Djokovic à cœur ouvert avant l’Open d’Australie : “Je pleure à chaque fois que je quitte la maison”
Avant de tenter de décrocher un dixième titre à l’Open d’Australie, Novak Djokovic s’est entretenu avec Tennis Majors au sujet du premier Grand Chelem de la saison. Il a aussi parlé de divers sujets qui en disent plus sur la mentalité du Serbe.
Douze mois après avoir été expulsé, Novak Djokovic est de retour en Australie, avec pour mission de remporter son 22e titre du Grand Chelem à Melbourne pour égaler le record que possède actuellement son plus grand rival encore en activité, Rafael Nadal.
“En ce moment, je pense qu’il est encore plus intéressant pour les gens de regarder les tournois du Grand Chelem. Lorsque nous sommes tous là et en bonne santé, il est fascinant de suivre la compétition pour savoir qui pourrait soulever le trophée”, a déclaré Novak Djokovic pour Tennis Majors lors de la partie serbe des conférences de presse du tournoi d’Adélaïde, en donnant un aperçu de ce qui devrait être un Open d’Australie très disputé, même si le Serbe reste le favori.
Djokovic a parlé en toute franchise des principaux prétendants au titre, de ce que l’expérience de l’année dernière lui a appris, du dîner avec Nick Kyrgios, mais aussi de sa prise de masse musculaire pendant l’intersaison, de son utilisation du téléphone, de son prochain documentaire, de la façon dont il veut qu’on se souvienne de lui, de l’équilibre travail-famille ou encore des athlètes qui l’ont influencé…
Je m’efforce d’être meilleur
Novak Djokovic
Vous dites souvent qu'un homme apprend aussi longtemps qu'il vit. Qu'avez-vous appris sur vous-même au cours des douze derniers mois, comment cette expérience en Australie vous a-t-elle changé ?
Oui, chaque jour est une nouvelle leçon. Les principales leçons à tirer de tout ce qui s’est passé sont la patience, la confiance en soi et l’adhésion à des principes qui vous tiennent à cœur. J’ai vécu des moments difficiles en Australie et dans les mois qui ont suivi : j’ai été attaqué sous tous les angles, pratiquement par le monde entier, mais je m’attendais à ce genre de choses, vu comment la société fonctionne aujourd’hui. Il faut toujours qu’un individu soit coupable de quelque chose. C’est ainsi que les jeux sont faits.
Même si j’étais conscient de cela, c’était vraiment difficile à gérer pour moi. La patience et le sentiment d’appartenance à ma famille et à mes proches m’ont aidé à surmonter tous les obstacles pour arriver là où je suis aujourd’hui. Je m’efforce d’être meilleur, je suis ouvert à tout ce que la vie peut m’apprendre et me mettre à l’épreuve, c’est ma devise en général.
Qui est votre plus grande menace à l'Open d'Australie et quels sont les jeunes joueurs que vous voyez percer ?
Tous les joueurs de haut niveau sont mes plus grands rivaux, c’est toujours le cas. Tsitsipas, Sinner, Zverev, bien sûr Medvedev et Nadal, qui est un ancien du circuit tout comme moi. En ce qui concerne les jeunes joueurs, il est évident que Carlos Alcaraz, qui malheureusement ne jouera pas à Melbourne, et Holger Rune sont en tête de liste. Ils ont tous les deux 19 ans, et Alcaraz est à juste titre le numéro un, il a fait une année fantastique. En ce moment, je pense qu’il est encore plus intéressant pour les gens de regarder les Grands Chelems – quand nous sommes tous là et en bonne santé, c’est fascinant de suivre la compétition pour savoir qui va soulever le trophée.
Les gens ont remarqué que vous vous êtes un peu musclé pendant l'intersaison, que vous avez pris peut-être deux ou trois kilos….
Je les ai déjà perdus ! Pour être plus précis, j’ai perdu 1,5 kilos à Adélaïde. Cela arrive. Pendant l’intersaison, lorsqu’il n’y a pas de tournois, j’ai la possibilité de prendre de la masse musculaire, bien qu’au tennis nous n’ayons pas autant de temps pour le faire que dans d’autres sports. L’occasion s’est présentée et je suis heureux que le travail que j’ai fourni ait porté ses fruits. Jouer un tournoi vous épuise toujours, alors j’espère que je pourrai retrouver mon poids dans les prochains jours.
Avez-vous tenu votre promesse à Nick Kyrgios de l'emmener dîner, et y a-t-il une possibilité pour Nick de jouer l'Open de Serbie ?
Non, toujours pas de dîner, mais Melbourne sera l’occasion de le faire. Pour ce qui est de l’Open de Serbie, étant donné qu’il a été l’une des rares personnes à m’avoir soutenu en Australie, je pense que les gens ont changé d’avis à son sujet de manière positive, beaucoup de gens sont maintenant impatients de le voir jouer. Nous avons des conversations, nous en avons eu l’année dernière aussi. Nous serions ravis de l’avoir là-bas, je pense qu’il s’y plairait et qu’il bénéficierait d’un grand soutien. S’il le souhaite, il est plus que bienvenu.
Vous avez annoncé un documentaire pendant l'Open d'Australie 2021, la date d'une première sortie a changé plusieurs fois, où en êtes-vous maintenant ?
Il y a eu quelques changements compte tenu de tout ce qui s’est passé l’année dernière. Nous avions quelque chose de prévu, puis nous avons dû modifier nos plans. Nous n’avons pas encore de date exacte, mais je pense que la première devrait avoir lieu au milieu de l’année. Nous sommes en train de monter le film, la ligne d’arrivée est proche et j’espère que tout le monde pourra le voir bientôt. Il y a beaucoup de matériel, j’ai vécu beaucoup de choses dans ma vie, donc maintenant nous décidons si ce sera un documentaire ou une série.
J’essaie de vivre pleinement ma vie
Novak Djokovic
Comment aimeriez-vous qu'on se souvienne de vous ?
Par mes traits de caractère, en espérant qu’il s’agisse plus de mes vertus que de mes défauts, que j’ai, comme tout autre être humain. J’essaie de vivre pleinement ma vie et de rester conscient du fait que de nombreuses personnes n’ont pas eu la même chance que moi. La façon dont j’ai grandi m’a aidé à préserver cette conscience, j’essaie toujours de me rappeler d’où je viens.
Tout ce que j’ai aujourd’hui dans la vie ne m’a pas été donné, j’ai dû le gagner, avec les personnes qui m’entourent et qui m’ont aidé à vivre mon rêve et à continuer à le faire. J’espère diffuser une énergie positive auprès des amateurs de sport du monde entier. J’aimerais que les gens se sentent bien lorsqu’ils viennent me voir jouer et qu’ils se souviennent de moi comme de quelqu’un qui se soucie des autres. Bien sûr, par mes exploits au tennis aussi, qui, je l’espère, sont encore à venir.
Dans une récente interview accordée au magazine serbe Sport Klub, la star de la NBA Bogdan Bogdanovic a évoqué l'importance de vos conseils pour lui. Vous avez souvent mentionné Kobe Bryant comme quelqu'un dont les paroles vous ont beaucoup influencé. Quels sont les autres athlètes qui vous ont le plus inspiré ?
J’ai lu ce qu’il a dit et je ne peux que le remercier, car c’est un ami, un homme exceptionnel et un basketteur fantastique que je soutiens dans tout ce qu’il fait. Avec Nikola Jokic, il fait honneur au drapeau serbe en NBA. Nous nous parlons dès que nous en avons l’occasion. Il est toujours intéressant d’avoir un aperçu de la routine des autres athlètes : comment ils perçoivent les choses, comment ils s’entraînent et récupèrent, leur approche, etc. Il y a beaucoup de points communs entre les différents sports, c’est pourquoi je suis curieux, afin de pouvoir peut-être mettre en œuvre quelque chose dans ma routine. En tant qu’athlète professionnel, vous devez toujours vous efforcer de progresser, car stagner signifie régresser.
De nombreux athlètes m’ont influencé. Vous avez mentionné Kobe Bryant, bien sûr. Je connaissais bien Diego Maradona, nous avons souvent parlé de la vie et du sport et j’en ai tiré quelques conseils utiles. Il en va de même pour Michael Jordan. Si nous parlons de tennis, Pete Sampras, et Andre Agassi et Boris Becker, qui ont été mes entraîneurs. J’apprécie l’histoire de chaque sport et tout ce que les grands du passé ont fait pour faire du sport un phénomène mondial.
Vous avez une vie atypique, c'est évident. Comment parvenez-vous à trouver l'équilibre entre votre travail et votre famille ?
Ce n’est pas facile, il n’y a pas de recette miracle. Comme toute personne qui voyage beaucoup en raison de la nature de son travail, j’ai des difficultés lorsqu’il s’agit de voir ma femme et mes enfants, mes parents, mes frères… Je n’ai pas l’occasion de passer autant de temps que je le voudrais avec ma famille. Par exemple, je vais passer plus d’un mois en Australie maintenant. Ça fait mal, je pleure chaque fois que je quitte la maison. Parfois, j’aimerais que les choses soient différentes, mais je suis très reconnaissant pour tout ce que la vie m’a donné, mes difficultés ne sont rien comparées à celles des autres.
J’essaie d’en être conscient, mais ma famille me manque toujours beaucoup. Je suis constamment à la recherche de cet équilibre, avec ma femme. Parfois j’y arrive, parfois non. La vie est comme ça, avec des hauts et des bas, alors le plus important pour un homme est de rester fidèle à lui-même et de faire de son mieux pour s’adapter à toutes les circonstances.
Beaucoup de jeunes joueurs et d'athlètes passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux et les téléphones portables, ce qui peut être, et est souvent, une distraction. Comment gérez-vous votre temps de téléphone ?
Je passe aussi du temps sur mon téléphone. De nos jours, c’est la norme, c’est normal, mais ce n’est pas du tout sain, rayonnement, distraction, addiction… Personnellement, j’apprécie Instagram, c’est une application formidable pour certaines choses que je recherche car j’aime la vie à travers les images. D’un autre côté, j’essaie de me prévenir de ne pas y passer trop de temps, afin de trouver un équilibre entre les réseaux sociaux et la vie réelle, les vraies personnes, sans technologie.
C’est très difficile à faire de nos jours, car lors des tournois dans le monde entier, les gens sont principalement rivés sur leur téléphone, il n’y a pas beaucoup d’interaction. Beaucoup de choses ont changé depuis que je suis devenu pro, il y a vingt ans. Ce n’est pas louable et mon conseil aux jeunes athlètes serait d’en être conscients et de trouver une formule qui leur convienne. Et aussi de ne pas utiliser les téléphones le soir, car la lumière bleue affecte la façon dont on dort et se réveille. Pour moi, cela dépend de nombreuses circonstances. Par exemple, si je suis en déplacement, je passerai probablement plus de temps au téléphone, afin de pouvoir parler à ma famille.
Je n’ai aucun problème à dire que je suis désolé
Novak Djokovic
Dans le contexte des préjugés à l'encontre des athlètes d'Europe de l'Est, Ivan Lendl a eu une approche bien différente de la vôtre, il a accepté le rôle du méchant. D'un autre côté, vous êtes complètement différent, vous êtes agréable, chaleureux avec tout le monde… Qu'est-ce qui vous pousse à vous comporter de la sorte ?
Pas toujours ! Je fais aussi des erreurs envers les personnes qui me sont proches, souvent elles me tolèrent sur le court et en dehors. J’ai beaucoup d’emportements et de changements d’humeur, donc je ne me vois pas vraiment comme une incarnation de la vertu, loin de là. D’un autre côté, je pense qu’une personne doit être ouverte à la vie et à l’apprentissage. Je n’ai aucun problème à dire “désolé” à quelqu’un si j’ai fait une erreur, je pense que c’est humain. Il faut être conscient de son erreur et s’en repentir un peu, c’est bon et sain. Après cela, il faut aller de l’avant et continuer, car il y aura un million d’autres erreurs.
C’est un concept que je remarque dans la société d’aujourd’hui, surtout en Occident, les gens ont perdu leur sincérité, ils ne sont pas ouverts les uns aux autres, beaucoup de choses se résument à des intérêts et à des choses matérielles, et certaines valeurs réelles sont fortement négligées. C’est parce que la société est ainsi faite, les médias nous disent chaque jour ce que nous devrions acheter, que nous devrions nous comporter d’une certaine manière, avoir peur de ceci ou de cela…
Et dans le sport, la philosophie “seul le numéro un a de la valeur, tous les autres sont des perdants” est souvent imposée, surtout dans les sports individuels. Je recherche le succès, bien sûr, mais le succès est une destination, nous devons apprendre à apprécier le chemin vers ce succès, l’attendre avec impatience et le chérir. J’essaie de me rappeler de profiter du voyage. D’une manière générale, nous devons avoir plus de respect pour les autres, plus de compassion pour les difficultés que les autres traversent. Par exemple, tout le monde est si courageux sur les réseaux sociaux et dans les tribunes, mais lorsque vous les rencontrez en personne, alors ils se comportent différemment.
Merci à Branka Bauk pour avoir aidé à la rédaction de cet article.