“Il me rappelle moi-même plus jeune” : Djokovic-Rune, la finale (idéale) entre générations
La finale du Rolex Paris Masters sera un parfait symbole de ce qu’aura été la saison 2022 : un duel transgénérationnel entre Novak Djokovic, 35 ans, et l’un des éminents représentants de la “Next Next Gen”, Holger Rune (19 ans). Le Serbe voudra continuer, comme il le dit, de “botter les fesses” à la jeunesse. Mais le Danois ne lui tendra probablement pas son postérieur.
Il n’y aura pas de “Djokodal”. Pas de numéro 1 mondial, pas de Felix-Auger-Aliassime non plus, le cador automnal de l’indoor, cette année en finale du Rolex Paris Masters. Mais celle-ci aura tout, néanmoins, de la finale idéale, ce dimanche, entre Novak Djokovic, 35 ans, et Holger Rune, 19 ans, les deux joueurs qui auront fait la plus forte impression tout au long de la semaine.
Entre ces deux-là, 16 ans d’écart et un léger différentiel d’expérience : Djokovic, l’homme aux 21 Grands Chelems remportés, jouera sa 56e finale en Masters 1000 (la huitième à Bercy) quand Rune jouera sa toute première.
Jamais d’ailleurs n’avait-on vu un tel écart d’âge en finale d’un tournoi de cette catégorie. Celle-ci tombe à pic, au crépuscule d’une saison où les deux générations se seront livrées, mais peut-être un peu trop à distance, un duel superbe pour les plus grands titres.
A eux deux, les “papys” Novak Djokovic et Rafael Nadal ont gagné trois des quatre titres du Grand Chelem (Open d’Australie, Roland-Garros, Wimbledon). Le “rookie” Carlos Alcaraz, six jours de moins que Rune, a gagné le quatrième (US Open) avant de devenir dans la foulée le plus jeune numéro 1 mondial de l’histoire.
Il était temps cette année que la génération la plus glorieuse de l’histoire du tennis et celle qui promet monts et merveilles finisse par s’expliquer dans une finale au sommet. En ce sens, celle de ce dimanche entre Novak Djokovic et Holger Rune sera un peu plus qu’un match : ce sera presque une guerre des étoiles, entre le maître Yoda du tennis mondial et un jeune padawan qui gravit les étapes à la vitesse de la lumière.
Ça signifie beaucoup pour moi de gagner ce genre de match. Je veux montrer que je suis toujours là pour rivaliser avec les jeunes.
Novak Djokovic
Dans une interview accordée à Eurosport en début de semaine, Djokovic clamait son envie de “botter les fesses” à la jeune génération. Samedi soir, après avoir battu Stefanos Tsitsipas sur le fil en demi-finale, il l’a répété en substance : “Ça signifie beaucoup pour moi, mentalement et émotionnellement, de gagner ce genre de match. Parce que j’ai un message à faire passer. Je veux montrer que je suis toujours là pour rivaliser avec les jeunes.”
Y compris ceux qu’il apprécie beaucoup et c’est le cas, manifestement, de Holger Rune. Les deux hommes se sont souvent entraînés ensemble à l’académie Mouratoglou ou à Monte-Carlo, et ils se sont affrontés une fois, en 2021, au 1er tour de l’US Open. “Djoko”, alors numéro 1 mondial, l’avait emporté mais Rune, pour son premier majeur, sortant des qualifications, avait frappé les esprits en lui prenant un set, avant d’être touché par les crampes. Il avait aussi marqué par son culot après le match en déclarant : “Si j’avais été à 100% physiquement, j’aurais eu une chance, c’est sûr.”
Il me rappelle un peu moi-même plus jeune. Il se bat sur tous les points comme s’il jouait sa vie. Je pense qu’il est très bon pour l’image du tennis.
Novak Djokovic
“Holger est quelqu’un que j’apprécie beaucoup, lui, sa famille et son équipe”, a souligné Novak Djokovic samedi après sa victoire. “J’ai suivi son ascension ces deux-trois dernières années. Il a énormément progressé, il est devenu très fort physiquement. Il a une grande éthique de travail et mérite son succès actuel.”
Si le Serbe a des affinités particulières avec le jeune Danois, c’est peut-être aussi pour cette drôle de raison : “Il me rappelle un peu moi-même plus jeune. Il a un revers solide, une très bonne défense et il se bat sur tous les points comme s’il jouait sa vie. Je pense qu’il est très bon pour l’image du tennis. Il n’y aucun doute qu’il incarne le futur de ce sport, avec Alcaraz et d’autres.”
S’il n’en a pas parlé, il y a peut-être un autre domaine dans lequel Djokovic se revoit dans sa jeunesse : le caractère impétueux de Rune, que l’intéressé a (eu) d’ailleurs parfois du mal à dompter depuis ses débuts chez les pros, quitte à s’attirer certaines foudres.
A l’image de ces propos de Stan Wawrinka qui, après avoir perdu face à lui au 1er tour de Bercy malgré trois balles de match, lui aurait soufflé lors de la poignée de mains d’arrêter “de se comporter comme un bébé” (propos que le Suisse n’a toutefois pas confirmés).
“Il a un caractère bien trempé, comme tous les grands champions et ce qu’il faut, c’est que ça n’entrave pas à la performance”, disait dans la semaine Patrick Mouratoglou, qui travaille étroitement avec Holger (aux côtés de son entraîneur Lars Christensen) depuis début octobre. “Holger est quelqu’un qui a beaucoup d’émotions sur le court, mais comme beaucoup. Certains parviennent à le canaliser et deviennent de grands champions, d’autres n’y arrivent jamais. Holger avait, jusque-là, un peu tendance à les laisser prendre le pouvoir. Je trouve qu’il a énormément progressé là-dessus.”
“Si Alcaraz n’était pas là, un joueur de 19 ans qui accomplit de telles performances, tout le monde dirait que c’est incroyable.”
Patrick Mouratoglou
A voir s’il le fera aussi pour sa première finale en Masters 1000. Sur ce qu’il a montré depuis le début de la semaine, on aurait tendance à penser qu’il ne sera du genre à se laisser impressionner ni par le contexte, ni par le pedigree de l’adversaire.
Reste le niveau tennistique pur, placé en cette fin de saison à une hauteur stratosphérique par Novak Djokovic, qui n’a plus perdu le moindre match depuis Roland-Garros (hors Laver Cup). Soit 20 succès consécutifs. S’il l’emporte ce dimanche, l’ancien numéro 1 mondial remportera son 39e Masters 1000 (record amélioré) dont 7 à Bercy (record amélioré) qui deviendra alors son Masters 1000 le plus prolifique, devant Miami et Rome.
Si c’est Rune, il deviendrait le second teenager à s’imposer à Bercy après Boris Becker (18 ans) lors de la première édition en 1986. Et le second teenager à gagner un Masters 1000 en 2022 après Carlos Alcaraz (Miami et Madrid). Accessoirement, il percerait la barrière du top 10.
“Si Alcaraz n’était pas là, un joueur de 19 ans qui accomplit de telles performances, tout le monde dirait que c’est incroyable, relevait Patrick Mouratoglou vendredi. Or, comme Alcaraz est n°1 mondial, on fait moins attention à lui. Tant mieux, dans un sens, parce que fait un peu moins de pression sur lui.”
Il devient quand même de plus en plus difficile de se cacher. En cas de sacre, ce sera impossible.