Musetti, le diamant brut qui a tous les possibles devant lui
Lorenzo Musetti est une des nouvelles coqueluches du circuit. Son talent seul ne suffira pas à le porter au sommet, mais il y est promis.
Un talent inné, un revers de toute beauté et un tennis sans faille béante, fait de créativité et de spontanéité. Lorenzo Musetti (19 ans) est un artiste, en particulier comparé à ses compères de la Next-Gen, au jeu plus puissant et “automatique” pour la plupart.
Aujourd’hui 88e mondial, le joueur italien va connaître son meilleur classement après le tournoi de Lyon, pour lequel il est déjà en quart de finale après ses succès contre Félix Auger-Aliassime (N.7) et Sebastien Korda. Plus que ses résultats en flèche et sa précocité, ce qui frappe à le voir jouer est la beauté de son jeu, la douceur apparente de ses coups et le potentiel sportif fabuleux que celui-ci semble contenir. Un diamant brut.
“J’aime quand il suit son instinct, explique son coach Simone Tartarini à Tennis Majors. Quand je vois Lorenzo jouer, pour moi, c’est comme voir un vieux joueur, venu d’une autre époque.”
Il a tellement d’armes à sa disposition.
Robbie Koenig
Au cours de sa carrière encore balbutiante – il a disputé son vingtième match sur le circuit ATP à Barcelone le mois dernier –, Musetti a déjà fait la démonstration de sa capacité à déséquilibrer ses adversaires avec ses variations et ses amorties incroyablement touchées, qu’il réalise avec un excellent sens du timing et une efficacité bluffante.
“Nous avons vu à quel point ça pouvait être efficace chez les juniors, et pour l’instant c’est fantastique chez les seniors, je ne pense pas qu’il en ait abusé, soufflé le commentateur Robbie Koenig, ancien joueur ATP qui couvre le circuit pour Amazon Prime. Il a tellement d’armes à sa disposition…”
L’amortie n’est pas le seul coup d’exception dans la palette de Musetti.
“Il a un bon service, qu’il peut encore améliorer, explique Koenig. Son coup droit est solide. Son revers est bien amené, il peut mettre des mines en long de ligne, un super oeil. Et surtout il ne craint pas de finir les points au filet.”J’ai été surpris par son revers.
Kei Nishikori, battu par Musetti à Rome l’année passée, a indiqué à Tennis Majors que le jeu étincelant de l’Italien l’épatait lui aussi.
“Ses frappes sont très lourdes, des deux côtés. J’ai été surpris par son revers, et de voir comment il peut rentrer dans la balle de derrière.”
Nishikori a aussi remarqué que Musetti, qui a grandi sur terre battue, et préfère la terre rouge européenne, se révèle tout aussi dangereux sur des surfaces plus rapides.
“Bien sûr qu’il peut battre n’importe qui sur terre battue, mais je l’ai vu bien jouer à Miami (et à Acapulco), sur les derniers tournois sur dur, donc c’était bien de s’apercevoir qu’il peut jouer sur toutes les surfaces. Gazon je ne sais pas, je n’ai jamais vu, mais je suis sûr qu’il sera bon et il a un sacré potentiel.”
Le plus gros défi pour Musetti ? Faire le bon choix
Koenig estime que le défi que représente affronter les meilleurs joueurs pourrait s’avérer difficile à relever à court terme parce que l’Italien a tellement d’armes à sa disposition qu’il va lui falloir beaucoup travailler tactiquement pour savoir quel coup fonctionner le mieux contre chaque joueur et dans chaque situation – un travail qui a notamment été clef dans la progression de… Roger Federer. L’Espagnol Carlos Alcaraz, une autre pépite qui monte en puissance sur le circuit, aura moins de difficultés de ce point de vue, simplement parce que son jeu est plus unidimensionnel.
“Je pense qu’il fait probablement des joueurs les plus complets actuellement”, souffle Koenig au sujet de Musetti, avant d’ajouter : “Carlos est un joueur fantastique aussi, mais je ne lui vois pas la même palette. Mais est-ce que ce ne serait pas plus mal ainsi ?”
“Je pense toujours à quelqu’un comme David Ferrer. Ce qu’on appelle le talent et ce qu’on voit comme de l’esthétisme, il n’avait pas vraiment tout ça, mais sa prise de décision était si simple: ‘Je frappe mon revers croisé 95% du temps et je ne vais pas changer de direction parce que c’est difficile à faire, mais quand je suis sur mon coup droit, je vais ce que je veux et je peux courir toute la journée.'”
Musetti par Musetti
Musetti lui-même partage la plupart de ces constats. “Oui, je pense que c’est un vrai challenge, mais c’est ce que je fais, et quand je joue bien, quand je joue mon meilleur tennis, c’est que je choisis le bon coup, les bonnes armes dont je dispose. Quand je joue à mon meilleur niveau, c’est toujours que je fais les bons choix, analyse Musetti. Et c’est aussi ce que je cherche à faire à l’entraînement. Les mêmes erreurs que je commets parfois en match, je les fais aussi à l’entraînement, donc j’essaie d’améliorer mon jeu à l’entraînement, notamment l’intensité et toute la concentration que je peux y mettre. Je pense que l’entraînement est une clé pour développer mon meilleur tennis sur les tournois.”
Musetti affirme qu’il joue son meilleur tennis quand il laisse le jeu venir à lui. Il est comme un jazzman en plein solo, ou un danseur qui improvise, décidant en quelque sorte de son prochain mouvement au dernier moment.
“Quand j’ai de bonnes sensations sur le court, ça me vient naturellement, de jouer, de faire des amorties et des ‘trick-shots’, tout ce que tu peux appeler des variations. Je pense que c’est l’un de mes meilleurs atout et je pense que c’est parfois la clé pour gagner dans des conditions compliquées.”
Musetti dans le moule de Federer, Alcaraz dans celui de Nadal
Koenig n’est pas le moins intrigué simultané mais si différent des deux post-ados Musetti et Alcaraz, sans oublier l’autre valeur montante du même âge, l’Italien Jannik Sinner. Il les imagine déjà comme le Big 3 de la Next-Gen :
“Je vois Musetti comme un jeune Federer, avec toute sa palette technique. Je vois Alcaraz un peu comme un Rafa, en version droitier, ce joueur avec une puissance brute qui joue si bien sur terre battue. Et enfin Sinner est presque le mélange des deux, peut-être à la Djokovic, qui peut frapper la balle des deux côtés, qui sert très bien, se déplace comme une gazelle sur le terrain, donc je pense que le tennis va avoir droit à d’autres rivalités dans le futur.”
Marin Cilic, vainqueur de l’US Open 2014, a affronté Musetti et Alcaraz, et s’est prêté avec plaisir au jeu des comparaisons entre les deux joueurs pour Tennis Majors :
“Ce sont des styles un peu différents, entre Lorenzo et Carlos, a lâché Cilic en conférence de presse à Estoril le mois dernier. Lorenzo aime jouer un peu plus loin de sa ligne de fond de court, il aime s’ouvrir le court, utiliser des angles, a un super toucher. Il a aussi un revers à une main, joue slicé et je pense que la terre battue est sa surface favorite.”
“Il a déjà produit du super tennis. Et de ce point de vue, j’ai la sensation qu’il est peut-être un peu en avance sur Carlos. Carlos arrive tout juste sur le circuit et a un jeu un peu différent. Carlos joue de manière plus agressive et essaye d’attaquer, de mettre un peu plus de pression sur l’adversaire. Je pense que les deux ont des jeux qu’ils peuvent énormément améliorer.”
Musetti est déjà un formidable compétiteur
Les talents d’artiste et la créativité ne sont pas les seules armes que Musetti possède. Il a aussi fait étalage d’une vraie capacité à répondre présent dans les grands rendez-vous. Il en a fait la démonstration en 2020 en dominant Nishikori et Stan Wawrinka à Rome, et à nouveau en début de saison, quand il a atteint les demi-finales à Acapulco, avec des victoires contre Diego Schwartzman, Frances Tiafoe et Grigor Dimitrov. Quelques semaines plus tard, sur terre battue, il a sauvé quatre balles de match pour finir par vaincre Dan Evans. Encore une preuve de sa résistance à la pression.
“J’adore son attitude sur le terrain, s’enthousiasme Koenig. Il ne s’enflamme pas trop, il semble très en contrôle. Peut-être que toutes ses qualités c’est celle-là qui me plait le plus.”
Koenig estime que débuter sa carrière en étant aussi “clutch” pourrait donner le ton pour la suite de sa carrière.
“Je pense que c’est très important de répondre présent quand tu es jeune. Je l’ai vu servir pour le match dans des matchs serrés, on a vu son parcours à Acapulco, combien de matchs serrés dans lesquels il s’est battu pour s’en sortir ? Si tôt dans sa carrière, il prend confiance sur le fait qu’il est à sa place et en plus qu’il peut gagner dans des situations tendues. Et je pense que ça va le mettre dans une excellente position, pour les deux ou trois prochaines années, en plus du calme dont on a parlé.”
Lorenzo a appris à jouer comme un top joueur, mais il doit encore apprendre à avoir la mentalité d’un top joueur
Simone Tartarini (son coach)
Musetti a encore une vraie marge de progression et du temps devant lui. Son coach Simone Tartarini a ciblé le retour.
“Nous devons améliorer le retour et il doit jouer près de sa ligne de fond de court, ce sont nos objectifs pour le futur.”
Tartarini, qui entraîne Musetti depuis son plus jeune âge, juge que son protégé doit aussi se développer mentalement et, encore plus important, gagner de l’expérience sur le circuit. “Je pense que Lorenzo a appris à jouer comme un top joueur, mais il doit encore apprendre à avoir la mentalité d’un top joueur. Maintenant pour Lorenzo, le plus important est de jouer le plus de matchs possible pour améliorer sa mentalité, les résultats viendront plus tard. Lorenzo a une bonne technique, mais il doit apprendre à savoir quand et comment utiliser ses armes.”
Koenig aimerait voir Musetti avec un premier service un peu plus tranchant.
“Je pense que ceux qui ont grandi sur terre battue ont tendance à servir un peu trop kické en première balle, et même si ce n’est pas toujours le cas, j’aimerais bien le voir en mettre un peu plus sur son service. Même si son pourcentage de première baisse, ce n’est pas grave, s’il obtient plus de points gratuits sur son service. Donc je veux le voir continuer à taper des seaux et des seaux de services, parce que c’est le coup le plus important. Techniquement c’est très bien, mais le plus important, c’est qu’il ne soit pas dans l’état d’esprit : ‘Juste un kick et après on démarre un rallye.'”
Il peut aussi, éventuellement, jouer son revers de manière plus précoce, souffle Koenig.
“De loin dans le court, quand il se donne du temps, il est fantastique, mais je veux aussi le voir compléter ça en ayant un geste plus court et peut-être prendre la balle en montée.”
Il y a peu de faiblesses dans le jeu de Musetti. A 19 ans, il semble avoir toutes les armes, le panache et cette faculté à produire son meilleur tennis dans les moments cruciaux. Le temps dira s’il obtiendra un jour des résultats en phase avec son potentiel. Mais à son âge, il démontre qu’il a un temps d’avance.
Sa première apparition dans le tableau principal d’un Grand Chelem, à Roland-Garros fin mai, sur sa surface favorite, sera une excellente opportunité pour Musetti pour montrer au monde de quoi il est fait. Et peu importe qu’il gagne ou qu’il perde, ce ne sera qu’une étape. Une de plus vers les sommets auxquels il est promis.