De Carlitos à Alcaraz, épisode 5 : un physique et un mental déjà hors-norme

Le cinquième épisode de notre série sur le nouveau (et le plus jeune de l’histoire) numéro un mondial Carlos Alcaraz s’arrête sur les qualités non strictement tennistiques qui ont permis sa réussite.

Carlos Alcaraz series, volume 5 Carlos Alcaraz series, volume 5 | © Panoramic Tennis Majors

5/6 : Sur le plan physique et sur le plan mental, Carlos Alcaraz est déjà prêt à toutes les batailles. Il n’a pas attendu de basculer dans le professionnalisme pour se sculpter un corps et un mental de champion.

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C’était une de ces années où Andy Murray avait des chances de gagner le Masters. Lors d’un point presse d’avant-tournoi, au milieu des questions habituelles, le Britannique avait été invité à dresser le portrait robot du joueur du futur.

Ce fut alors l’une de ces fois où Murray prouve qu’il sait de quoi il parle quand il s’agit de tennis. Le type de joueur qui pourrait concurrencer le Big Four ou prendre sa relève, sinon amener le tennis encore plus haut que ce groupe qu’il formait alors avec Roger Federer, Novak Djokovic et Rafael Nadal, serait grosso modo : un fauve en défense, un énorme coup d’attaque, mais surtout une combinaison de puissance, de toucher et de mental au-dessus de la moyenne. Un tel joueur devrait avoir tout ça à la fois, insistait-il.

Il nous aura fallu attendre quelques années avant de voir évoluer le profil dessiné par Murray. Ce joueur aurait les traits et le nom de Carlos Alcaraz

Carlos Alcaraz, US Open 2022
Carlos Alcaraz, US Open 2022 – © Antoine Couvercelle

Alcaraz une bête née ? Une bête de travail précoce, plutôt

Au-delà de son jeu, déjà inspecté à la loupe par notre équipe et loué par tous les joueurs du circuit, ce qui fait d’Alcaraz un joueur à part est qu’il possède déjà, malgré un âge (19 ans) délirant pour atteindre la première place mondiale, un physique et un mental au-dessus de la moyenne – sans parler de la combinaison des deux, qui le définit peut-être autant que son tennis total.

“Non seulement son tennis est exceptionnel, mais son physique l’est aussi”, nous indiquait Patrick Mouratoglou au lendemain de l’US Open. Son intensité, son explosivité, la violence de son coup droit, sa vitesse, tout ça met une pression incroyable sur ses adversaires car vous savez que chaque coup agressif peut revenir plus vite.

Voir Alcaraz détruire ou user ses adversaires comme il l’a fait à l’US Open peut donner la fausse idée que l’Espagnol est une bête née. Ceux qui travaillent avec lui depuis l’adolescence savent que ses qualités naturelles sont extraordinaires mais que le travail qu’il a réalisé pour les amplifier ne le sont pas moins.

C’est une Ferrari qui a besoin de travailler, autrement dit, il a la carrosserie et il ne te reste plus qu’à designer le moteur

Juanjo Moreto

Juanjo Moreto est un préparateur physque spécialisé dans les convalescences, mais il est tout aussi capable de préparer les corps aux rudesses de la haute compétition. Quand Juan Carlos Ferrero, l’entraîneur d’Alcaraz, lui a demandé une analyse complète de son profil, Moreto a trouvé une formule sur-mesure : « C’est une Ferrari qui a besoin de travailler, autrement dit, il a la carrosserie et il ne te reste plus qu’à designer le moteur » a-t-il raconté au site de l’ATP.

« A l’évidence, poursuit Moreto, Alcaraz avait besoin de voir un podologue. Je l’ai envoyé à Carles Ruiz. Celui-ci m’a appelé après avoir passé à son tour au peigne fin la biomécanique d’Alcaraz. Après quoi Juan Carlos et Carlos sont allés le rencontrer. Sans que Ruiz et moi nous soyons concernés, il leur a dit exactement la meme chose : c’est une Ferrari. »

Alcaraz : “Je n’ai pas les chronos, mais je dirais que je suis rapide”

Parmi les choses qui frappent au spectacle d’Alcaraz sur un court, il y a sa vitesse. Mats Wilander considère qu’il est le joueur pro le plus rapide à jamais avoir évolué sur un court. A Roland-Garros, après avoir fini par se sortir d’un guêpier face à Ramos-Viñolas grâce à quelques sprints exceptionnels, il lui avait été demandé s’il connaissait son temps sur les distances de sprint. Alcaraz avait répondu avec un sourire désarmant : « Je n’ai pas de chrono-référence, mais à mon avis, je dirais que je suis rapide. » Euphémisme.

Après la finale perdue de l’US Open, Casper Ruud n’avait pu que constater le volume de courses de son adversaire, pourtant diminué par trois matches en cinq sets : « Il vous donne l’impression que vous êtes obligés de jouer les lignes pour avoir une chance. Il est ultra-rapide, il se déplace extrêmement bien. »

Carlos Alcaraz, US Open 2022
Carlos Alcaraz, après sa victoire épique contre Frances Tiafoe en demi-finale de l’US Open 2022 (AI / Reuters / Panoramic)

Frances Tiafoe, battu en demi-finale, avait affirmé ne jamais avoir vu ça : « Je n’ai jamais joué quelqu’un d’aussi rapide pour être honnête. Je l’ai vu ramener des volées ou des amorties, qui normalement ne reviennent pas. Sa capacité à amener le point au-delà de sa durée « normale » est incroyable. Être si constant, consistant et juste à son âge, c’est fou. »

Cette capacité à se projeter avec autant d’intensité dans son match ne vient pas de nulle part. La fédération espagnole de tennis confronte ses jeunes espoirs à des psychologues du sport dès l’âge de 8 ans. Un jour, Josefina Cutillas a eu à s’occuper d’un groupe de jeunes de la région de Murcie. Elle a travaillé avec le jeune Alcaraz d’abord en groupe et ensuite en individuel.

Depuis qu’il est petit, sa confiance en lui est quasiment illimité grâce à une faculté éprouvée à surmonter les difficultés.

Josefina Cutillas

« Au départ, l’approche est ludique pour les enfants, et l’objectif est de les familiariser avec les concepts, les techniques et les outils qui font partie de la performance des athlètes de haut niveau » nous a expliqué l’intéressée. 

« Assez vite, Carlos a montré des qualités techniques au-dessus de la moyenne et lui, ainsi que sa famille, ont très vite considéré l’entraînement mental comme une part importante du travail. Il a réalisé qu’il disputait des compétitions qui étaient exigeantes y compris sur ce plan-là et que cette variable affectait ses résultats. On a travaillé la tension, la concentration, la gestion de la pression et des attentes individuelles. »

Cutillas reconnaît aujourd’hui le Carlos Alcaraz enfant et ado avec lequel elle travaillait. « Il a toujours su ce qu’il voulait accomplir. Il voulait être pro, devenir numéro un et réaliser pour cela les efforts, les sacrifices et le don de soi qui caractérisent les sportifs de ce niveau. Il a aussi toujours eu une capacité à ne pas ressasser trop longtemps les défaites ni se satisfaire longtemps d’une victoire. »

Cervara : “Alcaraz me rappelle Kuerten”

« Sur le plan émotionnel, c’est quelqu’un d’équilibré et stable, qui avait et continue à avoir cette capacité à se projeter sur une nouvelle séquence après un résultat, ce qui est clef pour gérer ses émotions après des expériences comme celles qu’il a vécues récemment. En fait, depuis qu’il est petit, sa confiance en lui est quasiment illimité grâce à une faculté éprouvée à surmonter les difficultés. »

Sa capacité à créer chez les fans un enthousiasme naturel pour son jeu vient aussi vraisemblablement de là, insiste Cutillas. « Les gens voient sûrement en lui l’archétype du gamin en train de réaliser son rêve. Il est incontestable qu’il sait se connecter aux personnes et leur communiquer son humilité, sa sincérité, et son souci de rester lui-même. Il offre aux tous jeunes sportifs un miroir dans lequel il est pertinent de se regarder. Sur le court, il ne dégage que de l’énergie positive. Il est dévoué à son sport, à son match, au moment présent. »

Carlos Alcaraz, US Open 2022
Carlos Alcaraz, US Open 2022 – © AI / Reuters / Panoramic

Entraîneur de Daniil Medvedev, le joueur qui l’a précédé à le tête du classement mondial, Gilles Cervara souligne que capacité à combattre comme un forcené avec le sourire fait partie de ses caractéristiques. « Gagner avec le sourire comme il le fait, cela me rappelle Kuerten. Les résultats de Carlos parlent pour lui et racontent par eux-mêmes à quel point il est prêt physiquement et mentalement », indique le technicien, naturellement sensible à l’aura que dégagent les joueurs sur le court, indépendamment de leur qualité tennistique.

Il a très vite compris qu’une grande stabilité émotionnelle était fondamentale pour s’accomplir.

Josefina Cutillas

« Il n’y a aujourd’hui aucune voie d’accès à la place de numéro un mondial si vous ne disposez pas de cette force. La seule chose que je regrette pour l’instant est qu’on ne l’ait pas vu face à Djokovic ou Nadal en finale de Grand Chelem, comme Daniil (en 2019 et 2021 à l’US Open puis en 2022 à Melbourne). »

A l’image d’Iga Swiatek, numéro une mondiale chez les femmes, Carlos Alcaraz appartient à une génération de joueurs qui n’a aucun problème d’aucune sorte à parler de son travail mental avec des professionnels de cette dimension si spécifique de la performance et à ne pas prendre ce type de travail pour une forme de faiblesse.

« Cela me rend fière d’avoir contribué à faire de Carlos quelqu’un d’aussi fort et structuré, nous dit Cutillas. Il a toujours été très discipliné et a toujours rendu le travail des ses entraîneurs facile car il a très vite compris qu’une grande stabilité émotionnelle était fondamentale pour s’accomplir, pas seulement dans le sport. Il a déjà atteint quelques-uns des ses rêves et cela me rend heureuse. Mais je peux surtout le remercier, car sa réussite contribue à faire reconnaître le rôle des accompagnatrices mentales de la performance comme mes collègues et moi. »

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