De Carlitos à Alcaraz, épisode 6 : pistes de réflexion sur l’avenir (a priori doré) du numéro un mondial
Dans le sixième et dernier épisode de notre série sur l’éclosion de Carlos Alcaraz au sommet du tennis mondial, nos experts évaluent la marge de progression de l’Espagnol et les rares points d’interrogation qui l’entourent, notamment son potentiel sur gazon.
6/6 : Tandis que Juan Carlos Ferrero évalue la marge de progression de son joueur à 60%, les experts que nous avons interrogés confirment qu’il est déjà difficile d’identifier des points faibles susceptibles de l’empêcher de se constituer un palmarès en or.
Il est facile de prétendre que c’était écrit. Que, dès sa première apparition sur l’ATP Tour en février 2020, il était acquis que Carlos Alcaraz serait un joueur de premier plan. Personne ne pouvait se douter que cela irait aussi vite.
Deux ans et des poussières plus tard, alors que le jeune Espagnol a déjà gagné l’US Open et terminé une saison numéro un mondial, ce qui le place dans des temps de passage encore plus fous que ceux de Pete Sampras et Rafael Nadal au même âge, l’histoire d’Alcaraz comme figure montante de la nouvelle génération est déjà écrite.
Ce qui nous intéresse à l’aube de la saison 2023, c’est la suite de l’histoire : jusqu’où ira-t-il et qui pourra rivaliser avec un tel bolide ?
Le point commun de tous les témoignages que vous avons collectés à ce sujet est qu’Alcaraz est fait d’un métal à part. Que rien ne donne prise à l’idée que cette saison 2022 de la 32e à la première place est un feu de paille. Alcaraz dégage même l’impression contraire : être déjà aussi performant, tout en étant encore assez brut de décoffrage, laisse penser que le plus beau reste à venir et qu’il faudra se lever tôt pour lui contester les plus grands titres à l’avenir, lui qui a déjà explicité à Turin l’idée qu’il allait déjà prioriser les Grands Chelems.
Alcaraz est encore loin d’avoir atteint tout son potentiel
« Il est encore à des années-lumières du niveau qu’il aura autour de 22, 23 ans », nous dit Brad Gilbert, ancien numéro 4 mondial et coach à succès d’Andre Agassi et Andy Roddick. « Je suis absolument certain que son équipe, en ce moment, ne voit que ça : ce qui lui reste à améliorer et à quel point il sera bon s’il y parvient. »
Imaginez Alcaraz en 2024 avec un grand service, un revers qui n’aurait plus aucune faille et une expérience d’une bonne vingtaine de matches sur gazon dans les jambes. Que faire contre un joueur pareil ? Gilbert nous suggère que c’est la seule chose à laquelle devraient penser ses futurs adversaires. Pas affronter l’Alcaraz d’aujourd’hui, mais l’Alcaraz 2.0 de demain.
« Personne ne peut prétendre s’être construit comme joueur à 19 ans, insiste Gilbert. Il est toujours dans une sorte de work in progress et je suis certain que son travail le conduira à un niveau bien supérieur encore. »
Son jeu est « complet », comme on dit dans le monde du tennis. Cette assertion fait quasiment l’unanimité. Alcaraz n’a pas de coup qui le définit comme le service de Kyrgios ou le coup droit de Ruud, une sorte de point fort qui serait responsable de sa percée au haut niveau. Il possède déjà TOUS les coups. Il s’entraîne depuis son plus jeune âge avec une vision de son identité de jeu et un engagement dans la préparation physique et mentale rare pour un adolescent.
Alcaraz, le joueur le plus complet de sa génération
Nick Lester, ancien pro britannique devenu consultant à succès aux États-Unis, nous dit en substance que l’extrême polyvalence d’Alcaraz envoie ce message à ses rivaux : progressez vite et bien ou vous serez rayés de la carte.
« Je pense que pour la plupart des rivaux de son âge, il est difficile d’admettre qu’Alcaraz soit déjà aussi complet. Si vous faîtes le portrait-robot de son jeu et de celui d’autres joueurs en concurrence avec lui, coup par coup, il n’y a pas photo. On a beaucoup parlé, à juste titre, de sa transition défense – attaque, mais sa transition attaque – défense est aussi rapide et impressionnante. Sa vitesse de déplacement et sa capacité à glisser changent complètement la donne. »
Sur le plan physique, personne ne peut rivaliser en dehors de Jannik Sinner ou d’un Novak Djokovic qui aurait assez de matchs dans les jambes.
Mike James
Quand on lui pose la question, Gilbert doit bien reconnaître qu’Alcaraz bouge mieux que Nadal au même âge. « Carlos se déplace mieux sur ciment, dit-il d’emblée. Rafa glissait déjà de façon incroyable sur terre, mais oui, Alcaraz est tout proche déjà. » « Il bouge sur dur de la meme façon que sur terre, ajoute Lester. C’est à peine croyable de voir comment il arrive à se retrouver en situation d’agresser alors qu’il était dans les cordes au coup précédent. Il est tellement adroit et physiquement prêt qu’il est déjà au-dessus de la mêlée. »
Comment battre Alcaraz ? Mike James, en tant que membre du staff d’Holger Rune, ne peut pas réponde à la questions. Mais le directeur de Mouratoglou Analytics nous donne une idée des questionnements qui harassent ses futurs adversaires. « Sur le plan physique, personne ne peut rivaliser en dehors de Jannik Sinner ou d’un Novak Djokovic qui aurait assez de matchs dans les jambes, assure-t-il. En quatre ou cinq heures et en sets, son jeu conserva son efficacité. »
Seuls Djokovic et Sinner sont une menace
« Le point de réflexion pour l’adversaire, c’est de neutraliser son tennis. Faut-il le faire jouer un coup de plus ? Deux coup de plus ? Un coup de moins ? L’obliger à monter quand il n’en a pas envie ? Comment retourner ? En fonction votre jeu, choisissez votre approche. »
James continue : « Quelle était la force des Big Four ? C’était de jouer leur tennis au même niveau plus de quatre heures quand c’était nécessaire. Nadal n’aurait jamais remporté 14 Roland-Garros dans un format à deux sets gagnants, ni peut-être l’Open d’Australie 2022. Le challenge c’est vraiment d’adapter votre jeu pour battre Alcaraz, sans pourtant autant trop sortir de votre zone de confort, et de le tenir sur une telle durée. Est-ce possible ? On ne le sait pas. »
Je suis encore gêné aux entournures à l’idée de présenter Alcaraz comme le favori d’un duel contre Djokovic en pleine forme.
Nick Lester
A cinq mois de son vingtième anniversaire, Alcaraz semble encore en avance sur tout le monde en terme de progression dans sa classe d’âge, même si Rune pousse fort grâce à sa saison indoor exceptionnelle. Ils sont une poignée à sembler en mesure de rivaliser sur la durée : Sinner, Djokovic et peut-être Medvedev.
« Surtout Djokovic, nous dit Brad Gilbert. Il sera là encore trois – quatre ans ». L’hypothèse de quelques Alcaraz- Djokovic pour les plus grands trophées s’annonce comme le feuilleton que tout le monde voudra voir l’année prochaine.
« Je suis encore gêné aux entournures à l’idée de présenter Alcaraz comme le favori d’un duel contre Djokovic en pleine forme » nous dit Lester, même si l’Espagnol est sorti vainqueur de son seul duel contre le Serbe en 2022, un marathon historique à Madrid.
« Il a les nerfs extrêmement solides pour un joueur de cet âge » avait dû constater le Serbe, ce qui nous permet de rappeler qu’Alcaraz, vainqueur de Sinner après avoir sauvé une balle de match, est l’un des sept joueurs à avoir remporté l’US Open après être passé à un point de la défaite. Il avait aussi sauvé une balle de match contre Albert Ramos-Viñolas à Roland-Garros.
Il y a du Nadal dans la mentalité d’Alcaraz
« Il me fait penser à Rafa sur ce point, observe Gilbert. Ils ont cette détermination sans faille, cette concentration excise, cette capacité à être dans le match quoiqu’il se passe, quel que soit le score. A l’US Open, Alcaraz a été mené dans ses quatre derniers matches, à un moment ou un autre. Mais on sent permanence que, comme avec Nadal, le mach n’est pas terminé tant que l’arbitre n’a pas sifflé la fin. Ça c’est une qualité exceptionnelle. »
A cette heure, la seule grosse marge de progression objective d’Alcaraz dans la perspective d’une carrière légendaire est son jeu sur gazon. Il n’a joué que six matches sur cette surface au niveau professionnel. Assez pour contester à Jannik Sinner une place en quart de finale à Wimbledon l’été dernier (6-1, 6-4, 6-7 (8), 6-3).
Il risque d’avoir besoin d’un petit moment pour s’habituer à la surface.
Brad Gilbert
« Il risque d’avoir besoin d’un petit moment pour s’habituer à la surface, souffle Gilbert. Mais je suis convaincu qu’avec le bon boulot de Ferrero et une prise de conscience sur l’importance de Wimbledon dans ce sport, il se hissera au niveau requis. La balle qui rebondit plus bas, les ajustement dans le déplacement… Le gazon c’est autre chose, mais s’il décide de jouer des tournois préparation à Wimbledon (contrairement à 2022, ndlr), il aura peut-être l’essentiel dès l’année prochaine. Ça dépend aussi de son résultat final à Roland-Garros. »
Gilles Cervara, l’entraîneur de Medvedev, qui avait battu Alcaraz à Wimbledon en 2021, dessine une carrière sur gazon qui pourrait ressembler à celle de Nadal : capable de gagner Wimbledon, mais en-dessous de vrais spécialistes comme Federer ou Djokovic sur la durée.
Je pense que son jeu sur gazon sera moins efficace que sur les autres surface
Gilles Cervara
« De façon générale, je pense que son jeu sera moins efficace que sur terre ou sur dur, explique Cervara. Mais je pense qu’il sera capable de réussir à Wimbledon, comme d’autres joueurs de son profil dans le passé. Ça va se jouer aux circonstances de tel ou tel tournoi et notamment à son tableau. Contre les vrais spécialistes, il aura toujours du mal, sans doute. »
« Quand Daniil l’avait affronté en 2021, Alcaraz était loin de son niveau actuel. Il n’avait pas représenté un grand danger, notamment car il commettait beaucoup de fautes et cherchait ses appuis sur cette surface. Disant ça, je suis certain qu’Avec Alcaraz, ce sera très vite une autre histoire. Et pas plus tard qu’en 2023. »