La course à la place de numéro 1 mondial n’aura pas lieu
Principal concurrent de Carlos Alcaraz pour la place de numéro un mondial, Rafael Nadal a manifesté un désintérêt persistant pour ce feuilleton qui a tout, pourtant, pour rendre passionnante la fin de saison.
Il nous en faudra plus pour bouder notre plaisir de suivre le Rolex Paris Masters 2022. Mais quand, mardi, Rafael Nadal a sorti son sourire amusé un brin suffisant, celui qui signifie qu’il est en train de préparer une petite phrase à bien garder en tête, on a compris qu’il notre grille de lecture du tournoi était sur le point de changer.
« Je vois que vous (les médias), vous trouvez ça intéressant puisque vous en parlez beaucoup, mais je vais être clair : je ne me bats pas pour être numéro un mondial, vous comprenez ? », a indiqué le numéro 2 au classement ATP. « Je me bats juste pour être compétitif quand je m’aligne dans un tournoi. »
« Je l’ai déjà dit et je le répète : vous ne me verrez plus me battre pour être numéro un mondial. C’est du passé pour moi. J’ai été heureux quand ça m’est arrivé, mais à ce moment de ma carrière, je ne cours plus du tout après ça. » Il disait à peu près la même chose mot pour mot en 2020, sur le même fauteuil, de la même salle des sous-sols de l’Accor Arena.
Dimanche encore, Cédric Pioline, le directeur du tournoi, avait placé la course à la première place mondiale au coeur des multiples bonnes raisons de suivre le dernier Masters 1000 de la saison. Mais après avoir écouté les meilleurs joueurs du monde à leur arrivée à Paris ces deux derniers jours, pas seulement Nadal, l’impression s’impose que ce feuilleton n’en est pas vraiment un pour les intéressés.
Voir Djokovic s’emmêler les pinceaux en affirmant qu’Alcaraz avait déjà sécurisé sa place – ce qui est faux, et pas qu’un peu – était à l’image du brouillard qui entoure le trône, même s’ils sont quatre, dans l’actuel Top 5, à pouvoir ambitionner de finir 2022 pour le conquérir, dont trois à n’avoir jamais connu cette réussite, sur fond de rivalité entre générations.
Le classement ATP avant le Rolex Paris Masters
- Carlos Alcaraz : 6730 points
- Rafael Nadal : 5810 points
- Daniil Medvedev : 5655 points [hors course, trop de points à défendre]
- Casper Ruud : 5510 points
- Stefanos Tsitsipas : 5035 points
Le contraste est saisissant avec 2021. Il y a un an, au bout d’une saison épuisante au cours de laquelle il était passé à un match d’égaler le Grand Chelem calendaire de 1969 de Rod Laver, Novak Djokovic avait choisi de venir disputer le Masters parisien précisément par ambition d’être numéro un mondial pour la septième année de sa carrière – record absolu. Il y était parvenu après 2011, 2012, 2014, 2015, 2018, et 2020, donnant corps à ce « rêve devenu réalité », pour reprendre ses mots de 2020 quand il avait égalé son idole Pete Sampras.
Pour conférer à cet aboutissement la saveur qui lui semblait due, Djokovic avait fair venir sa famille de Serbie et veillé à vivre cet instant devant ses enfants. L’une des images fortes de sa carrière.
Carlos Alcaraz, titulaire de la place, depuis bientôt deux mois, n’est pas en situation d’attiser les braises à l’image d’un Djokovic au sommet de son art. Numéro un mondial le plus jeune de l’histoire à 19 ans – ce qui lui a valu une jolie coupe décernée lundi sur le central – il doit encore la conserver pour rendre sa saison parfaitement aboutie.
Pour y parvenir, il devra réaliser des performances proches de celle qu’il avait réalisées ce printemps ou à la fin de l’été, un rythme qui n’est pas du tout le sien depuis l’US Open (3 victoires, 3 défaites).
L’Espagnol se trouve à ce moment d’une carrière où tout va trop vite et tout est trop beau, où son statut crée subitement une obligation de résultats et une pression sans filtre, sans avoir pu prendre le temps de s’organiser et de trouver de nouvelles mécaniques de protection.
« Il a tout, et pas seulement sur le plan tennistique, pour s’installer à cette place qu’il mérite amplement », a dit Djokovic mardi. « Mais il vit aussi cette expérience très particulière, d’être au sommet, une place dont tout le monde veut vous chasser. Il doit maintenant protéger sa place, protéger ses points, et ça n’a vraiment rien à voir sur le plan mental. »
Ce sera très difficile. Mes poursuivants sont tous de grands joueurs qui ont de sérieuses chances.
Carlos Alcaraz
C’est la raison pour laquelle protégé de Juan-Carlos Ferrero n’affiche son ambition que du bout des lèvres à deux semaines de ses premiers ATP Finals. « Je me suis fixé comme objectif de finir n°1 mais vous savez, ce sera très difficile, a-t-il déclaré lundi. Mes poursuivants sont tous de grands joueurs qui ont de sérieuses chances. Je veux juste jouer, y prendre plaisir et montrer le meilleur de moi-même. »
On comprend aussi qu’une gêne à un genou l’empêche de jouer avec le relâchement et la puissance qui l’ont rendu irrésistible entre février et septembre.
Alcaraz dit qu’il veut « show my best » (« montrer le meilleur de lui-même »), tandis que Nadal a ressorti le fameux « try my best » (« essayer du mieux possible ») : ces deux formules racontent la pudeur de gazelle des deux Espagnols face au combat fascinant qu’ils refusent de mener explicitement.
Le jeune papa de 36 ans a d’autres raisons de la jouer profil bas. Il a été blessé trois fois cette saison (côtes à Indian Wells, pied à Rome et Roland-Garros, abdomen à Wimbledon), il sait aussi qu’il il n’a aucune grande référence en indoor digne de son statut depuis le Masters 1000 de Madrid en 2005, et il a connu les affres des abandons et des forfaits de fin de saison à Paris.
Mais le joueur de Manacor a aussi quelques carottes de prestige s’il veut faire violence à sa nature. Le vainqueur de deux titres du Grand Chelem cette année (et de 22 matches sur 23 à ce niveau) n’a notamment aucun point à défendre, ni à Paris, ni à Turin, même si ses rivaux n’ont pas grand chose non plus.
Les points ATP à défendre au Rolex Paris Masters
- Alcaraz : 90 points (1,33% de son total)
- Nadal : 0 point (0%)
- Medvedev : 600 points (10,6%)
- Ruud : 180 points (3,2%)
- Tsitsipas : 0 point (0%)
Si le feuilleton ne prend pas, c’est peut-être aussi parce qu’il est déséquilibré. Sur le papier, Casper Ruud et Stefanos Tsitsipas peuvent décrocher la première place si les planètes s’alignent pour eux. Mais personne n’y pense sérieusement.
On pourrait ajouter qu’on ne leur souhaite pas : être numéro un à l’ATP en 2022 sans avoir gagné de Grand Chelem ni de Masters 1000 (Ruud), sans avoir fait mieux qu’une demie en majeur (Tsitsipas) serait commenté comme une incongruité, peut-être par les intéressés eux-mêmes.
Casper Ruud, quatrième mondial, tire lui aussi la lague depuis l’US Open (3 victoires, toutes contre des joueurs au-delà du Top 100 ; 3 défaites, toutes contre des joueurs au-delà du Top 50 avant son premier tour contre Gasquet) après une saison extraordinaire.
Stefanos Tsitsipas a retrouvé du saignant depuis sa terrifiante défaite au premier tour de l’US Open, mais son niveau est pour l’instant celui d’un finaliste sur le Tour, battu à Stockholm par Holger Rune et à Astana par Novak Djokovic. Le Grec n’a plus réalisé de performance de premier plan depuis le Masters 1000 de Monte-Carlo en avril.
La vision synthétique des enjeux que nous pouvions présenter pour le Rolex Paris Masters est la suivante :
- Carlos Alcaraz est dans l’incapacité de sécuriser sa première place 2022 à Paris même s’il gagne le trophée et que tous ses rivaux perdent d’entrée ;
- Alcaraz est certain d’aborder les ATP Finals à la première place s’il atteint les quarts de finale à Paris, quels que soient les résultats des autres ;
- Rafael Nadal sera numéro un mondial la semaine prochaine, pour la première fois depuis janvier 2020, s’il gagne le tournoi et que Carlos Alcaraz ne dépasse pas les huitièmes de finale ;
- Casper Ruud peut se rapprocher à moins de 400 points de la première place sous diverses conditions ;
- Stefanos Tsitsipas peut se rapprocher à moins de 700 points de la première place sous diverses conditions.
Dans la course aux honneurs à l’échelle de l’histoire du tennis que mènent seuls Novak Djokovic et Rafael Nadal depuis la retraite de Roger Federer, Nadal, numéro un en fin de saison en 2008, 2010, 2013, 2017 et 2019, a au moins deux médailles à chasser. Celle du numéro un mondial le plus âgé en fin de saison, détenue Djokovic avec 34 ans 7 mois 9 jours. Et, à terme, celle du numéro un mondial le plus âgé tout court, détenu par Roger Federer à 36 ans, 10 mois, 10 jours en juillet 2018, âge que Nadal aura fin mars 2023.
« C’est un honneur pour moi d’écrire l’histoire de ce sport. La rivalité (Djokovic-Nadal) n’est pas terminée. » Ces mots, prononcés dimanche à Paris, l’ont été par Novak Djokovic, et pas par Rafael Nadal, dont la nature a toujours été de chasser les titres et les honneurs en refusant quasiment d’en parler.