Doha : “Je suis content, mais ma fille me manque”, Gaël Monfils
Gaël Monfils a retrouvé le chemin de la victoire à Doha et il en est ravi, même si sa double vie de papa-joueur n’est pas si facile à gérer. Mais entre la lutte avec les petits jeunes qui montent, les JO et son envie d’être encore sur le circuit à 40 ans, Monfils a de l’envie à revendre.
Gaël Monfils a désormais parfaitement conscience du temps qui passe. Alors que sa semaine à Doha le rapproche pour le moment du Top 50 et le replace dans le Top 4 français en vue de la qualification pour les Jeux Olympiques, le Tricolore gère du mieux qu’il peut l’équilibre entre ses ambitions sur le court et ses envies de vie hors du court.
Quand on lui demande où il en est vraiment en termes de jeu et d’envie, il commence par sourire avant de lancer, surtout pour lui-même : “Est-ce que j’ai envie d’être honnête ou pas ?” Il décide de l’être : “C’est assez marrant parce que je joue bien et je suis content, mais ma fille me manque énormément. Les jours commencent à être longs mais on fait avec. Je suis content d’enchaîner mais j’ai hâte de voir ma fille aussi.”
Cette double vie lui pèse un peu, Monfils ne le cache pas même si elle joue sans doute dans le bon sens pour sa motivation raquette en mains : quitte à partir si loin, si longtemps, autant que ça vaille le coup.
“C’est dur. Je vais à Dubaï la semaine prochaine donc ça fera vraiment quatre semaines – on dit quatre semaines pour ne pas dire un mois ! – que je ne l’ai pas vue et c’est long à cet âge-là où elle découvre plein de choses. On a beaucoup de chance que FaceTime existe, mais ça ne remplace rien. Heureusement, elle sera avec nous aux Etats-Unis. Les victoires aident un peu, mais c’est long. Le tennis c’est cool, mais ma fille me manque vraiment. On est déjà parti longtemps en Australie avec elle, on va repartir longtemps aux Etats-Unis donc on n’a pas envie de trop la dépayser non plus. C’est un défi.”
“j’en ai encore pour deux ou trois ans maximum, quatre si son s’enflamme”
Un défi d’autant plus grand que, comme beaucoup de joueurs de tennis professionnels, Gaël Monfils s’est éloigné très tôt des siens. “Tu fais un premier sacrifice quand tu es jeune, par rapport à tes parents et ta famille : je n’ai pas vraiment vu mon petit frère et ma petite soeur grandir. Et là c’est un demi sacrifice de ne pas prendre ce temps là mais bon j’en ai encore pour deux ou trois ans maximum, quatre si son s’enflamme. Il faut que je m’adapte, et c’est aussi pour ça que je suis content de gagner car ça me permet de penser à autre chose.”
Dans la revue d’effectif des jeunes pousses du circuit, que pense-t-il de la révélation tchèque de 18 ans, Jakub Mensik, tombeur d’Andy Murray et Andrey Rublev cette semaine et dont il va croiser la route ? Quand Mensik est né, Monfils était déjà 43e joueur mondial. “Alors ça me met un coup de vieux de dingue ! Moi quand je suis arrivé, c’était plus la fin d’Andre (Agassi) et de Pete (Sampras)”, rit-il.
“Mensik est très talentueux et dans le futur on va beaucoup parler de lui : il sera bientôt parmi les meilleurs mondiaux, c’est certain. C’est un athlète très complet.” Monfils le suit de loin depuis un an, après en avoir entendu parler par des proches et l’avoir vu sur le Challenger d’Ostrava l’an passé. La Monf’ a l’oeil, et le bon. Il apprécie aussi de revoir de très jeunes joueurs débarquer sur le circuit : “Jannik (Sinner) est arrivé tôt, Carlos (Alcaraz) aussi, Holger (Rune). Il y a de nouveau une petite vague de jeunes qui arrivent fort très tôt : c’est cool et c’est beau à voir. C’est aussi bien de pouvoir les jouer avant ma fin (il sourit).”
“il sera bientôt parmi les meilleurs mondiaux, c’est certain.”, Monfils sur MEnsik
Vainqueur de son compatriote de 25 ans, Ugo Humbert, en quarts de finale à Doha, Monfils continue de prouver qu’il peut encore jouer les premiers rôles sur le circuit, peu importe ses trente-sept printemps. “Je suis satisfait de mon niveau de jeu, de la qualité de mon déplacement. Le score ne le dit pas mais ce n’était pas un match si facile.”
Cela prouve aussi qu’il a eu bien raison de convaincre Mikael Tillström de reprendre le rôle de coach. “Quand je le rappelle, il sait que je veux me ‘challenger’ de nouveau, que j’en ai encore sous le pied. On a une histoire qui n’est pas finie, on est potes, on a bossé des années ensemble… Je lui ai dit que j’avais envie de bâtir quelque chose de différent, d’aller chercher quelque chose de différent : on est allé chercher un nouvel entraîneur physique, un nouveau physiothérapeuthe. Et là je suis la preuve qu’on travaille bien.”
La fin de carrière de Monfils n’a pas l’air proche à le voir jouer et à l’entendre. On a même envie de dire que Monfils a encore de la marge sur un bon paquet de joueurs. “Je n’ai pas une marge de dingue, mais j’essaie de faire des choses qui me permettent de pouvoir tirer la bourre avec les plus jeunes et j’aime ça. J’ai toujours envie de jouer. Ce qui est plus dur, c’est de rester bien physiquement, de pouvoir bien me déplacer, de retrouver une confiance suffisante pour pouvoir aussi s’amuser. Du coup quand j’arrive à connecter ça, j’arrive à rester un peu dangereux pour les jeunes.”
Et il a également trouvé des exutoires hors du court pour avoir toujours envie d’y revenir. “Mentalement, il faut trouver quelque chose qui me maintient : il faut que je m’amuse, que je sente que je ne fais pas tout ça dans le vent. J’ai trouvé une bonne communion avec ma fanbase en faisant des vlogs, en montrant les coulisses. Là par exemple je joue en deuxième après 18 heures, c’est long ! Tu ne fais rien, tu penses au temps que tu perds alors que j’ai envie d’être avec ma fille, de faire plein de trucs. Je suis cloîtré dans des endroits magnifiques alors j’ai envie d’en faire profiter. A 22 ans, tu ne penses pas forcément ça donc c’est marrant de voir l’évolution. J’aimerais bien dire que j’ai de la marge, mais la marge est très fine ! (Il rit)“
Les Jeux ? “Si je me qualifie, c’est cool, mais…”
Comme celle qu’il pourrait avoir sur le reste du tennis français en vue de la qualification pour Paris 2024. A Doha, il a assuré son retour dans le Top 4, mais Gaël Monfils a suffisamment d’expérience pour savoir que se projeter trop loin, trop vite, a souvent tendance à faire plus de mal que de bien aux nerfs. Alors les Jeux, ils sont encore à peine dans son rétroviseur.
“C’est loin !”, souffle-t-il. “C’est un objectif, oui, mais j’en ai plein d’autres à court terme. Les Jeux, c’est encore trop loin. Si je me qualifie, c’est cool, mais si je ne me qualifie pas je sais que je ne serai pas loin de mes objectifs de classement, et ça voudra dire que les jeunes auront bien joué et bravo à eux. J’ai envie d’y être mais ça voudra dire que j’aurais poussé les jeunes à bien jouer. Je fais des petits sacrifices, comme jouer toutes les semaines en ce moment. J’ai envie de réaliser ça, mais pas que, donc chaque victoire est importante pour ma motivation et mes objectifs à court terme.”
Et quand il regarde au loin, que voit-il ? “A long terme, je veux jouer jusqu’à quarante piges. Ce serait cool, comme Ibra (Zlatan Ibrahimovic) ou Kobe (Bryant) mais pour faire ça il faut un certain classement, une constance et un niveau moyen qui permet de jouer correctement, sinon c’est la fin. Les JO, j’ai le temps d’y penser, un peu avant Roland-Garros. Et si ça se trouve je serai déjà bien qualifié (il sourit).” Monfils a toujours adoré jouer des tours et, manifestement, ça conserve.