide” et j’ai dû lui dire quelque chose comme : ‘allez vas-y, mange tes pâtes’. Juste après, j’ai réalisé que je devais faire attention à la façon dont je l’avais formulé. Mais ce qui compte dans cette histoire, c’est que chacun de nous deux a retenu qu’il avait fait un pas vers l’autre, et c’est comme ça qu’on construit notre relation. J’ai plein d’anecdotes comme ça. »
C’était un moment compliqué dans ma vie privée comme dans le tennis. C’était ma première année dans le top 100. Tu veux faire mieux mais tu vois que beaucoup de joueurs jouent très bien et tu n’es pas sûr d’y arriver.
Daniil Medvedev
Même s’il sort d’un quart à Washington, 2017 est le summer horribilis pour Medvedev. Premier tour à Cincinnati contre Fognini. Cervara laisse sa place à Lisnard. Premier tour à Winston Salem contre Edmund. Premier tour à l’US Open contre Shapovalov et deux derniers sets en forme de démission. « C’est vraiment à l’US Open que je prends ma décision, nous dit Medvedev. C’était un moment compliqué dans ma vie privée comme dans le tennis. C’était ma première année dans le top 100. Tu veux faire mieux mais tu vois que beaucoup de joueurs jouent très bien et tu n’es pas sûr d’y arriver. J’y avais déjà pensé plus tôt dans la saison, mais c’est vraiment contre Shapovalov que la décision de choisir Gilles prend forme. Comme toujours dans ma vie, je prends les décisions spontanément, mais elles me travaillaient avant, et là j’ai décidé que je voulais essayer de m’entraîner seulement avec Gilles. »
« Je demande alors à Daniil quelle est ma latitude, reprend Cervara. Il me donne carte blanche. L’image qui me vient immédiatement c’est que je dois créer une cathédrale, c’est-à-dire prendre en compte tous les paramètres qui existent dans la construction d’un joueur. » Les fidèles de l’actu du tennis apprennent alors à connaître ce sacré duo, capable de clashes spectaculaires en plein match, lors du dernier tiers de la saison 2019 : finale à Washington, finale à Montreal, victoire à Cincinnati, finale à l’US Open, victoire à Saint-Petersbourg, victoire à Shanghai, quatrième place mondiale. Désormais suivi de très près, pour ses spécificités, sur le plan physique et sur le plan mental, Medvedev récidive en 2020 avec une demi-finale à l’US Open, une victoire au Rolex Paris Masters et aux ATP Finals.
Lisnard : “Ce sujet peut me tendre…”
Entre-temps, le monde aura changé. D’abord avec la pandémie. Voyant le confinement venir, Cervara s’organise pour faire louer une maison avec terrain privé dans les environs de Cannes, va chercher son chien à Paris dans la nuit, et son couple se confine avec celui des futurs époux Medvedev pour ne rien lâcher et maintenir l’intensité du travail. Ensuite dans le fonctionnement même de l’équipe. Au retour de New York, Medvedev et Cervara ne reprennent pas les séances à Cannes mais, à 20 minutes de là, sur les courts de l’académie Mouratoglou. Le coach a quitté l’association loi 1901 qu’il avait co-crée fin 2013 avec Jean-René Lisnard. Un clash comme on s’en souvient toute la vie.
C’est une affaire délicate, peu ébruitée dans la presse en l’absence de contentieux judiciaire entre les deux hommes. Mais elle refait surface quand Lisnard livre aux médias une lecture de l’histoire sans rapport avec celle vécue par Medvedev et Cervara, ni les autres témoins que nous avons interrogés. Pas plus tard qu’en octobre, il affirmait au média russe Sport Express que Cervara n’avait jamais travaillé avec Medvedev avant 2018, que Cervara avait lui-même demandé à s’occuper du Russe, et que celui-ci vit, pour résumer, sur les acquis de sa formation à l’Elite Tennis Center.
Interrogé par téléphone, Lisnard a eu la gentillesse de nous accorder quelques minutes même si « ce sujet (peut) le tendre », comme il le dit. Il maintient sa lecture des événements malgré le témoignage de Medvedev que nous lui rapportons. « J’ai en quelque sorte forcé Daniil a être seulement avec Gilles », affirme Lisnard. « Ce que (Cervara) fait avec Daniil, c’est davantage un coaching de tour, du suivi, je n’appelle pas ça de l’entraînement. »
Pris entre deux feux contraires, deux tempéraments très forts à leur façon et – avec le recul – incompatibles, Medvedev observe ce témoignage avec placidité. « On m’a parlé de cette interview, sourit-il. Les faits remontent à il y a quatre ans, peut-être que certains mots de JR ont été changés, peut-être qu’il est normal d’avoir des versions différentes avec des personnes différentes. Mais de mon point de vue, ça s’est passé comme je te le raconte. »
Je suis mon entraîneur et je suis le fil de mon projet, c’est aussi simple que ça.
Daniil Medvedev
« Pour moi, tout s’est toujours bien déroulé au centre à Cannes, poursuit le joueur russe. J’y ai joué six ans, j’y ai plein d’amis. Je voyais bien qu’il y avait des tensions entre Gilles et JR, pour différentes raisons. La ligne que j’ai choisie, c’est que j’interviendrais en cas de nécessité, mais ce moment n’est jamais venu. Mon approche des relations, c’est que si on ne me fait rien, je ne vous juge pas mal en retour. JR ne m’a jamais rien fait. »
« Mais bien sûr, poursuit le Russe, quand Gilles prend sa décision de partir, je spécifie que c’est avec lui que je veux m’entraîner et donc je pars avec lui. Je suis mon entraîneur et je suis le fil de mon projet, c’est aussi simple que ça. Si demain, Gilles m’explique qu’il veut déménager dans une autre région, ça appellera à un autre niveau de réflexion pour pouvoir travailler ensemble (ils vivent aujourd’hui à 45 minutes de route l’un de l’autre, ndlr). Mais là c’était facile de dire : ‘je le suis’. »
Facile pour Medvedev. Plus dur pour son coach. Les raisons qui ont poussé Cervara à quitter Cannes sont nombreuses, mêlées et inflammables. Le Français pèse ses mots pour refaire le fil de l’histoire. « Après 2017 l’implication que je mets avec Daniil me prend beaucoup de temps, d’énergie, de réflexion, d’engagement. Forcément, cette mission me prend 98% de mon temps et je veux la mener à bien. Je garde le contact avec d’autres projets forts (Sofia Costoulas, Alen Avidzba…) mais l’espace-temps disponible pour m’occuper d’eux diminue de plus en plus…. »
Cervara : “Quand je quitte Cannes, je ne suis pas sûr que Daniil va me suivre”
« Je monte l’équipe autour de Daniil, les résultats sont là mais les résultats ne sont que la face visible d’une connexion entre nous et d’un travail hyper bien calibré à la personnalité et au jeu de Daniil. Ce qui se passe d’important, c’est que je m’éclate et que je sens que je suis doué pour cette mission. 2018 est une année avec trois titres. Je fais juste mon boulot sans vraiment le réaliser, mais en réalité nous sommes déjà rentrés dans une histoire particulière Daniil et moi. Une distance se crée avec Jean-René. »
« En 2019, peu avant l’explosion visible de Daniil, les choses se dégradent et les tensions s’accumulent quand je propose ma voie pour reconfigurer les choses d’une façon qui me semble juste et plus pérenne pour l’asso. En 2020, on n’a plus la même vision et on n’arrive pas à s’entendre. Le COVID me permet de prendre le temps de réfléchir à ma situation au sein de l’association qui ne me plait pas, qui ne me va pas. Pendant l’US Open 2020, je sais que c’est fini et que je vais partir.”
« A ce moment-là, poursuit Cervara, je ne peux pas être sûr que Daniil va me suivre. Pour deux raisons. D’abord car là où je travaille, à Cannes, j’entends dire que Daniil est un joueur de l’association et que je ne suis pas son entraîneur, mais un entraîneur parmi les six ou sept de l’association, alors que je suis co-manager depuis sept ans et co-fondateur (sympa !). L’autre, c’est que je prends une décision qui ne concerne que moi, par rapport à une situation que je ne veux plus vivre, et bien sûr je ne me sens pas de l’imposer à Daniil. »
Je n’ai jamais fait allégeance à Jean-René Lisnard, ni en 2013 au moment du lancement, ni après.
Gilles Cervara
Lisnard nous décrit par téléphone une « histoire tellement classique » où vils enjeux économiques, trahison des valeurs et « coup de couteau dans le dos » cohabitent. « C’est ce qu’il ressent, j’en prends acte mais ce n’est pas mon problème, répond cliniquement Cervara. Les raisons pour lesquelles je suis parti sont 100% justifiées et légitimes, humainement, professionnellement et économiquement. Si les choses ne sont pas justes pour moi, je suis libre de ne pas être d’accord et de choisir pour ma vie. Et c’est ce que j’ai fait, meme si ça ne plaisait pas. Je n’ai jamais fait allégeance à Jean-René Lisnard, ni en 2013 au moment du lancement, ni après. Je pourrais même être flatté que Lisnard s’attribue, comme on me l’a rapporté, le mérite de m’avoir formé. Mais je me demande surtout comment une telle idée a pu naître dans son esprit. La question de la formation n’était même pas un sujet entre nous puisque nous étions partenaires en tant que co-créateurs et co-managers depuis le premier jour. »
« Certes, il était le numéro un, par sa notoriété d’ancien 84e mondial à l’ATP, mais nous étions égaux par notre inexpérience dans le pilotage d’une structure d’entraînement. J’avais déjà six ans d’expérience en tant qu’entraîneur, lui deux après l’arrêt de sa carrière de joueur. Sans par ailleurs lui manquer de respect, il n’est pas et n’était pas une référence pour moi comme entraîneur. »
Gilles “le négociateur” Cervara
Cervara se souvient que ce qui a fini par les séparer a pu être utile au départ. Leur duo avait, comprend-on en filigrane, un côté good cop bad cop qui a d’abord aidé le fonctionnement de l’Elite Tennis Center, avant de favoriser une prise de conscience par Cervara de ses qualités premières et d’une impossibilité de les exprimer à l’ETC. « Je voulais progresser en tant qu’entraîneur et j’étais motivé autant par la partie sportive que par la partie, disons diplomatique et managériale. Je me débrouillais bien pour apaiser et gérer les tensions qui pouvaient survenir avec les parents et les joueurs. On me surnommait même ‘Le Négociateur’ ». Avec Lisnard pourtant, le fil de la négociation sera perdu.
Medvedev est tenaillé entre ces deux pôles et voit petit à petit l’alternative se dessiner. “En avril 2017, on le fait reprendre trop tôt en tournoi et il se blesse à Budapest en revenant d’une mononucléose, se souvient Cervara. Il joue ensuite Roland avec dix jours d’entraînement. Il abandonne sur crampes face à Bonzi. Là, je me souviens d’un moment important pour la suite, pendant le débriefing. Avec Jean-René on n’était pas d’accord sur le discours à opposer à Daniil. Jean-René voulait le bousculer en disant qu’il n’avait pas fait son maximum… Or Daniil était convaincu d’avoir donné tout ce qu’il avait. Au lieu de le pourrir, je lui ai dit avec empathie: “Daniil, je te crois, tu as fait ton maximum mais ton maximum n’était pas assez élevé, on va travailler pour l’élever”. Je pense que cet événement n’a pas été anodin. »
Medvedev : “Ce n’est pas à Gilles, mais à moi, de faire mieux”
Cinq ans après, Medvedev est un des meilleurs joueurs du monde, mais la saison 2022 n’a pas été à la hauteur des attentes des deux hommes avec deux titres mais aucun Masters 1000, une finale perdue en Grand Chelem et une 7e place mondiale à l’arrivée. Pourtant la décision de continuer ensemble a été aussi rapide et évidente que d’habitude. « Comme dans tous les métiers, on a un contrat avec des clauses qui tentent de prévoir les choses, et ce contrat prévoit qu’on travaille ensemble pour un an (renouvelable, ndlr), décrit Medvedev. Ça a toujours été facile de le renouveler. »
« Chaque année après l’US Open, je lui pose la question de savoir s’il veut continuer révèle Cervara. Je ne pense jamais que c’est évident. Parfois tu peux ressentir le besoin ou l’envie de changer pour pouvoir vivre une autre expérience même quand ça marche. Je pourrais le comprendre venant de Daniil car moi-même, je peux aussi avoir cette tendance, cette liberté et cette envie de challenge. » Jusqu’à aujourd’hui, la discussion autour d’un arrêt de la collaboration a toujours été jugée sans objet.
« Ça reste évident de mon côté qu’il faut continuer, dit Medvedev. La saison a juste été ‘moins bonne’, elle n’était pas pourrie. Je sens qu’ensemble, je peux encore progresser comme joueur et lui comme entraîneur. A Turin, je sers deux fois pour le match et je perds trois fois en poules 7-6 au troisième. Mais ça reste trois matchs de haut niveau. Ce n’est pas à Gilles, mais à moi, de faire mieux. On travaille bien, ça va payer. » Autour de la table, sous sa doudoune, Medvedev se promet de faire mieux en 2023 qu’en 2022. Il sait maintenant pourquoi il « a merdé » aux tie-breaks du troisième.